France
Vous dites déni de démocratie ?
L’illégitimité des prétentions du Nouveau Front populaire à diriger le gouvernement.
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Emmanuel Macron comptait sur la désagrégation de la NUPES pour renforcer le Centre : las, le NFP s’est agrégé ! Rediabolisant en un instant le RN et unissant ceux que tout opposait, le « front républicain » prive de toute vraie légitimité ceux qui le composent et condamne le gouvernement à dépendre du seul parti que tous vomissent.
Jusqu’en juin, le paysage politique français comprenait trois blocs : la gauche radicale, autour de La France insoumise (LFI), du parti communiste et des Écologistes, la nébuleuse macronienne, englobant Renaissance, Horizons, le MODEM et l’UDI, et le Rassemblement national (RN), et deux partis ambivalents : Les Républicains (LR) et le Parti socialiste (PS). Le pouvoir était menacé par les oppositions respectives de la gauche et du RN, heureusement pour lui mutuellement ennemies. La politique conduite sous le second quinquennat de Macron avait été impopulaire, et le gouvernement n’avait pu imposer sa réforme draconienne du régime des retraites qu’en recourant à l’article 49-3 de la constitution. On pouvait prévoir que les élections de 2027 se traduiraient par la défaite des macroniens, pris en tenaille entre le bloc du RN et celui de la gauche.
Le seul espoir des macroniens résidait dans leur entente avec les LR, dont l’attitude, jusqu’alors avait louvoyé entre opposition et soutien occasionnel, et avec les socialistes. Ceux-ci manifestaient leur volonté de rompre avec la NUPES qui, depuis 2022, les associait à LFI, au parti communiste et aux écologistes. Réprouvant le programme politique irréaliste de LFI, ils inclinaient à reprendre leur indépendance, et à renouer avec la politique sociale-libérale de Manuel Valls et François Hollande… laquelle ne différait guère de celle de Macron. Olivier Faure ne parvenait à maintenir l’adhésion du PS à la NUPES qu’en bravant, en son parti, une opposition représentant près de 50 % de ses effectifs. Une défection du PS à l’égard de la NUPES était plausible, à terme. La NUPES semblait d’autant plus condamnée, qu’outre le PS, le parti communiste et les Écologistes regimbaient contre la prééminence de LFI. Les macroniens pouvaient donc tabler, pour 2027, sur un rapprochement avec le PS libéré de la NUPES et les LR. Et ce d’autant plus qu’il n’existe entre ces trois formations aucune divergence fondamentale de vues. Tout le monde sait que si le PS ou les LR exerçaient le pouvoir, nous aurions, à quelques nuances près, la même politique que celle de Macron. Et, concernant les Écologistes, il existe des divergences entre les éco-féministes woke du style Sandrine Rousseau, les modérés à la Jadot, et les opportunistes comme Marine Tondelier.
Au printemps 2027, on pouvait donc avoir trois nouveaux blocs se partageant la totalité de la scène politique : une gauche associant LFI, le parti communiste et les Écologistes extrémistes ; un ensemble constitué par les macroniens (ou post-macroniens), LR et le PS ; et le Rassemblement national. Le second de ces blocs pouvait alors espérer remporter la présidentielle et obtenir une majorité (certes courte et relative) à l’Assemblée nationale, à l’issue des législatives qui eussent suivi, la gauche et le RN étant incapables de s’unir pour faire tomber le gouvernement.
Quoique incertaine, cette perspective se présentait comme la seule favorable aux héritiers de Macron. Entre 2024 et 2027, la NUPES se serait décomposée, et le PS et LR se seraient rapprochés des macroniens, certes difficilement, non sans heurts, mais certainement.
En dissolvant l’Assemblée nationale, Macron a voulu arrêter net la progression des oppositions incarnées par le RN et la gauche, LFI en premier lieu. Mais il a aussi, selon toute vraisemblance, voulu précipiter l’évolution que nous venons d’évoquer. Et, ce faisant, il a commis une erreur de stratégie. Laquelle a abouti au résultat inverse de celui qu’il attendait. La NUPES, mourante, a quasiment ressuscité sous la forme d’un Nouveau Front populaire (NFP) qui, pour contrer la stratégie macronienne, a mis sous le boisseau ses divergences internes. Le rapprochement du PS et des LR avec la mouvance macronienne ne pouvait être opéré que de manière très progressive, au terme d’un long processus de discussions et de péripéties. En cette année 2024, elle était prématurée ; ni le PS, ni les LR ne pouvaient conclure d’entente, même tacite et limitée, avec les macroniens ; il fallait laisser du temps au temps.
Le résultat de cette erreur de stratégie du président est aberrant. La France se retrouve avec un Nouveau Front populaire composé de partis qui, en fait, ne sont d’accord sur rien, mais restent unis pour combattre Macron auquel ils s’opposaient depuis 2017, et qui a refusé de leur confier le gouvernement au soir du 7 juillet. Elle se retrouve avec un président et un ministère privés de toute majorité parlementaire et dépendant de la tolérance (provisoire) d’un RN contre lequel toutes les formations politiques se sont liguées au nom de la défense de la République mais qui se trouve ainsi en position de force, voire d’arbitre. C’est une véritable nef des fous, sans le génie de Sébastien Brant ou de Jérôme Bosch. Un navire démâté tenant à la fois du bateau ivre de Rimbaud et du radeau de la Méduse.
Cela dit, les adversaires de Macron sont tout autant que lui dupes de cette situation, ainsi que de leurs propres erreurs. Le panneau du « front républicain », dans lequel les formations de gauche ont donné dès l’annonce des législatives anticipées, les a d’emblée condamnés à la contradiction et à l’impuissance. Le PS a dû ravaler sa critique de LFI et se ranger à ses côtés, tout comme, d’ailleurs, le parti communiste et les écologistes. Les partis de gauche ont ainsi élaboré un programme commun de gouvernement totalement artificiel et dénué de crédibilité, et conclu des alliances électorales de pure circonstance. Pire : tous les partis « républicains » ont conclu à la hâte des accords électoraux de « front républicain » contre le RN, au nom de la défense de la démocratie, dont ils savaient très bien que ce dernier ne la menaçait pas, jouant de la sorte un psychodrame jugé de bon aloi dans un pays censément né en 1789, et que nos élites s’obstinent à présenter comme ayant donné au monde la liberté et les droits de l’homme. Ainsi, pour prétendument conjurer un danger inexistant, les partis de la droite « républicaine » et de la gauche se sont unis, alors que tout les opposait les uns aux autres, et qu’ils se savaient incapables de s’entendre, même sur un programme minimum de législature ou de gouvernement. Résultat : hors ceux du RN, aucun député (à de rares exceptions près) et aucun groupe parlementaire n’a de légitimité démocratique. Sauf exception, les députés de gauche ont été élus grâce (au moins en partie) avec des voix de droite, et ceux de la droite « républicaine » l’ont été grâce à des voix de gauche. Sur l’injonction de tous ces partis, des électeurs de droite ont voté pour des candidats LFI qu’ils considéraient comme porteurs des projets les plus calamiteux, cependant que des électeurs de gauche ont porté leurs suffrages sur des candidats macroniens, défenseurs d’une politique sociale considérée par eux comme la pire des régressions. Et, rappelons-le en passant, la prétendue légitimité du NFP est un mensonge dans la mesure où elle est toute relative (178 sièges sur 577 !) et est constituée de partis en désaccord sur tout et incapables de gouverner de concert.
Quant au RN, il a éprouvé là les limites de sa dédiabolisation. Car, à l’occasion des dernières législatives, il a été diabolisé avec le plus grand succès par ses ennemis, qui ont réussi à persuader une forte majorité d’électeurs de voter contre lui au nom de la défense de la démocratie.
Tous les partis « républicains » ont été les victimes de leurs coupables stratégies. La plus coupable, et commune à tous, étant le choix de cet absurde « front républicain » qui a complètement faussé le jeu démocratique normal et a abouti à l’élection d’une Assemblée nationale illégitime, ainsi qu’à l’impossibilité de former un gouvernement y disposant d’une majorité. Ce front est devenu un piège pour eux tous. Y compris pour le NFP qui se targue de sa toute relative majorité en oubliant délibérément qu’inclus dans ce fameux front républicain auquel un bon nombre de ses députés doivent leur siège, il ne peut se prévaloir de sa légitimité à exercer le pouvoir. Macron peut, non sans bon droit, justifier son refus de lui confier le gouvernement en arguant du fait que les dernières législatives ont opposé non pas les divers partis les uns aux autres ou la gauche et la droite, mais le front républicain (toutes tendances confondues) au RN.
Décidément, ces législatives mettent en relief l’absurdité pathologique de notre pratique politique et des prétendus principes qui l’étayent. Nous vivons en ce moment le résultat des fantasmes auxquels ils ont donné lieu. Sous leur emprise et pour éviter un danger irréel, nous avons abouti à ce résultat d’être devenu un pays ingouvernable. Un pays où le parti disposant du plus grand nombre de suffrages et de députés est marginalisé au sein de l’Assemblée nationale, et dirigé par un gouvernement qui, paradoxalement, dépend de lui (!), et ne dispose d’aucune majorité parlementaire. Oui, vraiment, le régime est au bout du rouleau.