Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
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Un entretien avec Nicolas Battini, président de l’association nationaliste corse Palatinu. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard.
Palatinu correspond à la volonté qui meut de très nombreux éléments présents dans la jeunesse en Corse de redéfinir le nationalisme corse sur une base différente de celle des années 1970, toujours dominante actuellement. Palatinu est en quelque sorte une mise à jour idéologique au sein même du nationalisme, qui rencontre un succès incontestable précisément parce que la demande d’aggiornamento intellectuel est incontestable et pour tout dire incontournable. Beaucoup de jeunes nationalistes ne se reconnaissent absolument plus dans le nationalisme conceptualisé à une autre époque, désormais bien lointaine, du soixante-huitardisme triomphant.
Notre objectif politique consiste à imposer les grands débats que veulent éviter à tout prix les cadres et élus centristes qui règnent pour l’heure dans le monde nationaliste : l’immigration et les questions de genre. Cet objectif commence déjà a être partiellement atteint en ce que l’existence et la vivacité de Palatinu a permis d’établir à de nombreuses reprises ces thématiques comme des éléments incontournables dans le débat politique corse de cette année. Pour continuer en ce sens, l’écosystème palatinien doit être en capacité de produire des déclinaisons plurielles de sa pensée : parti politique, syndicat étudiant, associations… Cette prochaine étape s’approche rapidement.
Les autres mouvements corses sont structurés par une pensée issue des années 70, qu’on appelle en Corse le Riacquistu (la Réacquisition). Cet élan a apporté des choses infiniment positives à la Corse, notamment la reconquête de sa conscience linguistique et communautaire ainsi que la résurgence politique du nationalisme corse qui s’était précédemment compromis avec le fascisme italien et par conséquent avait été disqualifié aux yeux des Corses. Néanmoins, ce fort mouvement identitaire s’est structuré sur une lecture tiers-mondiste du monde. Cette lecture part du postulat selon lequel la Corse est colonisée par la France et qu’elle doit subséquemment mimer les autres pays anciennement colonisés tout en se solidarisant avec les peuples du Sud contre l’impérialisme occidental. Cette vision-là retire à la Corse sa totale occidentalité et pousse les mouvements nationalistes à frayer stratégiquement avec la gauche en général. C’est précisément ce qui empêche le nationalisme corse de se positionner contre l’immigration arabo-musulmane ou contre les questions de genre et qui donne les moyens de légitimité à des tendances de gauche et d’extrême-gauche de s’imposer dans les partis nationalistes (qui tendent à l’être de moins en moins), malgré toutes les incohérences et dissonances que cela provoque. Nous voulons rompre avec tout cela. Notre nationalisme s’inscrit pleinement dans l’Occident historiquement chrétien, de mœurs démocratiques et de civilisation gréco-latine. Nous contestons la nature coloniale de la question corse. Sa nature est identitaire. Notre schéma de pensée nationaliste s’organise autour de la confrontation entre l’identité corse enracinée, millénaire, chrétienne et autochtone d’une part, et le parisianisme cosmopolite et laïcard d’autre part. C’est un narratif infiniment plus cohérent avec la réalité des Corses.
Une autonomie dans un pays historiquement centralisé comme la France reste évidemment plus difficile qu’ailleurs. Nous en sommes conscients. Il n’en reste pas moins que la singularité de l’identité corse de son peuple dans l’ensemble français exige une forte reconnaissance des institutions. L’autonomie est la traduction revendicative qu’a produit la réalité corse pour répondre à cette nécessité impérieuse. Comme toute autonomie, elle se situe dans le cadre de la nationalité. Pour ce qui est de ses prérogatives, elles sont déjà définies par les nombreux statuts d’autonomie qui existent ailleurs dans l’Occident démocratique : fiscalité, éducation, langue locale, etc.
Absolument pas. Pour une raison essentielle : les Corses ne sont pas des aborigènes du Pacifique. Ils sont des Européens du Sud de culture catholique. Lorsque Louis XV a lancé son expédition contre le Royaume de Corse en 1768, les relations entre la Corse et le reste des pays du continent était établis depuis toujours. Les Français ont trouvé sur l’île d’autres chrétiens, quoique bien moins puissants militairement, d’un niveau de civilisation égal au leur. Nous parlons de niveau de civilisation, pas de niveau de développement, entendons-nous bien. La Corse était une terre pauvre, peu peuplée, certes, mais qui connaissait elle aussi le principe de loi commune, qui désignait ses représentants, formait des lettrés et s’acquittait de l’impôt. Les Corses évoluent dans le monde européen depuis la République romaine. Les Kanaks n’ont pas fourni un quart de l’administration coloniale dans les années 1920, ils n’ont pas non plus offert à la France sa quatrième dynastie monarchique. La comparaison entre la Corse et la Nouvelle-Calédonie est hors de toute réalité. Elle plaît évidemment aux jacobins archaïques comme aux indépendantistes tiers-mondistes qui souhaitent à tout prix jouer une sorte de “remake” de la guerre d’Algérie en Corse, mais cela reste totalement virtuel. Précisément parce qu’il existe une réalité civilisationnelle qui unit la Corse au reste de l’Europe, un facteur tout à fait incontournable qui rend absurde et inopérante toute analogie avec des situations extra-européennes.
La notion de communauté historique, linguistique et culturelle que le Président Macron a proposé à l’Assemblée de Corse est tout à fait pertinente. Pour le reste, il s’agit d’être tempéré et patient. La confiance que nous avons dans la politique présidentielle est somme toute très réduite.
Si le processus d’autonomie échoue, l’actuelle majorité n’aura définitivement plus aucun bilan à défendre et encourra le discrédit politique total. Il y aura alors effondrement et recomposition. Si le processus d’autonomie réussit, l’actuelle majorité n’aura plus rien à proposer en ce qu’elle refuse d’aborder réellement les questions de société telles que l’immigration et la théorie du genre, ou bien alors le fait à partir d’un prisme de gauche contraire à ce que pensent les profondeurs de l’opinion publique en corse qui restent profondément conservatrices. Il y aura alors affaissement, effritement puis recomposition. Dans un cas comme dans l’autre, notre travail politique consiste à réunir les conditions pour que le paysage politique de ces dix prochaines années s’articule autour des choix relatifs à la politiques d’immigration et à la vision générale de la société, tant sur le plan sociétal qu’économique. Nous sommes des nationalistes en ce que nous voulons assurer le continuum historique et culturel légué par nos ancêtres, en l’amendant certainement, mais sans jamais rompre. C’est précisément ce type de considérations qui déterminera à nos yeux l’échiquier politique à venir en Corse.