Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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Institutions. Une réforme institutionnelle de plus : elle se décline en tant de sujets que personne ne s’y retrouve et qu’elle donnera lieu à mille controverses.
Emmanuel Macron, tenant là l’une de ses promesses électorales, met en place une réforme institutionnelle de grande ampleur. Institutionnelle et non pas constitutionnelle, ou pas seulement. Parmi les mesures proposées, certaines relèvent en effet de la loi ordinaire – c’est le cas pour l’introduction de la « dose de proportionnelle » ; d’autres, des lois organiques – la réduction du nombre de parlementaires ou le non-cumul des mandat dans le temps ; d’autres, enfin, demandent effectivement une révision de la Constitution – réforme du Conseil Constitutionnel ou ajout de la Corse. On l’aura compris avec ces quelques exemples, il s’agit d’une réforme de grande ampleur dont il faut essayer de donner une vue synthétique.
La première mesure est la réduction de 30% du nombre de parlementaires : on passerait ainsi de 577 députés à 404 et de 348 sénateurs à 244. Cela nous placerait à un rapport élus/habitants de 1 député pour 150 000 habitants, quand la moyenne internationale est plus proche de 1/100 000, mais en tenant compte des députés élus à la proportionnelle, qui n’auront pas d’ancrage local, on arrive à un député pour 175 000 habitants. Est-ce essentiel ? Le député n’est pas l’élu d’une circonscription, mais il est élu dans une circonscription, qu’il n’a nullement pour tâche de représenter à l’Assemblée nationale, n’intervenant que pour représenter la nation. Certains regrettent de le voir transformé en assistante sociale ou aider à sa réélection en favorisant sa circonscription, d’autres considèrent qu’il doit conserver un lien avec « le terrain », et les deux approches ont leur part de vérité.
La deuxième mesure est l’introduction d’une « dose de proportionnelle », soit 15% des sièges de l’Assemblée nationale (60 ou 61), quand François Bayrou en voulait 30%. On connaît les termes du débat, tous faussés. La proportionnelle permettrait d’abord « le règne des partis », qui établissent les listes et attribuent les places éligibles. Mais ces mêmes partis attribuent aussi les circonscriptions « gagnables » lors d’élections au scrutin majoritaire, et si des « barons locaux » arrivent à s’imposer, n’est-ce pas dû parfois à un « arrosage » de leur circonscription tenant bien peu compte de l’intérêt national ? Là encore, rien n’est simple.
Cette proportionnelle est censée permettre aux « petits partis » de s’exprimer. Effectivement, certains partis actuellement sous-représentés pourront avoir des élus et même, pourquoi pas, un groupe politique – 15 membres actuellement, mais ce chiffre devrait être abaissé pour s’adapter au nouveau nombre de parlementaires. Mais, « en même temps », la diminution du nombre de circonscriptions et l’art du découpage électoral pourraient bien faire perdre à ces petits partis leurs derniers élus au scrutin majoritaire…
Ce redécoupage des 343 nouvelles circonscriptions, – au lieu, rappelons-le, de 577 – promet d’ailleurs d’être difficile. L’idée qui prévaut dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, est que l’écart en nombre d’habitants entre deux circonscriptions d’un même département ne doit pas excéder 20%, et que chaque département doit avoir au moins un député. Sachant que la Lozère est peuplée de… 76 607 habitants, on constatera que l’on est mal parti ! D’où l’idée de sortir des limites départementales pour le redécoupage prévu…
Et comment voter ? Un seul bulletin, avec deux cases à cocher, l’une pour le scrutin majoritaire, l’autre pour le proportionnel ? Ou deux ? On parle de ne laisser que le bulletin du scrutin majoritaire, le fait d’avoir voté pour ce candidat entraînant automatiquement un vote pour la liste nationale du parti auquel il appartient. On saisit l’intérêt : éviter que l’électeur accompagne un vote de proximité d’un vote « défouloir », mais, outre qu’en procédant ainsi on porte une grave atteinte à la liberté du suffrage, que faire pour les candidats indépendants ? En tout cas, les places seront chères aux prochaines élections…
Troisième mesure, la limitation du cumul des mandats dans le temps à trois consécutifs pour les parlementaires, les exécutifs des collectivités départementales et régionales, et ceux des communes de plus de 9 000 habitants. Fallait-il poser cette limite ? Si un élu fait plus de trois mandats (soit de 15 à 18 années selon les cas), c’est qu’il est réélu, et cette limitation porte atteinte à la liberté du suffrage. De toute manière, elle est appelée à être contournée puisqu’il s’agit de trois mandats consécutifs, et qu’une interruption ferait repartir le compteur à zéro. Or cette dernière pourrait être, dit-on, d’une seule année, et par un jeu de chaises musicales les exécutifs des collectivités locales pourraient assez peu changer.
Voilà pour les réformes les plus souvent citées. D’autres visent le travail parlementaire, avec une même idée, celle de gagner du temps : accélération de la procédure de vote définitif de l’Assemblée nationale, après échec de la Commission mixte paritaire qui réunit députés et sénateurs ; raccourcissement du délai d’examen des projets de loi de finance et de financement de la Sécurité sociale ; accélération de la procédure des ordonnances.
Sous réserve que l’examen parlementaire reste crédible, on peut le comprendre. Les dernières réformes avaient placé les commissions au cœur du travail parlementaire, tournées vers l’aspect technique de la procédure législative, quand la séance plénière devait être essentiellement le lieu du débat politique. On sera plus réservé avec la possibilité pour le gouvernement de modifier l’ordre du jour pour les textes qui sont relatifs à « la politique économique, sociale et environnementale », ce qui, on en conviendra, est bien large.
Toujours pour aller plus vite, en limitant cette fois les obstructions, viennent des limites touchant au droit d’amendement des parlementaires. On a retiré du projet de loi l’idée saugrenue – et vraisemblablement inconstitutionnelle – de lier le nombre d’amendements à l’effectif des groupes parlementaires. On veut, par contre, ajouter des irrecevabilités dans l’article 41C pour interdire les amendements « sans lien avec le texte » ou « dépourvus de portée normative ». C’est judicieux… mais c’est déjà le cas : les « cavaliers législatifs », ces amendements sans rapport avec le texte sont prohibés, et le Conseil constitutionnel rappelle régulièrement que la loi doit avoir un caractère normatif et sanctionne les « neutrons législatfs ». Ajoutons que les parlementaires ne sont pas les seuls fautifs, car le gouvernement, qui n’est pas concerné par cette réforme, use parfois de son droit d’amendement de fort curieuse manière.
On comprend mieux certaines réserves des parlementaires – et notamment celles du président du Sénat, Gérard Lacher –, qui évoquent une limitation de leurs pouvoirs. Cette limitation devait être compensée par des pouvoirs accrus de contrôle du parlement sur le gouvernement. Or il n’en est rien. La diminution du nombre de parlementaires nécessaires à la saisine a priori du Conseil constitutionnel (40 au lieu de 60) est une simple adaptation à la diminution du nombre de parlementaires. Reste bien un élargissement de la saisine de la Cour des comptes, mais on sait que les décisions et rapports de cette dernière ne sont pas toujours efficaces pour changer les comportements.
Que reste-t-il ? La fin de la nomination des anciens présidents de la République au Conseil constitutionnel, mais seul l’inoxydable Giscard d’Estaing y siège encore : Chirac ne peut plus, Sarkozy ne veut plus et Hollande n’a jamais voulu. Cela ne changera que partiellement la question toujours récurrente de la « politisation » du Conseil puisqu’y siègent nombre d’anciens politiques. La disparition ensuite de cette Cour de justice de la République où les parlementaires (12 sur 15 membres) étaient censés juger les délits commis dans l’exercice de leurs fonctions par les membres du gouvernement. Mais par quoi va-t-elle être remplacée, juridiction spéciale ou juridiction normale intervenant après un filtre ? Toujours dans le domaine de la Justice, la nomination des magistrats du Parquet devrait se faire sur avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature – on a échappé de peu, et on peut s’en féliciter, que ce soit sur proposition de ce même CSM.
Et les citoyens ? On trouve bien le droit pour un Conseil Économique, Social et Environnemental, qui serait réduit de moitié – il compte actuellement 233 membres – de transmettre des pétitions de plus de 500 000 signatures aux Chambres, ces dernières pouvant créer une mission d’information ou déposer une proposition de loi. On n’aura pas la cruauté de rappeler, d’abord, que cela existe déjà ou presque, ensuite la grossièreté partisane d’un Jean-Paul Delevoye, président du CESE, s’asseyant sur la pétition de la Manif pour tous…
Les collectivités locales auront des facilités supplémentaires pour « expérimenter » des textes, avec cette différence qu’à l’issue de la dite expérimentation, il ne s’agira plus d’étendre aux autres collectivités cette compétence, mais seulement de la confirmer pour la collectivité qui l’aura expérimentée. Mise en place d’une décentralisation à la carte donc, avec, là encore, un bon et un mauvais côté de la réforme, selon que l’on soit plus girondin ou jacobin !
Restent, cerise sur un gâteau déjà important, trois introductions dans la Constitution : la lutte contre les changements climatiques, que certains avaient espéré voir placée à l’article 1er, mais qui devrait se retrouver à l’article 34 (fixant le domaine de la loi), où elle fera doublon ou presque avec la protection de l’environnement introduite en 2005 ; un service national universel, là encore à l’article 34, dont personne ne sait ce qu’il sera – sinon qu’il sera tout sauf « universel » ; et la Corse, intégrée quelque part du côté de l’article 72 sans que l’on sache bien comment.
Voici les éléments actuellement en cours d’examen par le Conseil d’État. Et après ? Une déclinaison de la réforme en lois ordinaires, organiques ou constitutionnelles selon le cas, sachant que le fameux « veto » du Sénat ne pourra jouer, en dehors des textes qui le concerneraient, que sur les lois constitutionnelles. Selon l’article 89 de la Constitution, il faudrait en effet un vote du Congrès à la majorité des 3/5 pour parachever la procédure par la voie parlementaire. Mais, d’une part, le Président a, dans ce cadre de l’article 89, la possibilité de demander un référendum, et, d’autre part, ressurgit comme toujours le spectre de l’utilisation de l’article 11 qui permettrait de contourner le Parlement.