Paris, France, le 28 fevrier - Valerie Pecresse tient un agneau dans ses bras. Derriere elle, Christian Jacob, president Les Republicains.
Valerie Pecresse, candidate Les Republicains a l election presidentielle de 2022 et presidente de la Region Ile de France s est rendue au Salon International de l Agriculture qui a lieu du 26 fevrier au 6 mars.//BREGANDCELINE_1.0972/2202281739/Credit:CELINE BREGAND/SIPA/2202281744
Valérie Pécresse peut sembler, de prime abord, le plus redoutable adversaire de Macron. Elle connaît parfaitement les arcanes et le fonctionnement de l’État et du gouvernement. Ancienne élève de l’ÉNA, elle a été successivement chargée de mission à la présidence de la République (1998-2002), ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (mai 2007-juin 2011), ministre du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l’État (juin 2011-mai 2012). Elle n’a donc rien d’une novice. Elle a su se battre dans l’arène et gagner. Députée des Yvelines de 2002 à 2007 et de 2012 à 2016, elle a été, à l’Assemblée nationale, rapporteur du budget des établissements pénitentiaires et de la protection judiciaire des jeunes. Et, depuis décembre 2015, elle préside la première région française, l’Île-de-France. On peut donc augurer qu’avec une telle expérience de la vie politique et de l’exercice des fonctions de pouvoir, elle sera loin d’être désarmée à l’Élysée, si elle y accède. Par ailleurs, diplômée de HEC, elle possède une compétence économique certaine ; enfin, elle maîtrise l’anglais, le japonais et le russe, ce qui, dans le contexte actuel, peut être un avantage appréciable. Aucun des autres candidats à la succession de Macron ne présente un profil aussi flatteur de possible chef d’État.
Peu de prise sur l’électorat
Pourtant, sa campagne marque le pas. La brillante candidate LR piétine et ne parvient pas à s’imposer à l’opinion. Elle est au-dessous de Marine Le Pen et surtout loin derrière Emmanuel Macron. Et, à quelques semaines de l’échéance cruciale, on peut douter de sa capacité à rattraper son retard sur Macron et même de la certitude, pour elle, de figurer au second tour de l’élection. Ce second tour pourrait se présenter comme une réplique de celui de la présidentielle de 2017.
Comment expliquer que la candidate Pécresse, censée faire un malheur, donner des nuits blanches à Macron et invalider le scénario déjà écrit de l’élection présidentielle, peine à séduire nos compatriotes, malgré son cursus politique et ses indéniables qualités ?
Trop semblable à Macron
L’explication est très simple. En premier lieu, Valérie Pécresse ressemble trop à son grand concurrent. Son profil est celui-là même du président : origines familiales bourgeoises, ENA, haute fonction publique, mission à l’Élysée, fonctions ministérielles. Les deux candidats appartiennent au même monde, celui de la haute administration, du microcosme politique, et des classes dirigeantes. Et cela suffit à les identifier totalement l’un à l’autre aux yeux et à l’esprit de l’immense majorité des Français qui ne font pas partie de ce monde et le considèrent comme la sphère des privilégiés, d’une élite incapable de résoudre leurs problèmes, auxquels elle est étrangère, et dont les visions de la réalité et de l’avenir ne sont pas les leurs.
Par ailleurs, nos compatriotes ne discernent pas les différences proprement politiques des deux candidats. Comme l’a récemment reconnu un membre de l’équipe de Valérie Pécresse : « Dans l’esprit des gens, Pécresse et Macron, c’est la même chose ». Les différences entre les deux rivaux existent, mais n’apparaissent guère qu’aux gens dotés d’un minimum de culture politique, et qui se donnent la peine d’examiner par le menu les programmes des candidats, ce qui n’est le cas que d’un petite nombre de personnes, la plupart du temps instruites et appartenant aux classes aisées, et non celui de la plupart des hommes et des femmes de ce pays, trop peu ferrés en ce domaine, trop accaparés par les innombrables soucis de leur vie quotidienne, et n’ayant ni le goût ni le loisir d’étudier attentivement les professions de foi des uns et des autres. Gérald Darmanin a déclaré fort justement : « Valérie Pécresse est une bonne candidate pour Versailles, pas pour Tourcoing ».
Un profil de dirigeante peu attrayant
Les différences entre les deux concurrents sont imperceptibles à la plupart des électeurs, et en tout cas trop subtiles pour qu’ils en saisissent la portée réelle et ne les considèrent pas comme de simples nuances.
Ainsi, la candidate LR se présente volontiers comme plus conservatrice que l’actuel président, notamment en matière sociétale. Mais, opposée au mariage homosexuel en 2013, elle a depuis renoncé à le remettre en question. Elle passe aussi pour plus sécuritaire que Macron ; mais elle s’est contentée, en Île-de-France, de faire installer des caméras de vidéosurveillance dans les autobus, le métro et certains lycées.
Elle prétend se démarquer de Macron par son rapport à l’action politique et à l’opinion publique. Le président sortant, à l’en croire, serait bridé par le souci de plaire ou d’éviter de déplaire, tandis qu’elle-même se distinguerait par sa détermination. Ce qu’elle résume en disant que Macron est « l’homme du plaire », alors qu’elle est « la dame du faire ». Jolie formule, mais qui n’envoûtera pas les Français. De par certaines de ses réformes (du Code du travail, des retraites), le président sortant s’est montré capable de braver l’impopularité. L’expression pécressienne de « dame du faire » évoque, naturellement, la « dame de fer » britannique des années 1980, Margaret Thatcher, modèle peu apprécié en France. Valérie Pécresse en est consciente, qui précise que si elle peut et veut évoquer Mme Thatcher pour la force de sa volonté, elle entend surtout imiter Angela Merkel, l’ancienne chancelière allemande, pour son sens de la négociation. Elle se déclare « un tiers Thatcher, et deux tiers Merkel ». Elle va jusqu’à se vouloir « une Merkel française ». Outre le fait que cela lui serait difficile en raison des différences existant entre les contextes politiques allemand et français, il n’est pas certain que cette ambition séduise nos compatriotes, lesquels n’ont qu’une vague connaissance de l’œuvre de l’ancienne chancelière, et n’inclinent pas à l’admirer au point d’en souhaiter une incarnation française.
Un programme libéral rebutant pour les classes modestes
Le programme économique de Valérie Pécresse a d’ailleurs de quoi rebuter une grande majorité de nos compatriotes, dont on sait les conditions de vie et de travail difficiles. Des propositions comme la suppression de 200 000 postes dans la fonction publique, le recul de l’âge de la retraite à 65 ans, l’enterrement total et définitif de la semaine de travail de 35 heures, la diminution des allocations d’indemnisation du chômage, et le désengagement de l’État des entreprises où il est encore actionnaire minoritaire, hérisseront la plupart des Français. Les Français sont légitimement attachés à des services publics capables de fonctionner de manière satisfaisante, dont ils ont besoin ; ils ne veulent pas travailler jusque dans leurs vieux jours et se méfient des risques et autres aléas d’un système de retraite par capitalisation ; ils tiennent à leur protection sociale contre le chômage et la maladie ; et ils se méfient des privatisations systématiques et des jeux de bourse. La candidate LR aura du mal à les persuader que la mise en œuvre de ses propositions relancera puissamment notre économie et, par voie de conséquence, les mettra à peu près à l’abri du chômage, d’indemnités et pensions insuffisantes pour vivre, et ne décevra pas leurs attentes vis-à-vis du service public. D’autant plus qu’ils ont durement ressenti les réformes de Macron dans les domaines du travail et des retraites, et en faveur des détenteurs de capitaux, au point de considérer leur auteur comme le « président des riches ». Autrement dit, ceux qui prendront connaissance des propositions de Madame Pécresse les percevront d’emblée comme l’aggravation de la politique du président sortant, dont ils se plaignent pour la plupart.
Il est vrai qu’à y regarder de près, Valérie Pécresse envisage une véritable révolution socio-économique, fondée sur une relative désétatisation de l’économie de notre pays. Libérale, elle entend faire en sorte que l’économie se soutienne par le travail et non par l’impôt et les charges. Aussi, elle envisage également une nette diminution de la part patronale des cotisations sociales, avec en contrepartie une augmentation de 10 % des salaires, la complète défiscalisation des heures supplémentaires, et la totale libération du cumul de la retraite et d’un nouvel emploi.
La réussite d’une telle politique semble bien incertaine en un pays de tout temps dirigiste comme le nôtre. On imagine mal qu’elle transforme les patrons en entrepreneurs et investisseurs audacieux et les salariés en travailleurs dynamiques courant après les heures supplémentaires et devenant des consommateurs assez friands pour assurer l’essor économique du pays. De plus, ce programme peut séduire des chefs d’entreprise, mais pas le gros de la population.
Une candidate proche surtout des classes aisées et moyennes supérieures
Seule la politique familiale de la candidate pourrait séduire un large électorat. Valérie Pécresse préconise la défiscalisation totale des donations entre vivants (tous les six ans, et non tous les quinze ans, comme actuellement) à hauteur maximale de 100 000 euros en ligne directe, 50 000 en ligne collatérale, l’abolition des droits de succession à hauteur d’un héritage de 200 000 euros en ligne directe, de 100 000 en ligne collatérale, la généralisation du prêt à taux nul pour les primo-accédants sur le territoire français, la revalorisation des allocations familiales (allocation de 900 euros dès le premier enfant, augmentation des allocations de 15 % pour les deuxième et troisième enfants), le relèvement à 74 % des pensions de reversion aux veuves, le versement à l’enfant handicapé de la pension de reversion du dernier parent survivant.
Propositions fort louables, certes, mais qui plairont bien davantage aux classes aisées et moyennes supérieures qu’aux gens des couches les plus modestes, peu susceptibles d’y trouver un intérêt quelconque, pour eux-mêmes et leurs enfants, et assaillis par des préoccupations bien plus urgentes, telles que leur niveau de vie, leurs conditions d’existence et de travail, le risque ou la situation du chômage, les hausses des cours des carburants, de l’électricité et du gaz, etc. De plus, Chirac, en 1995, Sarkozy en 2007, Macron en 2017, avaient préconisé des mesures analogues à celles de Madame Pécresse, que nous venons d’énumérer, et qui n’avaient jamais vu le jour.
Une droite républicaine coupée du peuple
À vrai dire, Valérie Pécresse arrive à un mauvais moment, celui de l’extrême lassitude des Français à l’égard de la classe politique. Après avoir été écœurés des socialistes et de la gauche caviar bien-pensante, mondialiste, libérale-libertaire et bobo, ils en ont soupé de ces hommes et de ces femmes de droite qui prétendent faire retrouver au pays le chemin du bon sens, de la prospérité et de la possibilité pour chacun de se construire un avenir décent. Ils se sont fait gruger successivement, répétons-le, par Chirac (1995), Sarkozy (2007) et Macron (2017), ce dernier grossi du transfuge de nombre de caciques socialistes. Il semble douteux qu’ils adhèrent au discours de Valérie Pécresse, dont ils voient bien qu’il n’est, en gros, qu’une resucée de ceux des derniers présidents de droite, du temps où ils menaient campagne. Par ailleurs, les chefs de la droite républicaine, de Chirac à Pécresse en passant par Sarkozy, et Macron lui-même, sont naturellement et ne peuvent être autre chose que les représentants d’esprit et de cœur d’une classe dirigeante de hauts fonctionnaires et de managers animés par la même vision du monde et de l’avenir, et persuadés de la parfaite coïncidence de l’intérêt général avec le leur. Au fond, leurs divergences mutuelles expriment seulement leur rivalité dans la course au pouvoir et n’ont, en soi, que peu de substance. Et cela, les Français le perçoivent intuitivement. Aussi, ils ne voient pas pourquoi ils échangeraient Macron pour Pécresse, d’autant plus qu’ils prévoient qu’aucun des deux ne disposera, par la suite, d’une majorité de députés et qu’ils seront donc obligés de s’entendre, ce qu’ils feront aisément.
Illustration : Moi aussi, j’aime les bêtes, et les gens.