Aux grands maux, les grands remèdes : continuer sur notre lancée libérale et consumériste, c’est aussi, fatalement, en accepter les effets pervers, comme ces lois liberticides . Embrassons l’écologie avant que ses partisans ne nous étouffent.
En raison de l’importance cruciale des questions environnementales, les écologistes ont le vent en poupe et engrangent les succès électoraux. Mais ils suscitent des inquiétudes. Car si nos contemporains sont convaincus de l’urgence de la résolution du problème, ils sont également conscients des contraintes qu’une politique écologique leur imposera. Ils savent que si une telle politique n’est pas menée à bien, la planète deviendra un chaudron, un cloaque et un bouillon de culture. Mais, assez lucides pour gonfler les scores électoraux et le nombre d’élus des écologistes, et pour participer à une convention citoyenne pour le climat, ils ne peuvent se résoudre aux lendemains qui déchantent consécutifs à une politique sérieuse en la matière. Ils en comprennent la nécessité, mais veulent qu’elle ne change en rien leur mode de vie. Et d’aucuns fustigent l’« écologie punitive », d’inspiration idéologique et totalitaire.
Des restrictions douloureuses et inductrices d’un changement de civilisation
De prime abord, leur appréhension paraît fondée. Le projet écologiste implique, en effet, toute une série de règles, interdictions et autres contraintes. Tout le monde s’accorde à dire qu’aucune société ne peut se maintenir ni assurer la sécurité et un minimum de tranquillité sans l’édiction de règles tendant à la restriction des libertés individuelles (ou de groupes donnés) et de sanctions visant à réprimer les infractions pouvant leur être faites. Mais, objectent les anti-écologistes, ces règles et interdictions ne portent en rien atteinte aux libertés publiques telles que les définissent la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et notre constitution. Or, les projets écologistes remettent en question ces libertés universellement reconnues. Ils restreignent notablement les libertés de se déplacer, de consommer (en particulier dans le domaine de l’eau et des sources d’énergie), de créer et faire vivre une entreprise. Par là, et de par les coûts de leur mise en œuvre, ils ont des conséquences sur nos conditions de vie et de travail, sur nos revenus et notre niveau de vie. Ils nous oppriment et nous appauvrissent. Et ils nous traitent en coupables. Durant des décennies, nous avons pillé et gaspillé les ressources naturelles, pollué notre environnement, détruit d’innombrables espèces, voire des écosystèmes entiers, engendré un réchauffement climatique aux effets désastreux ; et, en conséquence, nous devons payer ces fautes, qui sont des crimes et font de nous des « assassins de la planète », suivant le mot d’écologistes extrémistes. Nous devons nous couvrir la tête de cendres, faire acte de repentance et de contrition, et réparer nos erreurs en acceptant une existence faite de sacrifices, condition de notre salut. Le projet écologiste revêt souvent un caractère religieux, ce qui peut choquer un peuple aussi pénétré d’esprit laïque – donc libéral et individualiste – que le nôtre. Et il peut sembler totalitaire. D’autant plus qu’il est global, et susceptible de modifier toute l’organisation de notre société, jusque dans ses principes éthiques. Effectivement, il engendrerait un véritable changement de civilisation. Il nous ferait passer d’une société libérale, individualiste et hédoniste, soit à un nouveau Moyen Âge, soit à une société socialiste spartiate. La crainte de nos semblables à l’égard de ces sombres perspectives est donc compréhensible. Mais sans doute est-elle excessive. Mais la vraie question est : avons-nous le choix ? Et les réponses à cette question sont sans appel.
L’impossibilité d’ajourner une politique écologique contraignante mais indispensable
Les atermoiements et demi-mesures nous sont désormais interdits. Le choix n’est plus entre la préservation des libertés et leur disparition, mais entre leur réglementation nécessaire et des conditions d’existence si pénibles qu’elles menaceraient notre survie même et détruiraient définitivement tout libre exercice de nos facultés. De quelle utilité nous serait notre liberté dans un monde caniculaire cinq mois sur douze, affecté partout par des hivers de type nord-américain ou sibérien, submergé par des océans en crue, irrémédiablement pollué, arrosé de pluies acides, et devenu le royaume de virus générateurs d’épidémies mortelles ? On ne peut être libre en enfer. Et, cette abolition de la liberté par la nature serait redoublée par les mesures qu’il faudrait bien prendre pour essayer tout de même (mais trop tard) d’enrayer la catastrophe écologique. Car pense-t-on que, dans ce but, les pouvoirs publics n’adopteraient pas alors des mesures infiniment plus répressives qu’aujourd’hui, et destructrices des libertés les plus sacrées et consacrées ? Plus on différera l’adoption de mesures écologiques sérieuses, plus ce sera trop tard, et plus l’humanité s’acheminera vers des politiques oppressives (en même temps qu’inutiles). Il convient donc d’accepter, fût-ce à contrecœur, une politique écologique devenue indispensable, et qui apparaît comme le seul moyen de préserver tant notre liberté que notre survie.
Les illusions des solutions alternatives et de la « croissance verte »
Mais il est toujours tentant de s’abandonner aux contempteurs de l’écologie punitive. Le malheur de l’écologie tient d’une part à ce qu’elle ne devient crédible, dans l’esprit du grand public, que lorsque les désastres qu’elle annonce commencent à se faire sentir, et, d’autre part, à ce qu’on s’accroche toujours à l’idée qu’une politique environnementale minimale est possible, qui ne changerait en rien notre mode de vie. On parle alors de « croissance verte » à base de véhicules électriques, de vastes champs d’éoliennes et de panneaux solaires, de bioéthanol, d’installations aspirant les émissions de CO2, etc. Il faut dissiper les illusions qui font croire que ces initiatives suffiront. Nous savons que la résolution (très imparfaite, du reste) du problème exige une réduction mondiale de 6 % des émissions annuelles de CO2, cependant que la capacité d’amélioration de l’efficacité écologique de l’économie est limitée, en quantité d’euros de PIB, à 1,5 % par an. Ceci implique que nous devrons réduire notre PIB de 4,5 % par an, toujours au niveau mondial, et ce jusqu’en 2050. Il s’agit là d’un impératif incompatible avec le maintien – même approximatif – de la croissance actuelle. D’ailleurs, les énergies alternatives citées plus haut seraient fort loin de couvrir les besoins de celle-ci.
L’indispensable changement de modèle économique et social
Un changement de modèle économique et social est donc inévitable. Cela implique de détacher nos valeurs du modèle libéral. Celui-ci est fondé sur l’idée d’une complémentarité naturelle entre l’intérêt individuel bien compris et l’intérêt général, la satisfaction du second découlant mathématiquement de celle du premier par le jeu du marché libre, et l’État intervenant à titre de régulateur de l’activité économique et de correcteur ou compensateur de ses conséquences nocives. Le principe directeur est alors celui de la liberté individuelle (d’entreprendre, de travailler, de consommer, etc.), la solidarité nationale et la justice sociale n’intervenant que par surcroît, à titre d’exigences éthiques et politiques introduites dans le jeu économique. Telle est la base du fonctionnement de notre société contemporaine. Ceci entraîne la subordination du politique à l’économie, et justifie donc une vision « économiste » du monde (qui fit la fortune du marxisme comme du libéralisme). L’intérêt général n’est alors envisagé qu’à l’aune des intérêts individuels, dont il est la somme.
Il sera impératif non d’abolir les libertés individuelles, mais de les accorder à l’intérêt général.
Une telle vision de l’ordre politique et social s’est soutenue aussi longtemps que la continuité globale de la croissance n’était pas mise en question (sinon lors de crises momentanées). Mais la situation actuelle remettant en cause cette croissance continue, c’est, du même coup, toute notre conception de la société et de la politique, et toutes nos habitudes de vie et de pensée qui sont à reconsidérer. Il conviendra d’accorder la prééminence à l’éthique et au politique, et de leur subordonner le jeu économique. Et il sera impératif non d’abolir les libertés individuelles, mais de les accorder à l’intérêt général. Le principe de solidarité devra prévaloir dans les rapports sociaux. L’histoire ne se répétant jamais, cela ne donnera lieu ni à un système socialiste, ni à un nouveau Moyen Âge. L’écologie devra devenir une composante essentielle de la politique, mais pas la seule ; et la priorité écologique ne devra pas devenir unique, malgré sa prééminence indiscutable. Elle devra se garder de toute dérive dogmatique.
La nécessité d’intégrer l’écologie à une politique globale
Surtout, elle devra être cohérente afin d’être juste et efficace. Lorsqu’une politique écologique procède de manière pointilliste, par diverses mesures particulières non intégrées à la politique globale d’un gouvernement, elle a des effets nocifs. C’est ce qu’a montré l’institution de la taxe carbone qui, non incluse dans une politique générale, risquait d’aggraver les difficultés des chefs d’entreprise, transporteurs, VRP et innombrables actifs contraints, par nécessité, de se déplacer avec leur véhicule. Une politique écologique doit, pour rencontrer l’assentiment de la population, prévoir des mesures d’adaptation et d’accompagnement pour les gens qu’elle affectera en premier lieu. Des gens qui triment pour survivre, consomment de l’énergie, et polluent parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement, sous peine de perdre leur emploi ou de périr, ne peuvent accepter une politique écologique qu’à condition que cessent de peser sur eux les contraintes économiques, l’obsession du rendement, la menace du chômage, la peur de la fermeture de leur entreprise.
Se garder des dérives idéologiques et sectaires
Cette insertion de l’écologie dans une politique globale tendant à modifier notre système économique et notre mode de vie heurte certains, qui voient en elle la résurgence d’un socialisme totalitaire régissant un univers aseptisé et réglementé, intermédiaire entre le meilleur des mondes d’Huxley, la social-démocratie étouffante de la Suède et les dictatures communistes. Assurément, une politique écologique sectaire et imbibée d’idéologie pourrait y mener. Et il faut bien admettre que nombre d’écologistes ont cette conception de l’écologie, et entendent nous préparer doucement à l’avènement d’un monde de cauchemar, normalisé, codifié, prohibant toute consommation de chair animale, restreignant les libertés et le nombre de loisirs permis, et régi par un politiquement correct égalitariste et uniformisateur. Il y a là un danger à dénoncer.
Ne pas refuser l’écologie au motif des excès de certains
Cela ne doit néanmoins pas mener au dénigrement systématique du nécessaire combat écologique. L’existence de fanatiques partisans d’un monde totalitaire vert ne doit pas nous inciter à méconnaître la nécessité urgente d’une politique écologique sérieuse, et à accorder crédit à ses contempteurs, qu’ils soient complotistes, adeptes d’une illusoire croissance verte, ou libéraux individualistes. En particulier, il serait tout de même aberrant que des hommes et femmes de la droite nationale, ennemis depuis toujours du libéralisme sans frein, se muassent, par peur d’un socialisme vert, en défenseurs tardifs de la société de consommation.
Illustration : TOUS LES RISQUES NE SONT QUAND MÊME PAS À PRENDRE, ET PEUT-ÊTRE POURRAIT-ON S’ÉPARGNER SANDRINE ROUSSEAU, « ÉCONOMISTE ET ÉCOFÉMINISTE » ?