Pris au piège de sa communication, l’Elysée, en perdant son premier procès dans l’affaire Trogneux, n’a réussi qu’à induire en erreur ceux qui en interprètent le jugement : non, le tribunal n’a pas dit que Brigitte était son frère, il a seulement jugé que les accusées étaient de bonne foi en parlant sévèrement de la relation entre Brigitte-Emmanuel. Mais que peut-on dire de cette relation ?
Juan Branco, l’avocat de Zoé Sagan (de son vrai nom Aurélien Poison-Atlan), porte préjudice à son client en évoquant un crime de pédophilie. En réalité, cette affaire est à la fois moins grave et plus simple à démêler. Rappelons les faits reprochés à Brigitte Macron, alors Trogneux : professeure de français, à l’âge de 37 ans, elle rencontre Emmanuel Macron, un garçon de 14 ans. L’histoire qui suit cette rencontre a été adroitement scénarisée durant toute la période qui précéda l’accession de M. Macron au plus haut sommet de l’Etat en 2017, mais en vérité, elle aurait déjà pu tomber sous le coup de la loi si les parents Macron avaient déposé plainte.
Qu’en est-il précisément ? Tout d’abord, il convient de décider si l’on peut parler de « pédophilie ». Me Branco évoque, chez Brigitte Trogneux, « une position d’autorité susceptible de lui faire encourir une responsabilité criminelle pour pédophilie, si la prescription n’était pas intervenue ».
C’est probablement exagéré, même s’il est vrai qu’à l’âge de 14 ans, et à supposer que la liaison ait déjà commencé, bien des garçons sont encore incapables de produire de la semence ; donc ne peuvent se reproduire ; donc sont bel et bien, au sens physiologique du terme, des enfants – « païs », en grec. Le pédophile est celui qui aime (philô, mais de façon vicieuse) les enfants (païs), et qui réussit à entretenir une relation sexuelle avec eux : autrement dit, que ce soit sur le corps d’un garçon ou d’une fille, il s’agit d’attouchements, parfois de viols, sans possibilité de fécondation.
À partir du moment où le sujet est devenu capable de se reproduire, il ne s’agit plus d’un enfant à proprement parler : la fille a ses règles, le garçon secrète du sperme. Dans les sociétés primitives, on procède alors à un rite de passage de l’enfance à l’âge adulte. Il est possible qu’à l’âge de 14 ans, le jeune Emmanuel était suffisamment développé pour entrer dans cette catégorie, mais naturellement, seuls lui-même et ses parents pourraient le dire devant les tribunaux, si un procès s’ouvrait.
Ce qui heurte notre sensibilité, dans nos sociétés développées, où la maîtrise des outils de production s’acquiert de plus en plus tard à mesure que le progrès rend la technique de plus en plus complexe, c’est que de jeunes pubères nous apparaissent encore comme des enfants, à nous les parents, contrairement à ce qui se conçoit dans une société primitive. L’absence de responsabilité, le fait de demeurer longtemps encore parmi les improductifs, maintiennent nos adolescents dans l’immaturité, disons une psychologie enfantine. De fait, l’apprentissage de la sexualité, physiquement possible, peut être très problématique pour ces jeunes adolescents qui ont conservé une sensibilité d’enfants. C’est surtout vrai pour les garçons, qui se développent plus tard que les filles, mais la pratique sociale prend le contrepied de cette propension naturelle. Ainsi, en 1945, l’âge moyen du premier rapport sexuel était de 22 ans chez les femmes, de 18 ans chez les hommes, sans doute à cause du service militaire, d’une certaine prise d’indépendance au niveau des mœurs. Ce décalage existe toujours, quoi qu’il se soit considérablement réduit ; il est de 17,4 ans chez les hommes, contre 17,6 ans chez les femmes ; mais cela est dû à la révolution sexuelle, en dépit de la très nombreuse société musulmane pesant désormais dans ce calcul. En tout état de cause, en 1991 ou 92, année des 14 ans du Président de la République, l’âge du premier rapport était sensiblement le même qu’aujourd’hui, trois ans après, donc, l’âge de 14 ans, quand s’est produite sa rencontre avec Brigitte Trogneux. Cela dit, là non plus, personne, en tout cas personne de connu, ne sait quand cette relation est devenue érotique.
Il est donc problématique d’accuser Brigitte Trogneux de pédophilie criminelle, non seulement parce qu’on ne sait pas si ce garçon de 14 ans était encore un enfant ou déjà un adulte physiologique, mais surtout parce qu’on ne saurait présumer de la nature de leur relation à cette époque.
Un détournement de mineur
En revanche, ce qui peut être mis en avant est un détournement de mineur. Une affaire de grande ampleur avait éclaté à l’automne 1968 autour du même thème : une autre professeure de français, Gabrielle Russier, 30 ans, avait noué une relation avec son élève de seconde, Christian Rossi, 15 ans. Les parents du garçon ayant porté plainte pour détournement. Mais nous étions au lendemain de Mai 68, le garçon appartenait à la Jeunesse communiste révolutionnaire et l’on voulait « jouir sans entraves »… Tout de même, le juge pour enfants fut saisi, Gabrielle Russier condamnée à de la prison, malgré l’intervention de deux scientifiques communistes et militants du droit à l’avortement : Jacques Monod, auréolé de son prix Nobel, et François Jacob ; mais aussi Alfred Kastler, autre prix Nobel et militant de la cause animaliste. Se sentant déshonorée par ce qu’elle considérait comme un harcèlement judiciaire, Gabrielle Russier se suicida, provoquant des discours émus sous des plumes aussi différentes que celles d’André Frossard, communiste converti au catholicisme, et le pasteur franc-maçon Michel Viot – qui se convertira plus tard au catholicisme. Un film, Mourir d’aimer, sera tourné en 1971, avec Annie Girardot dans le rôle-vedette ; notons qu’en 2017, célébrant l’accession au pouvoir de Macron, Libération publia une tribune intitulée « La Revanche de Gabrielle »…
Au demeurant on ne peut pas totalement comparer les deux affaires, du moins au regard de notre Code pénal qui, à son article 222-23-1, qualifie de « viol » le même comportement à l’égard d’un mineur de moins de 15 ans, donc de 14 ans comme le jeune Macron : certes, il peut y avoir relation sexuelle consentie à cet âge, mais à condition que la différence entre les deux partenaires n’excède pas cinq ans. Qui plus est, quand l’un des deux partenaires est une personne ayant autorité, en l’occurrence, ici, une enseignante, la culpabilité est aggravée. Donc, contrairement à l’affaire Russier, qui s’arrêtait à un détournement de mineur (et par personne ayant autorité), l’affaire Trogneux serait également un viol s’il était avéré que la relation a eu d’emblée un caractère sexuel. Mais, à la différence des parents de Christian Rossi, aucune plainte des parents Macron (deux médecins, Jean-Michel Macron et Françoise Noguès) n’a été déposée à l’époque des faits ; et l’on n’imagine mal le président de la République entrer aujourd’hui dans la dynamique #MeToo…