Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Monsieur le président de la République,
Depuis le début de la guerre en Ukraine, de nombreuses photographies de vous sont apparues sur les réseaux sociaux. Ces photographies ont été prises par votre photographe officielle, Soizig de la Moissonnière. Autant dire qu’il ne s’agit nullement de clichés volés mais bien de photographies que vous avez, non seulement autorisées mais aussi très certainement « validées » une par une. Sans doute d’ailleurs en y consacrant beaucoup de temps, car la première chose que montre, ou plutôt que confirme la diffusion de ces images, c’est que votre personne est un sujet que vous jugez extrêmement intéressant.
Ces photographies sont censées vous montrer dans l’intimité de votre fonction, c’est-à-dire nous révéler l’homme derrière le président, le petit cœur qui bat derrière l’habit officiel, en même temps que nous convaincre à quel point vous travaillez dur pour sauver la France d’un danger très grave.
On y retrouve donc ce mélange de narcissisme décomplexé et de roublardise politicienne auquel vous nous avez habitué depuis cinq ans, car chez vous rien n’est jamais gratuit et vous êtes sûrement persuadé que ces images vont favoriser votre réélection.
Mais, par-delà ces calculs politiques tout à fait transparents, ces clichés nous disent bien quelque chose de vous, en effet, même si ce n’est sans doute pas tout à fait ce que vous voudriez qu’ils disent.
Monsieur le président, puisque vous aimez vous dévoiler au grand public, souffrez qu’un Français ordinaire vous dise ce que lui inspirent ces images que vous avez choisies de publier. Deux choses me frappent dans ces clichés : à quel point vous avez mauvais goût et à quel point les gens intelligents peuvent parfois se montrer stupides, car vous êtes intelligent, paraît-il.
Vous avez mauvais goût car ces clichés ne sont précisément rien d’autre que cela : des clichés, des poncifs, des banalités. Mais des banalités clinquantes, des poncifs criards, des évidences écrites en gras, surlignées en fluorescent et posées dans un épais cadre doré bien brillant, histoire que personne, mais vraiment personne ne puisse les ignorer et se méprendre sur leur sens. L’heure est très grave. Je suis très inquiet. Je travaille très tard le soir et je suis très fatigué. Mais je vous protège. Le poids du monde repose sur mes épaules.
Ces photographies sont, en vérité, aussi vulgaires et appétissantes qu’une prostituée maquillée à la truelle, jupe ras le bonbon et charcuterie en vitrine, qui vous apostrophe d’un « Tu montes, chéri ? » ; mais du moins la prostituée a-t-elle, en général, l’excuse de la nécessité pour se comporter ainsi.
Et, par ailleurs, ces photographies sont ridicules. Car vous ne voulez pas seulement montrer que vous travaillez beaucoup – ce dont, à vrai dire, personne ne doute – mais aussi que vous êtes un type cool, un mec sympa qui ne se prend pas au sérieux. Un type jeune aussi. Et beau. Enfin, c’est du moins ce que vous pensez.
Et c’est ainsi que l’on vous voit en jean et sweat-shirt, mal rasé et le sourcil levé en direction d’une personne invisible, genre « Wesh, cousin, oklm ? ». Mais, bon, avec quand même un dossier sous le bras, parce que vous êtes le président de la République et qu’un président ça travaille beaucoup (voir plus haut).
Je suis moralement certain que ces photographies ont dû beaucoup vous plaire. Vous vous êtes trouvé très séduisant en ce miroir. Pourtant, ce qu’un œil non prévenu voit sur ces clichés, c’est un quadragénaire histrionique qui refuse de vieillir, un homme, surtout, qui refuse obstinément d’accepter le genre d’austère discipline qu’exigerait la fonction qu’il occupe. Bref, un vieil adolescent. Il est vrai que vous avez épousé une femme qui pourrait être votre mère, et cela doit sans doute contribuer à vous brouiller quelque peu les idées concernant votre place dans l’ordre des générations. Auprès d’elle, d’une certaine manière, vous êtes toujours un enfant.
Peut-être, d’ailleurs, est-ce pour cela que vous avez épousé une femme touchant au seuil de l’infertilité : ainsi vous étiez sûr de ne pas avoir de concurrent. Pardonnez-moi, monsieur le président, ces spéculations psychologiques. Mais c’est le genre de choses auquel il faut admettre de s’exposer lorsqu’on aime tellement se mettre en scène et parler de soi-même, fût-ce par images interposées.
Le fait que vous portiez un sweat-shirt floqué du sigle des commandos parachutistes de l’armée de l’air a bien sûr fait jaser. Certes, personne de sensé ne vous accusera de chercher ainsi à usurper un titre que vous n’avez pas. Nous comprenons bien que, en portant ce sweat-shirt que vous avez probablement reçu en cadeau, vous ne revendiquez pas plus un passé militaire qu’un adolescent ignare ne signale qu’il est communiste en arborant un t-shirt à l’effigie de Che Guevara. Il est d’ailleurs sans doute heureux pour vous que vous n’ayez pas eu à faire votre service militaire car, si vous me permettez, monsieur le président, vous me paraissez présenter le profil type du trouffion schtroumpf à lunettes à qui sa chambrée finit par faire la bite au cirage.
Néanmoins, l’adolescent ignare ne porte pas ce t-shirt orné de la tête d’un assassin communiste juste parce qu’il le trouve confortable ou parce qu’il aime sa couleur. Il le porte car il trouve « stylé » d’afficher des opinions politiques radicales, quand bien même la politique le laisserait indifférent. De la même manière, vous ne portez sûrement pas ce sweat-shirt par hasard. Si vous l’appréciez et si vous avez voulu vous faire photographier avec lui, c’est sans doute parce que vous aimez l’aura de virilité usurpée qu’il vous donne – croyez-vous.
Vous connaissez sûrement ces photographies de Vladimir Poutine, torse nu, sur un cheval ou un fusil à la main. Et, sûrement aussi vous avez dû vous gausser de ces images, avec raison d’ailleurs. Pourtant, chacun comprend bien que, si ces photographies sont effectivement ridicules, Vladimir Poutine est réellement un homme dangereux et qui a mené un vie dangereuse. Vous, en revanche, il est clair que le plus grand risque physique auquel vous avez été exposé dans votre vie est sans doute celui d’être intoxiqué par les vapeurs de toner en allant faire des photocopies pour Paul Ricoeur.
Songez donc, monsieur le président, combien plus bouffonnes que les photographies de Vladimir Poutine sont celles que vous venez de livrer au public.
Permettez-moi de vous donner une indication, monsieur le président : une des choses qui caractérisent l’homme viril, réellement viril, c’est précisément de se soucier comme d’une guigne de paraitre viril. Vous voyez à quel point vous êtes loin du compte.
Il faut, me semble-t-il, remonter assez loin dans les annales de la vie politique française pour trouver un comportement aussi grotesque et involontairement comique que le vôtre. Valéry Giscard d’Estaing prenant le petit déjeuner à l’Elysée avec des éboueurs africains, peut-être. Ou bien le président Paul Deschanel que l’on retrouva, une nuit de mai 1920, errant en pyjama sur la voie ferrée après être tombé du train présidentiel lors d’une crise de somnambulisme. Mais le pauvre Paul Deschanel était réellement souffrant, alors que vous êtes en pleine possession de vos moyens, à ce qu’il semble. Car l’égotisme est un vice, pas une maladie.
Je sais que bien des personnes se sont indignées de vous voir ainsi vous pavaner devant l’objectif, et je peux comprendre les motifs de cette irritation. Mais je vois les choses un peu différemment. Il me semble que votre vanité puérile est là pour nous dédommager un peu du fait de devoir vous supporter. Politiquement vous êtes un fléau, mais du moins vous nous faites parfois rire. C’est déjà un petit quelque chose.
Continuez donc, s’il vous plaît, monsieur le président, à faire faire des photographies de vous-même. Faites-en souvent, en variant les décors, les costumes et les situations. Justin Trudeau pourrait être un bon exemple pour vous. Il est clair que vous avez tout le potentiel nécessaire pour l’égaler et même le surpasser.
Avec tout le respect qu’un Français doit, malgré tout, à votre fonction, monsieur le président.