« Le duel est une forme de violence programmée, ritualisée, voire même chorégraphiée et légitimée : elle répond à un protocole, qui, selon les époques et les pays, a été plus ou moins autorisé. »
Pour Philippe le Bel, dans son ordonnance de 1303, « le duel n’est autorisé que dans les cas avérés d’homicides, trahisons et autres griefs, violences ou maléfices ». Trois siècles plus tard, en 1623, l’édit du roi sur la défense des querelles, duels appels et rencontres ordonnera que tous ceux qui aideront à l’organisation d’un duel, quand bien même il ne s’agirait que d’un laquais y conduisant les combattants, seront punis de mort. Les députés en débattront encore deux siècles et demi plus tard, excitant la verve du Charivari.
Ceci posé, l’exposition « Duels » nous entraîne, grâce aux collections du musée de l’Armée et à ses réserves inépuisables, d’un bout à l’autre de la planète et sur quelques siècles. Le parti-pris comparatif, de mise désormais dans beaucoup d’expositions, nous vaut quelques fautes de goût comme un grand écran avec les images de Street Fighter, jeu vidéo apparu en 1987, ou une photo tirée de la série Gangs Story (2012) de Yan Morvan où une blonde nue observe un bras de fer entre deux jeunes traîne-lattes. Mais on s’en moque : on admire les sabres allemands et les épées françaises, un celurit indonésien et un khouttar indien, un armet et un morion italiens, une jambiya yéménite et une targe (petit bouclier) hispano-mauresque, nombre d’armes rituelles ou sportives, quand la pratique de l’escrime devint une manière d’entretenir les corps, comme en témoigne le brevet de prévôt délivré au caporal Sémard du 67e RI en 1857. Le duel finit par prendre le sens d’un vif affrontement en combat singulier, qu’il s’agisse de deux joueurs de tennis en tournoi ou de deux « as » de 14-18 tels que les peint Maurice Busset, évoluant dans la lumière, loi de la boue des tranchées où les “duels” d’artillerie ne comportent plus une once d’honneur ni de chorégraphie.
L’étrange culmine
La pratique se développe sous nos yeux, jusqu’au XXIe siècle, avec son lot de délicieuses bizarreries, comme ce petit tableau du XVIIe reconstituant le Duel judiciaire du 20 mai 1455, à Valenciennes, entre deux roturiers, Jacotin Plouvier et Mahiot Cocquiel, qui s’assaillent à coups de gourdin, ou cet extrait du Traité de combat (fin XVe s.) d’après Johann Liechtenauer, duel judiciaire mixte où l’homme est « semi-enterré dans une petite fosse préalablement creusée. Les coups qu’il peut porter ne peuvent donc pas dépasser l’allongement de son bras. […] La femme n’est guère avantagée pour autant, car elle ne possède pour se battre que d’une sorte de fronde, formée d’une ou plusieurs pierres enserrées dans un linge. » (Mathilde Berthier, « La place des femmes dans le duel judiciaire », Questes n°45, 2023). Non loin, Jacques Androuet du Cerceau a gravé Le combat [imaginaire] d’un chien contre un gentilhomme qui avoit tue son maistre (c. 1580) – et qui, défait dans l’arène, avoua. L’étrange culmine au tout début du XXe siècle avec un Masque de duel olympique au pistolet de 1908, L’Illustration du 15 juin 1907 montrant un « tireur faisant assaut au pistolet Devillers », tirant sur son adversaire avec une balle de cire : vêtu d’un immense pardessus et coiffé de son masque, on jurerait un membre des Chevaliers du chloroforme, 6e fascicule du Mystérieux Docteur Cornélius.
Le thème du duel est évidemment pittoresque en diable et l’exposition multiplie les images : La Fureur des duels arrestée (c. 1674/1689), carton de Le Brun pour la voûte de la Grande Galerie, répond à Le consul Titus Manlius Torquatus montre son fils décapité (car il avait enfreint ses ordres prohibant les combats singuliers) ; un Combat de boxe à Londres (1737) d’Andreas Møller, où deux jeunes hommes, qui ressemblent à des skinheads, ont placé vestes et chemises sur un poteau pour mieux se frapper à mains nues au milieu de la rue sous le regard intéressé des badauds, évoquer une brutalité à peine réglée là où Le Curé conciliateur (1837) d’Édouard Pingret dégrafe sa soutane (ornée de la Légion d’honneur) et propose sa propre poitrine pour faire cesser le combat. Mais dans Le Duel d’A.-H. de Beaulieu, l’assaut est furieux et la touche du peintre, rapide. Sous un ciel triste, sur un terrain plat, l’un des duellistes se fend, presque à l’horizontale, et les souples chemises déchirées indiquent que l’affaire est sérieuse. Tout proches, les témoins observent, immobiles et raides. L’un d’entre eux, les bras croisés, la bouche indistincte, les yeux comme deux trous d’ombre dans une tête pâle, ressemble à une Mort qui se serait discrètement invitée et aurait troqué, par souci de ne pas déranger, une redingote contre son suaire. Nous sommes en 1870. Elle va se faire moins discrète.
Duels. L’art du combat. Musée de l’Armée, jusqu’au 18 août 2024.
Illustration : Alexandre-Auguste Robineau, Assaut d’armes entre les chevaliers de Saint-George et d’Éon, 1787-1789. © His Majesty King Charles III, 2024