Intellectuel, urbain et ancré à droite, le mouvement Reconquête ! attire surtout l’électorat des villes et régions aisées, celles qui constituent le gros du vivier d’En Marche. La preuve par les chiffres.
Au premier tour de l’élection présidentielle, Éric Zemmour et le tout jeune parti Reconquête ! ont fait des scores étonnants à Paris, en particulier dans les quartiers huppés : 10,5 % dans le 6e arrondissement, 13,9 % dans le 7e, 15,3 % dans le 8e, ou encore 17,5 % dans le 16e. Même constat à Lyon, où le mouvement obtient ses meilleurs scores dans les quartiers chics. Cette surperformance du vote Zemmour dans des communes aisées qui ont massivement voté en faveur d’Emmanuel Macron au second tour s’observe dans de nombreuses contrées de France. À Enghien-les-Bains (95), ville qui, le 24 avril, a voté à plus de 75 % pour le candidat d’En Marche !, Zemmour avait fait presque deux fois mieux que son score national (13 %). Dans les Yvelines, on le retrouve à 10,6 % à Saint-Germain-en-Laye et même 18,5 % à Versailles. Dans le Val-de-Marne, il fait son meilleur score dans la coquette Saint-Mandé (16,3 %), qui votera à 83 % pour le président sortant au second tour !
Vivier électoral
À l’autre bout du pays, le candidat Zemmour obtient 17,3 % à Cannes, 15,4 % à Saint-Raphaël ou encore 22,4 % à Saint-Tropez. Sur la côte Atlantique, il fait bien mieux dans la très bourgeoise Biarritz (qui votera à 72 % pour Macron au second tour) que dans la voisine Bayonne, plus populaire : 9,9 % contre 7,1 %. A Royan, ville relativement paisible de retraités, il obtient plus de 10 % des voix. En Normandie, même constat : il réunit 15,2 % des suffrages exprimés à Deauville par exemple, mais seulement 6,6 % dans la petite ville rurale de Pont-L’Evêque située à une quinzaine de kilomètres dans les terres. Le constat n’est pas homogène, à l’instar des spécificités électorales des régions françaises, mais il se reproduit dans l’Est. Le département des Vosges, où Marine Le Pen est arrivée en tête au second tour, ne lui donnait que 6,5 % des votes, mais le Haut-Rhin voisin de la Suisse 7,9 %. En Savoie, il obtient ses meilleurs scores dans les stations de montagne riches et actives (13 % à Megève, 12,2 % à Courchevel).
Doit-on s’en étonner ? « Éric Zemmour est un intellectuel et un urbain pur jus, qui a réussi professionnellement et qu’on peut classer dans les Français plutôt aisés, nous confie un observateur de longue date de la vie politique. C’est un peu pareil pour Marion Maréchal, et c’est globalement ce qui se dégage de Reconquête ! : un parti de CSP+ ‘qui se bougent’ ». L’électorat classique de droite s’y reconnaîtrait donc largement. Pourtant, ce n’est pas lui que Reconquête ! a cherché à capter pour ses débuts en politique. Clips, tracts ou courriers d’appels à dons insistaient sur la défense de la ruralité, tandis que la profession de foi officielle faisait lourdement du pied à l’ancien électorat FN avec des phrases de type « Face aux racailles, la peur va changer de camp ». Après le second tour, dans un appel à l’union, Éric Zemmour restreignait le champ d’activité du jeune parti à un passéiste « bloc national ». « Qu’il le veuille ou non, Reconquête ! n’est pas le parti de la France périphérique ou de la France rurale, ce n’est pas comme ça qu’il est perçu et le créneau est déjà pris par le Rassemblement national. En revanche ce mouvement a des atouts pour plaire aux cadres et à la classe moyenne-supérieure, ceux notamment qui sont partis chez Macron ». Le discours si spécifique sur l’immigration ne serait pas une gêne, comme le montre les scores obtenus dans les villes aisées. « Je ne pense pas que ça choque tant que ça la petite et moyenne bourgeoisie – elle a des yeux pour voir. En revanche, ce qui peut la freiner, c’est un discours trop porté sur le passé et pas assez sur le présent et l’avenir, un discours trop axé sur l’État et non sur l’entreprenariat, sur les gens qui souffrent et non sur ceux qui réussissent ». Reconquête !, futur bourreau d’En Marche ! ?