Officiellement pour appeler les Français à être « responsables », le Gouvernement et les principaux médias répètent que l’hiver va être froid (c’est la faute au réchauffement climatique anthropomorphique), que l’énergie va être chère et même manquer (parce que la Russie a envahi l’Ukraine) et que, dès lors, il va falloir mettre un pull à col roulé ou se résigner à avoir froid.
Dans une Ve République qui survit par la peur qu’elle entretient dans la population, la démagogie et l’idéologie sont devenues les deux mamelles du système. En examinant ce qu’il est advenu de l’électricité en France on ne pourra que constater que ces deux caractéristiques sont en fait des armes de destruction massive, ici employées contre l’économie du pays.
Démagogie et idéologie
La Ve République est en train de sombrer avec l’élection du chef de l’État au suffrage universel qui a besoin d’un appareil partisan pour financer sa campagne électorale et pour animer les réunions au cours desquelles il ne peut se démarquer de ses concurrents que par le recours à des idées abstraites préconçues. Et comme, pour être élu, il lui faut ratisser large, tous font désormais appel à des idées générales dont ils ne cherchent pas à savoir si elles sont compatibles les unes avec les autres ni si elles sont réalistes. Les élections se font plus sur des slogans habilement martelés que sur des réflexions relatives au bien commun qu’il s’agit de promouvoir et préserver. Comme cette première dérive de la Constitution avait eu comme conséquence de porter au pouvoir des hommes qui ne professaient pas forcément les mêmes idées que les représentants du peuple élus à un autre moment, on a modifié la Constitution pour faire coïncider les deux mandats : on avait ainsi plus de chances que le chef de l’Éxécutif soit en accord total avec le Parlement. Mais ce faisant on a transformé le président de la République d’arbitre national chargé de l’unité du pays en un simple chef de parti qui profite du court laps de temps qui lui est donné pour essayer de faire triompher ses idées personnelles. C’est le Conseil Constitutionnel lui-même – nommé par les tenants du pouvoir à un moment donné – qui a porté le coup de grâce aux institutions en interprétant la Constitution à la lueur de « principes » issus de la Convention des droits de l’homme et du citoyen et en faisant allégeance aux « valeurs » portées par la Commission européenne. C’est donc bien cette évolution de la démocratie dans un monde où tout est médiatisé qui a poussé à la domination des idéologies. La politique n’est plus l’art du possible mais la tyrannie des idées, et d’idées qui ne sont pas issues toutes d’une même philosophie mais de divers courants de pensée que l’on fédère provisoirement dans le seul but d’exercer sa domination le temps d’une législature. Nous allons illustrer ce propos en mettant l’accent sur deux idéologies particulières à l’origine de la crise énergétique actuelle.
Idéologie européiste
Sur les ordres de la Commission européenne, la France a démantelé son fleuron industriel qu’était EDF et dissocié la production de l’électricité de son transport et de sa distribution. Si l’entreprise a été consentante, c’est bien aussi parce qu’elle était dirigée par des hauts fonctionnaires qui ne pouvaient rien refuser à ceux qui régentent le pays sous le couvert des idéologues élus. La production a continué à être assurée par EDF car le coût des investissements et l’importance du savoir-faire sont tels que l’on ne peut pas du jour au lendemain susciter des concurrents. Le transport a été confié à une entreprise dite d’intérêt général à laquelle on a appliqué des règles similaires à celles qui permettent aux routes de laisser circuler librement des véhicules indépendants les uns des autres. Quant à la distribution, elle est désormais assurée par des « concurrents » car, cela est bien connu, la libre concurrence est le système économique le plus apte à susciter des baisses de prix ! Mais ces distributeurs ne produisent pas l’électricité ; ils doivent donc l’acheter avant de la revendre, en l’état, aux consommateurs. Pour qu’ils puissent être véritablement concurrents d’EDF distributeur, il ne faut pas que cette dernière puisse profiter d’une rente de situation et fixer son prix de vente librement, d’où le système invraisemblable mis en place pour satisfaire aux obligations imposées par Bruxelles et dont on verra ci-dessous le détail. Ce système est générateur de superprofits pour les distributeurs privés et de superdéficits pour l’unique producteur public. De plus, comme on est passé du marché commun, dans lequel doit prévaloir une certaine solidarité, au marché unique dans lequel tout le monde doit obéir aux mêmes règles, les erreurs de chaque pays membre de l’Union se répercutent sur les autres. Dans l’économie d’après-guerre on craignait ce que l’on appelait l’inflation importée ; aujourd’hui, on a fait des progrès, on lui a ajouté la pénurie, la pauvreté et la pollution importées.
Idéologie écologiste
Ces autres conséquences ne découlent pas uniquement de l’idéologie européiste mais sont aussi le fait de l’idéologie écologiste. En effet, les écologistes sont partis en guerre contre deux sources d’énergie différentes, les deux seules qui soient vraiment efficientes : le nucléaire d’une part et l’énergie fossile d’autre part. La première est insidieusement dangereuse – surtout quand elle n’est pas maîtrisée – et la seconde est génératrice de CO2, gaz à effet de serre dont ils disent qu’il est à l’origine du réchauffement climatique. Pour satisfaire les idées des écologistes et s’attirer leurs voix au cours des différents scrutins, on a donc décidé de « sortir du nucléaire », avant d’y revenir (sans compter la vente de la division énergie d’Alstom à General Electric, puis son rachat au prix fort) ; on a décidé d’arrêter les centrales à charbon avant d’être obligés d’y recourir à nouveau, après avoir unilatéralement décidé l’embargo sur le pétrole et le gaz russes que l’on avait précédemment privilégiés car ils étaient peu chers et faciles d’accès. Les écologistes ont aussi poussé au développement de l’énergie éolienne qui défigure le paysage, abîme les sols, entrave les migrations de certaines espèces d’oiseaux, rend fou le bétail et qui ne fournit de l’électricité qu’en fonction des caprices du vent, lequel est souvent absent aux moments exacts où on aurait le plus besoin d’avoir de l’électricité disponible. Dans le même temps, toujours poussé par cette idéologie écologiste, on a poussé au tout électrique, ce qui passe très bien dans l’opinion publique car les consommateurs ne voient pas la pollution que cela génère. Ce ne sont pas eux qui émettent des gaz à effet de serre, mais les producteurs des pales pour éoliennes ou de batteries pour voiture électrique.
On a ainsi réussi un coup double : nous avons perdu notre indépendance énergétique mais nous avons aussi trouvé le moyen d’exporter la pollution générée par notre mode de vie. Jusqu’à quand et jusqu’où ? Car, en entravant notre production électrique nous tuons notre industrie et nous perdons la maîtrise de notre avenir.
La sortie de la crise actuelle ne peut donc être que fondamentalement politique. Il faut que notre régime et nos institutions ne dépendent pas d’un système qui favorise les plus basses démagogies lesquelles permettent aux idéologies de triompher du sens de l’État et font perdre de vue aux gouvernants, à quelque bord qu’ils appartiennent, la raison d’être de leur mission : le service du bien commun.
L’avatar UE du classique marché de l’électricité français d’autrefois
Le marché de l’électricité n’a aucun équivalent dans tout le système économique. C’est pourquoi la spécificité dont il est question ci-après aurait dû mettre en garde des gouvernants français compétents et surtout soucieux de préserver les intérêts de leur pays, face à un projet UE de libéralisation dangereusement cousu de fil blanc.
Dans tout réseau interconnecté, le bouclage de l’offre électro-énergétique sur la demande se fait à chaque instant par « ordre de mérite » : on recourt d’abord aux usines hydroélectriques « fil de l’eau » dont la production serait perdue si elle n’était pas sollicitée, puis aux usines dont le coût du combustible est le plus faible, généralement les centrales nucléaires, ensuite aux centrales classiques (charbon, fuel, gaz) les moins coûteuses et enfin aux centrales permettant de boucler la demande sur l’offre, dont le coût du KWh est le plus cher. Or, c’est à ce coût qualifié de « marginal » qu’est rémunérée l’ensemble de la production électrique : en dessous, la centrale « marginale » refuserait de tourner ; au-dessus, d’autres centrales moins coûteuses s’offriraient aussitôt en substitution, l’obligeant à réduire immédiatement ses prétentions.
Transposer loyalement un tel système à l’échelle européenne devait donc logiquement assurer à la France une confortable rente nucléaire… et mettre notre pays en situation de tuer rapidement un aussi surréaliste marché. Hélas, c’était sans compter avec l’obsession colbertiste française de conserver des tarifs administrés du KWh jugés incompatibles avec la doctrine du « marché libre et non faussé ». La contrepartie connue sous le nom de loi NOME dut donc être concédée à une UE qui n’attendait que ça. C’est à la Nouvelle Organisation du Marché de l’Électricité, promulguée en 2010, qu’on doit le scélérat dispositif ARENH ayant quasiment tué EDF. L’Accès [paraît-il] Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique oblige EDF à vendre à ses concurrents 140 de ses TWh annuels à 42 euros le MWh, largement en dessous de leurs prix de revient, notamment quand, comme tous les Européens, elle est contrainte de les acheter sur le marché UE au prix « marginal gaz » oscillant entre 200 et 300 euros le MWh !