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L’escroquerie de la pétition contre la loi Duplomb

Ce que révèle le succès de la pétition contre la loi Duplomb : une démocratie faussée par une idéologie de gauche qui est une escroquerie morale.

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L’escroquerie de la pétition contre la loi Duplomb

Les médias nous ont présenté le succès de la pétition contre la loi Duplomb et l’invalidation partielle de celle-ci par le Conseil Constitutionnel (CC) comme une victoire de la démocratie. La voix du peuple a prévalu contre un gouvernement dédaigneux de la santé et de la vie même des Français. Il reste que cette loi avait été votée par le Parlement dans des conditions constitutionnelles irréprochables, par des parlementaires qui l’avaient étudiée de près avec toute la compétence requise. Mais, nous laisse-t-on entendre, les citoyens, dans un bel élan de conscience civique, se sont opposés à sa promulgation, affirmant la prééminence du peuple contre la classe politique et la représentation nationale. Vox populi, vox Dei, en somme. La pétition a tenu lieu de référendum.

Le référendum, une arme à double tranchant

Seulement voilà, le référendum, en France, est fort controversé. Il ressemble à la langue d’Ésope, en cela qu’il est tour à tour la meilleure et le pire des choses. Et, de ce fait, on le loue ou on le maudit. Quand son résultat déplaît aux tenants du pouvoir et aux « élites », on le refait ou on le contourne. Dans le cas contraire, il prévaut sur la représentation nationale, même s’il n’est pas officiel et ne consiste qu’en une pétition en ligne. On ne saurait montrer plus clairement le conditionnement du peuple et la manipulation de sa voix.

Un des procédés les plus sûrs pour annihiler l’éventuelle résistance du peuple à ce conditionnement est le contournement du référendum. Le général de Gaulle avait introduit le référendum dans la panoplie de nos pratiques politiques pour venir à bout des entraves parlementaires si nombreuses et pernicieuses sous les IIIe et IVe Républiques, lorsqu’il se sentait sûr d’obtenir l’assentiment du suffrage universel, comme ce fut le cas en 1958 (acceptation de la nouvelle constitution), en 1961 (acceptation du droit de l’Algérie à l’autodétermination), et en 1962 (approbation des accords d’Evian, puis de l’élection du président de la République au suffrage universel). Mais, depuis plus de trois décennies, le référendum est devenu une arme moins sûre aux mains de l’exécutif : en 1992, les Français n’ont accepté que de justesse le traité de Maastricht, et en 2005, ils ont rejeté le Traité constitutionnel européen (TCE). Et, à l’étranger, les Danois ont rejeté le traité de Maastricht en 1992, et, en 2016, les Britanniques se sont prononcés en faveur de leur sortie de l’Union européenne. Ces rébellions obligent les « décideurs » à des répliques peu satisfaisantes et contestables : en 1992, on a « invité » les Danois à « voter comme il faut » à la faveur d’un second référendum; en 2007, Sarkozy a signé le traité de Lisbonne qui reprenait l’essentiel du projet de TCE que les Français avaient refusé deux ans plus tôt. Mais ces manœuvres mettent trop en évidence l’opposition entre les peuples et leurs décideurs, et montrent que la voix des premiers n’a que peu de valeur aux yeux des seconds. D’autre part, elles ont leurs limites : en Grande-Bretagne, les européistes ne sont pas parvenus à organiser un second référendum dont ils attendaient l’invalidation du premier. Aussi, depuis le début de ce siècle, les élites se défient de la pratique référendaire, qui peut réserver des surprises.

La publicité accordée à la pétition contre la loi Duplomb. Un exemple édifiant de manipulation de l’opinion du peuple

Cela ne signifie cependant pas qu’elles ne puissent pas compter sur le bon peuple qu’elles conditionnent sempiternellement. Ce conditionnement est si permanent et si puissant qu’il opère automatiquement, par l’action spontanée de ceux qui lui sont soumis, sans que nulle autorité n’ait à le déclencher.

La fameuse pétition en ligne demandant l’abrogation de la loi Duplomb en est un parfait exemple. Initiative personnelle d’une inconnue, elle dépassa en un temps record les 2 200 000 signatures et fut présentée comme la voix du peuple dans sa majorité , dont il était interdit de ne pas tenir compte, voire à la requête de laquelle il était moralement scandaleux de ne pas souscrire. Rappelons, ici, que la France compte 49 339 714 électeurs inscrits. À vrai dire, les médias n’ont pas explicitement défendue cette pétition. Mais la large publicité qu’ils lui ont accordée l’a imposée au public. Et le perpétuel discours woke qu’ils véhiculent sur la dégradation de l’environnement, les dangers des pesticides pour la santé et la biodiversité, l’ont imposée comme porteuse d’une vérité incontestablement prouvée. Et, de ce fait, tout le monde a marché et a approuvé cette pétition, sans même l’avoir lue, au nom du principe tacite suivant lequel tout discours écologiste militant énonce la vérité et va dans le sens du bien public et de l’intérêt général. Et plus de 2 200 000 de nos compatriotes se sont précipités sur leur ordinateur ou leur i-phone pour signer cet appel au contenu pourtant bien court et peu explicite, la grande masse d’entre eux ne faisant d’ailleurs que suivre, tels les moutons de Panurge, les premiers signataires, et se sentant tenus de le faire en raison du battage autour de ce texte, se donnant par là même bonne conscience et se prenant pour des citoyens hautement éclairés, lucides et responsables. Ainsi, une attitude collective qui relève du conditionnement le plus parfait que l’on puisse concevoir (il est totalement inconscient), et du conformisme le plus achevé qui soit, d’un suivisme dont le caractère aberrant s’exprime par la rapidité avec laquelle les 2 200 000 signatures ont été collectées, passe pour une réaction spontanée et saine du bon peuple contre une loi prétendument dangereuse concoctée par des dirigeants fous. Et, alors que naguère on ignorait ou contournait un référendum (pourtant constitutionnel) sur le renforcement des pouvoirs de l’Union européenne (le TCE) au nom de la prévalence de ce que les eurocrates appellent la « démocratie représentative » (principe suivant lequel seuls les parlementaires et les gouvernants sont habilités à prendre des décisions engageant l’avenir du pays), dans le cas présent, on affecte de considérer qu’une simple pétition – non constitutionnelle et sur laquelle l’immense majorité de nos compatriotes ne se sont pas prononcés, ne l’ayant d’ailleurs pas lue –, en raison de sa diffusion en ligne et de la publicité qui lui est faite, impose que l’on invalide une loi pourtant votée le plus légalement du monde, en parfaite conformité avec notre constitution.

Autrement dit, quand le bon peuple pense comme il faut, rien ne doit prévaloir contre son vœu, et son avis prévaut sur les lois adoptées par le Parlement. Mais quand il pense mal, il est jugé incompétent, et les lois et autres décisions de ses dirigeants prennent le pas sur son avis. Donc, et en définitive, il n’est pas souverain. Pas plus que ne le sont le gouvernement ou le parlement. Le pouvoir exécutif est souverain lorsqu’il signe le traité de Lisbonne, et le parlement l’est lorsqu’il ratifie ce traité, même si celui-ci n’a pas l’assentiment du bon peuple qui pourrait le rejeter par référendum (comme il le fit pour le TCE en 2005). Mais l’un et l’autre perdent leur légitimité lorsqu’ils adoptent la loi Duplomb, et ils doivent alors plier devant 2 200 000 signataires d’une simple pétition en ligne.

Manque de crédibilité et instrumentalisation du Conseil Constitutionnel

Mais, si ni le peuple ni l’exécutif ne jouissent d’une souveraineté absolue, et ne disposent que d’une souveraineté conditionnelle, relative et susceptible d’être remise en question, alors où siège la véritable souveraineté ? Qui exprime censément le Droit, la justice, la conformité au vœu de la nation et au service du bien public ? D’aucuns répondent que ce sont les membres du Conseil Constitutionnel.

Mais alors là, il semble que plusieurs questions se posent. En premier lieu, celle de la crédibilité de la constitution elle-même. Car enfin, quel crédit peut-on encore accorder à une constitution modifiée 25 fois depuis sa promulgation, à tel point qu’elle en est devenue méconnaissable ? Et puis, quelle confiance accorder aux membres du Conseil Constitutionnel, composé pour l’essentiel de politiciens retraités, et présidé par Richard Ferrand, mis en examen pour prise illégale d’intérêts dans l’affaire des « Mutuelles de Bretagne », et qui n’échappa à une condamnation qu’en raison de la prescription des faits retenus contre lui ?

En second lieu, la question de la validité morale de la saisine du Conseil Constitutionnel. Depuis la loi organique du 29 octobre 1974 (permettant à 60 députés ou sénateurs de saisir le CC), et surtout depuis l’avènement de la macronie qui a coupé en trois blocs (gauche, bloc macronien, droite) une France traditionnellement (et malheureusement) bipolaire, aggravant ainsi les divisions de notre nation et l’instabilité politique, la saisine du CC est devenue un moyen pour l’opposition d’entraver systématiquement l’action du gouvernement, le plus cyniquement du monde, et sous le prétexte hypocrite d’éviter l’abus de pouvoir et la dérive autoritaire de la majorité. C’est là le discours de la gauche, laquelle bat de loin le record des saisines du CC, toujours au nom de la démocratie prétendument menacée par le centre ou la droite, et toujours prompte à s’ériger en défenseure de la République et de la conformité des lois à la constitution. La gauche ne distingue jamais la simple conformité des lois à la constitution de ce qu’elle considère comme la démocratie, les sacro-saintes « valeurs de la République », et les droits de l’homme, aujourd’hui étendus à la liberté de l’avortement et de la PMA et aux droits des LGBTQIA+. Et cette confusion, savamment entretenue, lui permet d’identifier la défense de la démocratie à la promotion de ses propres valeurs et idées, et d’imposer ainsi sa vision du Droit, de la justice, de l’humanité et de la morale. De saisine en saisine, on prend l’habitude de considérer que toute loi allant dans un sens restrictif du point de vue des libertés ou des droits de telle catégorie de la population constitue une atteinte aux droits de l’homme reconnus par la constitution, et doit être invalidée, et ce même si elle est nécessaire et permet de résoudre un problème crucial. De ce point de vue, le sort de la loi Immigration est révélateur. Adoptée par l’Assemblée nationale le 19 décembre 2023, cette loi prévoyait un durcissement des conditions de droits aux allocations familiales et à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) pour les étrangers extra-européens et inactifs1, une restriction du droit au regroupement familial, et de la délivrance des titres de séjour pour motifs médicaux, une remise en cause de l’automaticité du droit du sol (exigence d’une demande d’accès à la nationalité française), une subordination judiciaire (exigence d’un casier judiciaire vierge) et linguistique (exigence d’un niveau suffisant de maîtrise du français) de l’accès à la nationalité française Ce fut aussitôt un tollé de protestations de la part de toute la gauche qui saisit prestement le CC. Ce dernier invalida tous les articles relatifs à ces divers points, soit 32 articles sur 86 et donc plus du tiers du texte adopté… à la grande satisfaction du gouvernement Borne (macronien), initiateur du texte, qui comptait sur le CC pour éliminer de ce dernier les dispositions que nous venons de citer, qu’il n’avait acceptées qu’à contrecœur afin de se concilier les voix de la droite LR indispensable à l’adoption de son projet. Bel exemple d’hypocrisie politique ! Double exemple aussi : le gouvernement macronien de Mme Borne prétendait ainsi lutter contre l’immigration sans prendre les mesures qui auraient permis de la réduire, et se réjouissait de la censure du CC qui ôtait à son texte toute efficacité… conformément à ses vœux !

Le grand courage des bien-pensants

Autrement dit, entre le centre macronien (le « bloc central », comme on l’appelle) et la gauche, n’existe aucune différence essentielle. Ces deux pôles de notre vie politique se réclament des mêmes valeurs, mais surtout cultivent les mêmes idées reçues, les mêmes tabous, le même conformisme moral et politique2. À cet égard, l’attitude des élus PS après l’adoption de la loi Immigration par le Parlement et avant la censure du CC en dit long. À peine cette loi avait-elle été adoptée par l’Assemblée nationale que 32 présidents PS de départements annonçaient leur refus de l’appliquer, en particulier dans ses dispositions concernant la restriction apportée aux droits aux allocations familiales et à l’APA pour les étrangers non-européens. Cette rébellion perdit sa raison d’être du fait de l’invalidation par le CC des mesures contestées. Mais il est remarquable qu’elle n’entraîna aucune réplique ferme de la part du pouvoir macronien (qui, il est vrai, souhaitait l’abandon de ces dispositions), et que personne ne rappela que les élus sont tenus d’appliquer la loi sous peine de poursuites judiciaires et de destitution. L’apparente démonstration de courage civique et de noblesse d’âme dont ces élus prétendaient ainsi se créditer s’explique par leur confiance dans la décision du CC, mais aussi par le fait que, de toute façon, ils étaient assurés du soutien actif de la majeure partie de la classe politique, de l’intelligentsia, des médias et de l’opinion publique composée pour une part de gens conditionnés et lobotomisés, d’autre part, de gens partisans des mesures contestées, mais incapables de se démarquer du conformisme moral et politique ambiant.

Notre démocratie : un leurre au service d’une idéologie de gauche qui est une escroquerie morale et intellectuelle

Notre démocratie actuelle est un leurre. La liberté d’opinion y existe, mais les opinions sont classées en bonnes (sacrées) et mauvaises (condamnées). Et le pluralisme politique et l’alternance au pouvoir par la voie électorale sont aussi des leurres. Les différents partis ou coalitions de partis peuvent également concourir et accéder au pouvoir. Mais l’exercice du pouvoir est borné par l’impérieuse obligation pour eux de ne pas entreprendre une politique considérée comme contraire aux principes constitutionnels non tels qu’ils sont littéralement inscrits dans la constitution, mais tels qu’ils sont abusivement et spécieusement interprétés à la lumière (si on peut ainsi dire) d’une idéologie gauchère et gauchisante travestie en respect de droits de l’homme indéfiniment étendus et constamment invoqués au nom des prétendues « valeurs de la République », terme pompeux autant que canulardesque destiné à ennoblir une escroquerie morale et politique.

Une escroquerie dont ceux qui la commettent n’ont d’ailleurs pas même une claire conscience. Les enseignants (tous de gauche), les maîtres des médias, les vedettes de l’intelligentsia, ne sont pas le pouvoir et n’ont pas le sentiment de l’asservir à une idéologie globale. Une idéologie globale dont les partis sont inconscients, tant elle leur colle à la peau. Il s’agit de l’idéologie générale de la France contemporaine. Une idéologie qui a instillé au plus profond de l’ethos de notre peuple l’idéal fallacieux d’une évolution indéfinie de l’humanité dans le sens de l’avènement d’une utopique démocratie universelle et égalitaire dont la France serait l’initiatrice et la guide inspirée, et dont la conséquence mortifère tient en ceci que toute politique tendant, fût-ce par la plus impérieuse des nécessités, à en prendre – même partiellement et momentanément (et timidement) – le contrepied revêt le caractère infâmant d’une intolérable hérésie devant être combattue sans merci. Si bien que la droite, porteuse par excellence de cette hérésie, a le droit d’accéder au pouvoir, mais pas celui d’appliquer sa politique, fût-elle absolument indispensable, et que la gauche gouverne en permanence notre nation, lors même qu’elle ne détient pas le pouvoir officiel. Aussi, le bon peuple, comme les parlementaires et les ministres ont raison quand ils se conforment à cette idéologie, tort quand ils s’en écartent. Lorsque c’est le bon peuple qui faute en s’opposant à une décision ayant la faveur de ses dirigeants (cf son refus du TCE), on invoque contre lui la supériorité de la démocratie représentative et on contourne son opposition (par le traité de Lisbonne, qui inclut les principales dispositions du TCE). Quand la droite réussit à faire adopter une mesure contraire à cette idéologie (par exemple la loi Duplomb), on le fait parler par pétition (celle-ci ne recueillant d’ailleurs que 2 200 000 signatures dans un pays qui compte 49 339 715 électeurs inscrits), on donne à celle-ci une publicité maximale, et on déclare qu’elle représente la voix du peuple souverain.

La France, propriété de la gauche

En somme, la France est la propriété morale de la gauche, qui ne se limite pas aux partis se réclamant d’elle, mais est incarnée par la majeure partie de la classe politique (y compris le centre, la mouvance macronienne et l’aile gauche de la « droite républicaine ») et surtout l’establishment, incluant les médias et l’intelligentsia. Ainsi, ce pays enkysté dans une vision du monde aussi spécieuse que délétère, et, de ce fait, irréformable et fermé à toute innovation, où règne un implacable totalitarisme éthique et intellectuel, passe pour l’initiateur de l’émancipation du genre humain ; et son immobilisme prend l’allure d’une résistance à ce qui menace les intérêts vitaux de ce dernier.

1 Un délai de cinq ans pour les étrangers non-européens en situation régulière qui ne travaillent pas, et de trente mois pour les autres, avant d’être éligibles à des prestations comme les allocations familiales ou l’APA, versée aux personnes âgées de 60 ans ou plus en situation de perte d’autonomie.

2 Et qu’on ne vienne pas nous objecter les prétendues différences séparant censément la gauche et le pouvoir macronien. Tout le monde sait (au moins intuitivement) que si la gauche gouvernait, elle pratiquerait, à quelques nuances près, la politique de Macron et consorts, le PS en tête. Les écolos et le PC s’aligneraient sur ce dernier, et LFI ne se tiendrait pas dans une franche opposition.

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