Souvenez-vous : à peine l’affaire des Gilets jaunes sentait-elle le souffre qu’Emmanuel Macron devait trouver la parade.
Ce fut d’abord le grand débat national qui a surtout été l’occasion de parler pendant des heures devant un public composé d’élus locaux. Mais comme quelque chose clochait, Macron s’est rabattu sur une idée développée par des associations comme Terra Nova : l’assemblée citoyenne.
La Convention citoyenne : le faux-nez de la technocratie
Le 25 avril 2019, Macron annonce une « Convention citoyenne » de 150 membres pour lutter contre les changements climatiques. Problème : il n’y a que des biais. À commencer par la question posée. Elle présuppose en effet un réchauffement climatique causé par les émissions de gaz à effet de serre et la nécessité corrélative de les réduire : « comment réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030, dans un esprit de justice sociale ? » Pas question d’être « climato-sceptique » ! Quant à la composition de la Convention, on est aux antipodes de la représentation démocratique moderne : les membres de la Convention ont été tirés au sort, puis sélectionnés en tenant compte des différentes catégories auxquels ils appartiennent (sexe, profession ou géographie). La Convention fait représenter des groupes ou des catégories. Or, dans la démocratie moderne, le peuple, ce sont les individus. Un homme, une voix. Point barre. Il est piquant de constater que les chambres corporatives[1] ou le suffrage plural (l’attribution de voix en fonction du nombre de membres au sein d’une famille) n’ont guère eu de succès, leur vice étant peut-être d’oublier cette logique de fragmentation du corps social de la démocratie moderne[2]. Au passage, les catégories ne sont jamais vraiment neutres : elles sont toujours des créations de la part de celui qui les établit. À quelle catégorie appartient-on réellement ? Est-on urbain ou cadre ? Fonctionnaire ou habitant du péri-urbain ? En soi, « on appartient toujours à plusieurs catégories »[3]. En outre, les personnes sélectionnées recevaient de la part de l’Institut Harris Interactive la précision selon laquelle l’objectif de la Convention citoyenne est « d’aller plus loin et plus vite dans la lutte contre le réchauffement climatique ». Une telle précision est forcément orientée : ce sont les convaincus qui participeront à la Convention [4]… Quant au travail de la Convention, il est piloté par un comité de gouvernance, plaçant ses « citoyens » sous la dépendance d’experts qui sont à l’origine des propositions retenues par la Convention comme celui d’écocide. Par ailleurs, il n’y a guère eu de débat contradictoire au sein de la Convention. Or, sans possibilité de critiquer les experts en les confrontant entre eux, il devient difficile aux « citoyens » de se faire une opinion. Dans les élections classiques, les électeurs se forgent normalement une conviction en examinant les programmes des différents candidats. Pas au sein de la Convention, où le « citoyen » n’a guère eu le temps de s’organiser lui-même et de critiquer. Peut-on alors parler de débat ? Au final, on ne sera pas étonné du « conformisme idéologique »[5] des propositions peu clivantes qui traduisent ce phénomène des causes sans adversaires, typiques des débats officiels. Mais à peine la Convention a-t-elle « délibéré » que Macron embraye sur le référendum… reniant au passage la promesse faite : « Ce qui sortira de cette convention, je m’y engage, sera soumis sans filtre, soit au vote du parlement, soit à référendum soit à application réglementaire directe. »
La VIe République de Macron : sans élus et sans peuple !
Macron réinvente sans cesse les institutions qu’il aimerait voir émerger. Il n’aime pas les parlementaires et les élus. Il recourt donc à une assemblée de citoyens, mais le hic est que le peuple auquel il s’adresse est lui-même présélectionné, peu représentatif des Français, et verrouillé par la technocratie. À l’instar des populistes contemporains, Macron aurait pu procéder à l’appel au peuple. Or il s’appuie sur un peuple fantasmé, réduit à la portion congrue (encore moins que les 20 % de son corps électoral) et surtout encadré par la technocratie. On peine à suivre un Président qui s’appuie d’abord sur des pseudo-citoyens de la Convention, puis qui en appelle finalement aux citoyens réels du référendum… Mais en fait, ce zigzag institutionnel permanent démontre que chez Macron c’est le président seul et la technocratie qui règnent. Les députés sont dans la main du président : ils n’ont de choix qu’entre obéir ou partir. Certains l’ont fait, comprenant le rôle de figurant qu’ils incarnaient aux législatives de juin 2017. Il n’y a pas non plus de gouvernement ou de ministres : même le locataire de Matignon ne peut donner au sommet l’illusion d’un duo, ce qui pouvait encore être le cas entre Sarkozy et Fillon. Chez Macron, les ministres ne sont que des petits commis, des commissaires de sa « République en marche ». Le président, c’est l’exécutif, et réciproquement. Ainsi, c’est lui qui annonce aux étudiants qu’ils auront droit, par jour, à deux repas à un euro ou à un chèque-psy… À une autre époque, une telle annonce aurait relevé du secrétaire d’État aux universités ou du ministre des Affaires sociales. Macron fait encore pire que ses prédécesseurs : il se charge littéralement du détail.
L’état d’urgence permanent
Toute cette perspective transparaissait plus ou moins dès 2017. Ainsi, Macron avait déjà fait le choix en juin 2017 d’intégrer certaines dispositions relatives de l’état d’urgence dans le droit commun. Avec la crise du Covid, le régime d’exception devient cette fois-ci la règle dans l’exercice du pouvoir. En mars 2020, est institué un état d’urgence sanitaire qui a donné lieu aux différents confinements, intégraux ou nocturnes (les couvre-feux), que les Français ont subis. Les libertés les plus élémentaires ont été limitées sur le fondement d’un dispositif basé sur un risque sanitaire. Or on apprend que l’état d’urgence sanitaire sera appliqué jusqu’en juin 2021, voire jusqu’en décembre 2021 ! Au final, c’est bien le tiers de la durée du quinquennat de Macron qui risque d’être vécu sous l’empire d’un régime d’exception… Jamais sous la Ve République un président n’aura connu une telle situation. Même de Gaulle n’utilisa les pleins pouvoirs de l’article 16 de la Constitution que pendant 5 mois, du 23 avril 1961 au 29 septembre 1961, ce qui est peu pour un mandat présidentiel qui durait alors 7 ans. L’état d’urgence sanitaire, c’est donc la part belle à l’exécutif. Pardon : au président, qui, visiblement, s’y complaît. ?
Illustration : Quintessence du peuple souverain selon La République en Marche : l’état d’urgence permanent exige de claquemurer tous les Français, qui n’ont plus d’existence politique qu’à travers des échantillons réduits dont a pu vérifier l’innocuité, en double aveugle.
[1] . En 1958, lors de la discussion de ce qui deviendra la Constitution de la Ve République, la perspective d’une chambre socio-professionnelle est écartée par des personnalités comme Michel Debré. Si de Gaulle revint à la charge en 1969, en tentant de remplacer le Sénat par le Conseil économique et social, l’échec fut patent et aboutit au retrait du général de la vie politique française.
[2] Même le projet de Constitution du maréchal Pétain de 1943, tout en instituant le vote familial (double suffrage pour les pères de famille ayant trois enfants et plus), envisageait l’élargissement de ce corps électoral d’individus en y intégrant les femmes. Le texte ne sera jamais dévoilé officiellement et soumis à discussion.
[3] . Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois, « Un trou noir démocratique ? », Fondation du Pont-Neuf, juillet 2020, p. 12. La question de savoir quelles sont ces catégories sociales et surtout quelles sont celles qui sont les plus prégnantes dans l’action des individus est un éternel débat chez les sociologues.
[4] . Le résultat est que visiblement un seul « climato-sceptique » a été retenu.
[5] . Ibid., p. 20.