Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Comment le 11 novembre fut détourné de son sens et vers quel but.
Ce n’est pas celui qui dit : Seigneur, Seigneur, qui entrera dans le royaume des cieux ; chacun connaît la leçon évangélique. Quant à ceux qui disent : paix, paix, les vrais prophètes de l’Ancien Testament préviennent qu’il convient précisément de ne pas se laisser abuser par eux, car c’est là le langage distinctif qui signale les faux prophètes. C’est-à-dire ceux qui veulent se faire aimer des foules égarées, flatter leurs oreilles, endormir leurs cœurs et leurs esprits afin de mieux asseoir leur pouvoir et d’en tirer la gloire personnelle dont ils vivent. Leur paix est si peu la paix véritable qu’à force de tromper et d’émousser la vigilance des bons, elle laisse prospérer les forces du mal jusqu’au moment où elles se déclarent telles qu’elles sont et se mettent à exercer leur ravage. Belle leçon, aussi vieille que l’humanité où la révélation biblique se rencontre avec la sagesse antique. Qui n’a lu Le Maître de la terre de Robert-Hugues Benson ? Son anti-héros est un modèle du genre. Il définit le faux prophète des temps modernes. Il tient le langage de la paix qui réconcilie toute l’humanité au-delà des nations, des religions, des différences de sexe, de race, de milieux sociaux, en assurant à chaque individu son épanouissement et à la collectivité sa prospérité dans la plus large fraternité. Quoi rêver de plus ? La terre devient le paradis. Les morts du passé, sacrifiés aux vieilles chimères des nations et des religions, n’ont finalement et heureusement servi qu’à créer et à rendre indispensable cette société nouvelle où chacun et tous ensemble recevront au-delà de leurs besoins. L’humanité est en attente de l’homme qui saura tenir le langage de cette seule et vraie modernité. Quand il paraît, quel frémissement ! Et lui sait bien quel il est.
La France n’a pas de chef de l’État : un dirigeant qui veille concrètement sur les intérêts français et qui incarne la France dans son histoire et son avenir. En lieu et place, elle a un prophète, très exactement un faux prophète, qui vaticine à longueur de discours du haut de son autorité.
La paix est son leitmotiv lancinant. Quelle paix ? Nul ne sait. Celle qu’il décrète ou plutôt qu’il imagine au rebours de la réalité.
L’homme a réussi à transformer le 11 novembre en une célébration toute à sa gloire personnelle au nom de la paix dont il se fait le héraut. Plus de commémoration militaire ; plus de victoire des armes françaises ; plus de soldats français se battant et mourant pour leur pays, leur foyer, leur clocher, leur terre et leurs morts ; plus de chefs qui ont conçu avec toutes les difficultés du moment la défense et l’attaque ; plus de généraux, plus de maréchaux dont les noms ne figurent même pas dans les discours officiels, mis à l’écart tout simplement, évoqués juste dans de petites phrases idiotes pour répondre aux plus médiocres polémiques à propos du maréchal Pétain qui reste pour l’historiographie militaire l’un des plus sûrs vainqueurs de la Grande Guerre et dont le nom serait, paraît-il, imprononçable…
Rien pour la réconciliation nationale, rien pour la nation, rien pour la gloire de la France historique. Le devoir de mémoire aurait été rempli par une « itinérance mémorielle », expression choisie sans doute pour éviter le mot vrai de « pèlerinage », et qui relève pour les gens avertis d’un vocabulaire d’initié et de pasteur méthodiste. Cette « itinérance mémorielle » devait manifester l’intérêt porté par le prophète aux lieux de mémoire, mais servait « en même temps » de prétextes à des rencontres avec le peuple français ; les morts prêtaient leur caution aux propos de l’homme politique qui a besoin de se refaire une popularité auprès des électeurs.
La confusion des genres fut d’un effet pitoyable. L’Angleterre, la Pologne ont su mieux honorer leurs héros. Ils y ont mis la dignité qui convient.
Puis ce fut le discours sous l’Arc de Triomphe, le jour du 11 novembre où quelques soixante-dix chefs d’État et de gouvernement se trouvèrent rassemblés. Pour écouter quoi ? Une homélie au style emphatique d’un clerc de la religion pacifiste qui voile de patriotisme son utopie prétendument humaniste. Du Hugo et du mauvais, du sous-Briand, du piètre Sangnier : un enfilement de mots qui, prononcés sentencieusement, font le succès des sophistes et des rhéteurs… pour le malheur des peuples. L’évocation des morts, avec ce qu’il faut de trémolos, dissimulait dans une harangue amphigourique une série de pensées qui allaient toutes à la critique de ce qui fut l’histoire vraie et à l’exaltation d’un vague idéal de fraternité mondiale. C’était un « suicide », une « folie », des « fosses communes », de la « rancœur », de « l’humiliation », du « nationalisme » qui est « la trahison du patriotisme ». Mais, heureusement, grâce à Clemenceau, la France est devenue « la combattante du droit », « la combattante de la Liberté » ; « La France serait toujours et à jamais le soldat de l’idéal. »
La leçon pour aujourd’hui ? C’est simple : renonçons au repli, au nationalisme, ouvrons large les esprits et les cœurs au grand idéal que propose hic et nunc…qui ? Eh bien, Macron !
Il faut « se délivrer de nos guerres civiles », lutter contre le réchauffement climatique, l’obscurantisme, les injustices et les inégalités… Tout y est. Il y a, d’un côté, les bons qui sont « invités à mener ensemble le seul combat qui vaille : le combat de la paix, le combat d’un monde meilleur ».
Merkel avait l’air grave, Trump s’ennuyait, Poutine souriait. Tout le monde comprenait que Macron préparait sa prochaine campagne électorale européenne.
Le soir, il remit ça à son Forum de Paris sur la paix dont il dit qu’il « a vocation à se reproduire chaque année et à rassembler les chefs d’État et de gouvernement – et je veux remercier toutes celles et ceux – ça, c’est dans la grammaire à la Macron ! – qui sont ici présents et qui se sont mobilisés (!) – mais également les représentants des organisations internationales, des organisations non gouvernementales, des pouvoirs locaux, des associations, des entreprises, des fondations, des intellectuels, des journalistes, des activistes, comme vous l’avez dit, chère Trisha, toutes celles et ceux (encore !) qui font aujourd’hui le monde et qui peuvent le changer ». Avez-vous remarqué ? Il n’y a plus de peuples ni de nations. Surtout il n’y a plus de France. Macron l’enterre le 11 novembre. Et si bien qu’il décide de faire inaugurer son Forum de Paris sur la paix par Angela Merkel à qui il donne en premier la parole. Évidemment Trump était absent !
Deux communiqués conçus par l’Élysée sanctionnaient ces belles visées d’avenir. Ils sont écrits, comme souvent, en patagon. Le premier fait intervenir le Président français et la Chancelière allemande dans les élections – « soi-disant » élections, dit le communiqué en son galimatias – qui se déroulent dans les régions de Donetsk et de Louhansk en Ukraine. Le second réunit tout le gratin de la gouvernance internationale pour souligner que le progrès et la paix « ne sont durables » qu’au moyen « d’approches multilatérales ».
Macron poursuit ainsi sa stratégie personnelle avec laquelle il pense mettre en défaut tous ceux qui ne s’y rangeraient pas. Voici le but :
Nous partageons une volonté fondamentale d’investir dans les citoyens du monde et de répondre à leurs besoins et à leurs attentes, ainsi que de relever les défis mondiaux. Nous sommes déterminés à travailler ensemble pour construire un avenir sain, prospère, durable et juste pour chacun.
Que voulez-vous répondre au Maitre de la terre ? Ne doutez pas qu’il va poursuivre sur sa lancée. Peu lui chaut le souci des Français, leur épuisement, leur exaspération. Il tient à son idée fixe. Il est sûr de sa stratégie. Il s’est identifié à son utopie, il lutte pour elle, en fait pour lui. Il ignore que le briandisme fut la cause directe de 1940. Il n’envisage pas que ses discours et ses vues puissent mener la France à un désastre. Son monde se délite, sa chère Allemagne même s’en retire. Il continue… Jusqu’où ?