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L’humour ne vaut pas l’esprit

Vous ne connaissez pas Saki ? Quelle chance ! vous allez pouvoir découvrir un auteur des plus talentueux et des plus drôles, grâce à Gérard Joulié qui l’a traduit, et publie ses nouvelles intégrales sous le titre Le Parlement infernal (éd. Noir sur blanc).

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L’humour ne vaut pas l’esprit

Saki est le nom de plume d’un Anglais né en 1870, mort dans les tranchées de la Somme en 1916. On ne sait pas ce qu’il faut admirer le plus : les nouvelles de ce gros volume, ou la langue remarquable avec laquelle Gérard Joulié les habille. Voilà de ces textes intemporels qui sentent le génie dès les premières pages, ce génie des grands humoristes anglais, qui est à la fois typique et universel, parce qu’il peint l’homme, cet homme étrange qui habite Albion, mais qui est aussi « mon semblable, mon frère », tellement bizarre et si souvent proche, d’un autre temps, et tellement notre contemporain.

Impossible de réduire ces textes à un schéma, de les caractériser en quelques traits ; ils sont pourtant tous de la même farine, sans pour autant se ressembler : l’invention y est permanente, les surprises innombrables, les situations sans cesse renouvelées. Mais on y respire quelque chose de permanent : l’humour anglais, au point qu’on en pourra tirer une analyse détaillée, une anatomie, comme disaient les habiles au Grand Siècle. Mais d’abord, observons que parmi les personnages variés, il y a des constantes, des familles dont on finit par reconnaître les membres les plus originaux, et puis ces caractères propres à la société huppée anglaise : les faiseurs de rien et les propres à rien, les chanceux et les guignards, les anciens fonctionnaires de l’Empire, les politiciens de plate lignée, les artistes par ennui ; les femmes, avec quelques sous-catégories inquiétantes : les tantes, que Saki abhorre, les mères chargées d’enfants à placer, les épouses affamées d’argent, les vieilles biques, mais pas de créatures sexuées et charmantes, des grues peut-être, mais à peine entrevues. Nous sommes dans un monde figé, où les gens sont classés, mis sous cellophane, empaillés dès l’enfance. D’ailleurs, les enfants y sont pénibles ; on les supporte sans les aimer, on s’en débarrasse le plus souvent qu’on peut (les domestiques et les hyènes faméliques doivent bien servir à quelque chose !), surtout lors des réceptions, qui semblent la principale activité de ce peuple empaqueté. Cependant, ces enfants, particulièrement ceux qui vont devenir de jeunes propres à rien, occasionnent moult aventures et situations loufoques, qui tournent immanquablement à la cruauté. Ils dispersent autour d’eux le fantastique dont leur imagination déborde, ils invitent aux jeux de mort qui leur sont naturels. Les animaux participent à cette drôlerie sanglante, en particulier les hyènes et les loups, dont l’auteur estime la fonction de nettoyeurs de la campagne.

Le ressort de la plupart des textes gît dans la nullité pompeuse que vient agrémenter la farce mordante. On y parle politique pour en épingler l’inanité grandiloquente. On se bagarre, de manière souvent feutrée, mais parfois comme des chiffonniers, car les réceptions servent d’abord à réveiller les aigreurs endormies. C’est si pressant que, quand on n’a pas de vraies raisons de se chamailler, on en fabrique. Les dialogues sont faits d’une acidité masquée par une croûte de sucre un peu brûlé ; le style de Saki fait deviner la griffe à travers le velours. L’auteur use d’une langue glacée, comme sont glacés ces gâteaux traquenards chargés de poivre, pour nous faire sentir combien le monde est une plaisanterie amère, et les hommes des nullités méchantes, dont l’observation est cependant réjouissante pour un gaillard sans entrailles. Car l’humour procure une délectation féroce. Musset, qui se frappait le cœur afin d’y faire sonner son génie, devait ignorer qu’il faut avoir étouffé son cœur pour qu’éclate le génie qui ricane et qui mord, qui se complaît d’abord à se mordre lui-même. Comme l’a remarqué André Maurois, l’humour, c’est l’esprit qu’on tourne contre soi, pour se faire mal afin d’avoir le courage de faire mal à tout le monde, parce que les hommes ne méritent que le sarcasme, le mépris cynique qui les déchirent jusqu’aux entrailles, la rigolade qui leur met les nerfs en lambeaux ; mais tout cela sans jamais hausser la voix, sans employer ni gros mots ni grands mots, sans prétendre à quoi que ce soit. Car l’humour est froid comme la mort, il convient parfaitement aux fantômes, c’est pourquoi il est typiquement anglais.

On comprend qu’il n’a rien à voir avec l’esprit. Comme le rond de serviette est de droite et le rond-point de gauche, l’humour est anglais tandis que l’esprit est français. Je ne répèterai pas ce que Hilaire de Crémiers a si bien dit des chroniques de Richard de Seze, parues sous le titre Le rond de serviette est-il de droite ? aux éditions de La Nouvelle Librairie, mais j’inviterai à mettre en parallèle ce petit volume délicieux avec le gros bouquin de Saki, car il n’est rien de mieux pour distinguer l’humour de l’esprit que de comparer ces deux loustics-là. Richard de Seze est un homme chaleureux, qui adore la conversation telle qu’elle se pratique en France. Il est sensible aux miettes, aux poussières, à tout ce que la vie dépose sur les dessus de marbre et les plateaux de marqueterie, tout ce qu’on laisse traîner par négligence, mais dont lui, en philosophe profond, se saisit. Il a l’âme d’un brocanteur, il fréquente les bazars et les cabinets de curiosités, il nous interpelle pour nous montrer ses trouvailles, nous faire découvrir en connaisseur ce qu’elles recèlent de charmant, mais aussi d’essentiel ; car le philosophe a beau aimer rire, il ne peut s’empêcher de penser avec profondeur.

Le sage français, qui a de l’esprit, est aimable, prêt à nous entendre, à nous proposer chaleureusement ses arguments. Richard de Seze aime discuter avec son lecteur, le convaincre en alignant ses raisons, pas toujours solides, mais toujours percutantes. Il aime parler pour faire sourire, car derrière les sourires il sait qu’il va faire paraître quelqu’un ; il sait que le sourire est un révélateur de l’esprit, cette vertu particulière qui a fait l’âme de notre civilisation, une civilisation de salon puisque les salons sont les vrais lieux de la rencontre humaniste, entre gens qui aiment la vie, et donc aiment les gens, y compris ceux qui sont d’un autre bord, parce qu’il sait que les bords sont faits pour se toucher tout en se distinguant, que les bords sont comme la peau, une merveille pour se caresser (au sens courtisan de La Bruyère), pour s’inviter à la promenade, cette antique promenade qui est l’art de la rencontre, de la distance expérimentée, maintenue pour vivre « ensemble et séparés », comme disait le poète à propos d’autre chose.

Richard de Seze n’a pas d’humour à l’anglaise, mais il a de l’esprit. L’humour est une manière de percevoir le monde qui révèle ses ridicules mais ne prétend les changer en rien ; l’esprit fait un vrai travail, il suppose une volonté de regarder le monde autrement pour le rendre plus clair, plus agréable à vivre ; l’esprit m’aide à me comprendre, à mieux percevoir le monde et les gens, il ouvre des voies d’appréhension. L’humour n’engage que moi, il est ma douleur que je cache sous la grimace ; l’esprit est une invitation à échanger ; au lieu de cacher et déguiser, il veut montrer et éclairer, il se présente avec la franchise du cœur. L’humour peut étonner jusqu’au rire, il peut faire sourire, mais toujours d’un sourire qui est une blessure. L’esprit m’interpelle, m’invite à m’amuser, il me met en mouvement et ainsi me rend heureux, bien vivant, comme fait toute action bien menée. L’humour ricane, choque, dérange, trouble ; l’esprit invite à devenir complice, il sous-entend, il modère ses traits pour faire sentir combien il est indulgent pour les faiblesses des hommes, qu’il connaît bien à force de s’observer lui-même.

Je concède que l’esprit peut aller jusqu’à la querelle, qu’il peut lui aussi provoquer, mais il le fait comme dans un duel bien réglé, où on s’échauffe en restant courtois, où il arrive qu’on blesse dans le feu de l’action, mais où le premier sang apaise la méchanceté qui s’agitait, invite la fierté satisfaite à se faire respectueuse. L’esprit s’il prend vraiment feu se perd, n’est plus lui-même ; il raille, persifle, grimace. Richard de Seze joue à frôler parfois ce stade-là, mais il ne le fait que pour éprouver sa force, non pour se lâcher et blesser, même si cela peut lui arriver par accident.

L’humour ne blesse pas, car il ne s’intéresse pas aux gens, il aime satiriser des traits généraux, des catégories, mais il reste dans l’indéterminé, le général de l’humanité, car l’humour n’a pas d’adversaires précis, les hommes étant trop nuls pour mériter une telle attention. Si l’esprit blesse, c’est qu’il connaît ses adversaires et qu’il sait pourquoi ils sont ses adversaires. Richard de Seze, qui est de droite, cherche à faire une peinture achevée de la gauche, pour savoir exactement pourquoi ces gens-là ne lui sont pas sympathiques, pourquoi il doit les combattre, pourquoi il doit leur accorder le droit d’être reconnus pour ce qu’ils sont. Quand on sait pourquoi on combat, et qui on combat, on peut engager le fer de l’esprit pour l’honneur, avec panache. Richard de Seze est un gentilhomme.

 

Le Parlement infernal, Saki, Traduit et présenté par Gérard Joulié. Éd. Noir sur Blanc, 2022, 848 p. , 29 €.

Le rond de serviette est-il de droite ? Richard de Seze, La Nouvelle Librairie, 2022, 188 p. , 14, 90 €.

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