Politique. Le remaniement, dont on nous a tant rebattu les oreilles, a enfin eu lieu, avec la promotion, aussi prévisible que médiatisée, de Christophe Castaner au ministère de l’Intérieur. À première vue, rien de spectaculaire, et on serait tenté de dire que la montagne accouche d’une souris, ou, comme maints commentateurs : « Tout ça pour ça ».
Cependant, à y regarder de près, ce remaniement est plus significatif qu’il ne le paraît. Il semble attester d’un certain essoufflement de la Macronie, en même temps que d’une tentative de ressaisir la situation par la promotion de personnalités peu connues, mais propres à redonner une crédibilité au gouvernement.
Promotion de deux personnalités de terrain
La nomination la plus significative est celle de Jacqueline Gourault. Cette dame énergique a su gravir les échelons, depuis l’époque, déjà lointaine (1993) où elle parvint à faire invalider l’élection de Jack Lang, aux législatives, dans son département du Loir-et-Cher. Proche de Bayrou, elle sait s’imposer, en même temps qu’elle se présente comme une femme simple, proche du commun, tant par ses origines, son aspect physique et sa tenue vestimentaire, que son franc-parler. Avec elle, on est loin du cliché de la militante LREM : une sémillante quadra, haut fonctionnaire ou chef d’entreprise, moderne d’allure, néolibérale, individualiste, sans principes en matière de mœurs, et prompte à identifier le social avec le système D (« crée ta start up »). Elle-même, âgée de 68 ans, est une simple professeur (certifiée, non agrégée) d’histoire-géographie, ressemble à quantité de femmes de son âge que tout un chacun peut croiser dans la rue, et parle comme tout le monde. Et elle affiche des principes qui ne sont pas ceux du « nouveau monde ». Ainsi, catholique pratiquante, elle s’opposa, en 2013, à l’adoption de la loi instituant le « mariage pour tous », et ne se montre guère favorable à l’extension de la PMA.
Pourtant, malgré ce profil, que d’aucuns jugeraient un peu terne, elle a été intégrée au gouvernement comme « ministre auprès du ministre de l’Intérieur » (juin 2017), et a eu la délicate responsabilité de conduire l’institution de la Collectivité territoriale unique de Corse au 1er janvier 2018, dans le contexte d’une victoire des autonomistes et nationalistes de l’Ile de Beauté en décembre 2017.
Les ors macroniens se teintent d’une touche de Pinay
Désormais, elle aura en charge un grand ministère de « la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ». À l’évidence, le président compte, pour achever la réforme des collectivités territoriales, sur une personnalité de terrain, proche des réalités concrètes.
Jacqueline Gourault sera assistée de deux autres ministres, Sébastien Cornu et Julien Denormandie, beaucoup plus représentatifs de la Macronie par leur âge (respectivement 32 et 38 ans), leur profil professionnel (l’un est conseiller en relations publiques, l’autre ingénieur agronome), leur parcours politique (le premier fut assistant parlementaire, puis membre du cabinet de Bruno Le Maire, le second, haut fonctionnaire au ministère de l’Économie et des Finances), et leur allure de jeunes cadres. Tous deux appartenaient au précédent gouvernement Philippe.
Ils ne sont pas les seuls représentants typiques de LREM. Le nouveau gouvernement intègre, en effet, Franck Riester, nouveau ministre de la Culture, ancien collaborateur de Copé, ancien supporter de Le Maire puis de Juppé, et qui fut, en 2013, un partisan du « mariage pour tous », et Marc Fesneau, successeur de Castaner au ministère des Relations avec le Parlement, jusqu’ici président du groupe MODEM à l’Assemblée nationale. Sans oublier ces « marcheurs » typiques, tant par l’âge que le parcours professionnel et politique que sont ces quatre nouveaux secrétaires d’État : Emmanuelle Wargon, Christelle Dubos, Agnès Pannier-Runacher et Gabriel Attal.
Didier Guillaume, aura, lui, la mission de rassurer le monde agricole.
Une autre personnalité de terrain intègre le ministère : Laurent Nuñez, nouveau secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur. Cet homme solide a des origines populaires, un don de stratège indubitable, le sens du contact et le goût de l’action. Né à Bourges, berrichon de cœur mais issu d’une famille pied-noir d’origine andalouse, il s’est imposé par son sens des réalités, sa volonté et sa capacité d’initiative. Certes, il a été élève de l’ENA, mais a intégré cette école par concours interne, alors qu’il était inspecteur des impôts, à trente-trois ans. Sa carrière de haut-fonctionnaire s’est déroulée non au sein de l’inspection des finances ou du corps diplomatique, mais dans la préfectorale et la police. Sous-préfet, puis préfet de police de Marseille, il a été confronté aux plus âpres problèmes de société, comme le trafic de drogue, les diverses formes de criminalité, le terrorisme, les difficultés du monde de l’industrie et le chômage. Depuis un peu plus d’un an, il dirigeait la DGSI (anciens Renseignements généraux). Macron et Philippe comptent sur lui pour réconcilier le pouvoir avec les forces de l’ordre, en proie à un malaise exacerbé, ce que son expérience et sa carrure peuvent lui permettre de réussir.
Il convient de noter que les poids lourds de l’État macronien restent en place, et (sauf Castaner) aux mêmes fonctions : Le Maire, Le Drian, Darmanin, Pénicaud, Blanquer, Borne, Buzyn, Parly, Belloubet.
La poursuite de la politique macronienne, ramenée au plus près des gens.
Que nous apprend, en définitive, ce remaniement ?
Tout d’abord, que rien d’essentiel ne change ; ce qui est normal, puisque M. Macron reste président de la République, et M. Philippe, Premier ministre. La politique poursuivie depuis mai 2017 sera donc maintenue sans révision significative. Et les hommes et femmes de LREM continueront de dominer l’État, avec le même dosage entre transfuges de la gauche, transfuges de la droite et nouveaux venus, sans passé militant. Mais le temps n’est plus aux paillettes de la fête du printemps 2017 : les ors macroniens ont pâli, le président a un an de plus, et sa politique, si elle n’est pas massivement rejetée, est jugée tout de même trop favorable aux nantis, aux winners et aux jeunes actifs-consommateurs, et trop défavorable aux laissés-pour-compte, aux chômeurs, aux travailleurs précaires et aux retraités. Il est temps pour le pouvoir actuel de cesser de paraître consister en une équipe de supermen et superwomen qui font de la loi du marché mondial leur credo, taillent dans le vif, favorisent sans vergogne les forts, les heureux et les prétendus « créateurs de richesses », et aggravent la condition des plus vulnérables sous prétexte de leur préparer un avenir meilleur, tout cela sous l’autorité d’un Jupiter issu des beaux quartiers, de l’inspection des finances et de la haute banque. Ce sera la fonction essentielle de Jacqueline Gourault et Laurent Nuñez que de corriger cette image en apportant à l’action gouvernementale leur profil de décideurs sobres, fermes, efficaces et proches de la population.
Avec eux, l’heure du retour au peuple et aux réalités concrètes semble avoir sonné, et le gouvernement se colore d’une touche de Pinay. Avec ce que cela fait naître de perplexité.
Par Yves Morel
Nuñez : des décideurs qui ressemblent à des premiers de cordée.