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Le trône de Bokassa mis aux enchères

Le 26 mai 2024, une vente aux enchères inédite a eu lieu au château d’Artigny : celle de la seule réplique grandeur nature du trône de l’empereur Jean-Bedel Bokassa. Un nom qui rappelle les grandes heures de la Françafrique.

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Le trône de Bokassa mis aux enchères

C’est une époque révolue, que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître. Au château d’Artigny s’est tenu, une vente particulière : la réplique du trône de Jean-Bedel Bokassa Ier. Militaire devenu empereur, son règne, qui a été marqué par la mégalomanie et la répression, continue encore de fasciner comme de susciter des débats et des analyses par les spécialistes de l’Afrique.

Fils d’un chef de village, Bokassa perd très jeune ses parents et est élevé par des missionnaires catholiques. Il rejoint l’armée française en 1939 et sert pendant la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie. Sa carrière militaire lui vaut de nombreuses décorations et un grade de capitaine. En 1960, lorsque la République centrafricaine (ancien Oubangui-Chari) obtient son indépendance de la France, Bokassa retourne dans son pays natal et intègre l’armée nationale. Grâce à ses liens avec les autorités françaises et ses compétences militaires, il gravit rapidement les échelons et devient chef d’état-major sous le président David Dacko, son cousin. En 1965, Bokassa le renverse lors d’un coup d’État sans effusion de sang et se proclame président de la République centrafricaine. Rapidement, il consolide son pouvoir en éliminant ses adversaires politiques et en instaurant un régime autoritaire. Il adopte une politique de centralisation du pouvoir, réduisant au silence toute opposition.

Le 4 décembre 1976, Bokassa se proclame empereur de Centrafrique et organise une cérémonie de couronnement fastueuse, inspirée du sacre de Napoléon Bonaparte. Le couronnement, qui coûte des millions de dollars, est financé en grande partie par la France, malgré les critiques internationales. Bokassa se pare de vêtements impériaux somptueux et commande un trône en acajou massif, doré à la feuille d’or et sculpté en forme d’aigle aux ailes déployées. Le règne impérial de Bokassa se fera remarquer par ses extravagances mais aussi par une répression brutale de toute opposition Sous son régime, les nombreuses violations des droits de l’homme sont dénoncées par les médias internationaux. Bokassa est même accusé – sans preuves – de cannibalisme.

Condamné à mort, puis à la détention à perpétuité et enfin amnistié

En 1979, l’opposition à son régime atteint son apogée. Les tensions culminent avec le massacre d’élèves protestant contre le port obligatoire de l’uniforme scolaire. La répression sanglante suscite une condamnation internationale et pousse la France à intervenir. En septembre de la même année, la France lance l’opération Barracuda, un coup d’État militaire qui dépose Bokassa. Il est exilé d’abord en Côte d’Ivoire, puis en France. En 1986, il retourne en Centrafrique pensant être acclamé mais il est immédiatement arrêté à sa descente d’avion. Jugé pour divers crimes, il est condamné à mort, peine commuée ensuite en détention à perpétuité. Il est finalement libéré en 1993. Si son nom a été cité comme potentielle alternative lors de crises politique, c’est un mystique Bokassa qui meurt trois ans plus tard, laissant derrière lui un héritage complexe. En 2010, le président centrafricain François Bozizé décide de réhabiliter Bokassa, le qualifiant de « fils du pays ». Une décision qui divisera l’opinion publique, certains voyant en lui un bâtisseur et d’autres un tyran impitoyable.

« Il m’est venu l’idée de reproduire lors d’une exposition le trône de Bokassa, car c’est l’un des trônes historiques les plus connus au monde du fait de sa taille. Il est gigantesque. Il fait 3 mètres de haut sur presque 4 mètres d’envergure », explique Rémi Le Forestier à Radio Ndeke Luka. Artiste-concepteur de cette réplique, il est également gérant de la marque Percier et Fontaine. Pour sa réalisation, il s’est basé sur de multiples archives. « Il a fallu 8 mois de travail pour le sculpter dans tous les détails. Ce trône se démonte en quatre parties : les deux ailes, le corps avec les têtes, et la base avec les pieds. Il peut se transporter facilement, mais il pèse plusieurs centaines de kilos », poursuit-il.

Pas de vente sans polémique

Fils de l’ex-empereur Bokassa Ier, Jean-Serge Bokassa a été interrogé sur cette vente. L’ancien ministre s’est dit favorable au rapatriement de la réplique du trône de son père en Centrafrique, car elle pourrait contribuer à la reconstitution de l’histoire du pays. « L’idée de cette vente aux enchères de la réplique du trône est plutôt centrée sur l’exposition d’un objet artistique mettant en avant des prouesses techniques d’un somptueux travail artisanal réalisé à l’époque. Cette réplique marque donc une page de l’histoire de mon pays que je ne peux renier », explique-t-il à Mutation Online, affirmant qu’elle « pourrait trouver toute sa place dans le cadre d’un musée retraçant l’histoire de la Centrafrique ».

Une vente digne de ce nom n’en serait pas une sans sa polémique. Installés dans les ruines de l’ancien palais impérial de Berengo, selon le groupe paramilitaire russe Wagner, qui assure le maintien de l’ordre en République centrafricaine depuis le départ des troupes françaises en 2022, la réplique du trône de Bokassa ne serait rien d’autre que l’original, pillé par la France lors de l’opération Barracuda déclenchée pour mettre fin au règne de Bokassa. « Si on peut faire croire que c’est l’original, ça veut dire que notre trône est bien fait. C’est une forme de reconnaissance. Cela étant, je contredis cette rumeur, on a toutes les preuves et on sait où se trouve l’original. La rumeur ne durera pas très longtemps », a déclaré, un brin amusé, Rémi Le Forestier au site Actu.fr.

Si le scooter de François Hollande, celui ayant servi à l’ancien président de la République française pour aller rejoindre sa maîtresse certains soirs dans Paris, a trouvé preneur très rapidement, le trône de « Papa Bok’ » (mis en vente au prix de départ de 10.000 euros)  n’a finalement pas rencontré son acquéreur. Une vente par ailleurs ignorée par le ministère centrafricain des Arts et de la Culture. Rien de surprenant en soi, puisque le vrai trône continue, lui, de rouiller dans l’un de ses sous-sols, dépouillé de tous ses regalia, ultime témoin d’un chapitre indissociable de l’histoire post-coloniale de la Françafrique.

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