Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Sa méthodologie est douteuse, ses membres sont surprenants, ses conclusions sortent du cadre fixé… La Ciase et ses travaux doivent eux-mêmes être passés au crible d’une analyse indépendante ; et on peut déjà affirmer qu’elle aura produit moins de bien et bien plus de mal que l’on n’attendait de cet effort de vérité.
Je n’entends pas ici exposer des idées sur ce qu’il conviendrait de faire pour réparer les blessures infligées, et pour organiser l’Église de façon à ce que le problème des agressions sexuelles y soit mieux maîtrisé. Je sais que beaucoup de catholiques y réfléchissent en ce moment.
Pour l’instant, je préfère commencer par le commencement, c’est-à-dire d’abord interroger le Rapport lui-même, ainsi qu’il convient si l’on veut examiner les choses non pas sous le coup des passions libérées par l’exposé des drames, mais sous l’empire de notre raison.
Confucius enseigne que « la correction des dénominations » est une voie vers la sagesse. Il n’est donc pas inutile, même si ce n’est pas primordial en l’occurrence, de définir les crimes évoqués dans le Rapport.
Il y est noté les abus sexuels sur des adultes, laïcs ou religieux, et sur des enfants.
Un enfant est un être humain qui n’est pas encore capable de participer à la reproduction, parce que son appareil génital n’est pas encore développé pour cela. Essentiellement, pour une fille, l’arrivée des règles, qui témoigne de l’apparition d’un cycle intime d’attente de fécondation ; et pour un garçon, la production de semence (en grec : « sperma »).
Il y a donc une différence à faire entre un acte réputé pédophile, mettant face à face un adulte et un enfant tel que nous venons de le définir, qui est regardé comme un crime, et le détournement de mineur, considéré comme un délit.
En grec, l’enfant est appelé « païs ». Normalement, ce qu’on appelle aujourd’hui « pédophilie » devrait plutôt être appelé « pédérastie », dont la connotation sexuelle est plus forte. Mais, par une déformation de langage, le mot « pédéraste » a jadis et pendant longtemps été employé pour désigner de façon blessante l’homosexualité masculine, ce qui le privait de son sens. De fait, pour préciser la nature du commerce charnel avec un enfant, on a choisi de recourir à un autre mot, la « pédophilie ».
Rappelons que le Rapport Sauvé ne se contente pas d’évoquer les crimes pédophiles, mais tous les abus sexuels dont été victimes aussi bien des enfants que des jeunes ou même des adultes – par exemple des religieuses passées sous l’emprise d’un directeur de conscience criminel. Il dénonce également des laïcs investis d’une mission d’Église.
La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) chargée de rendre ce rapport a été volontairement constituée, sur l’initiative « de son seul président, sans aucune interférence extérieure » (Avant-propos signé par M. Sauvé) de 21 membres déclarés « croyants de diverses religions, agnostiques ou athées » (in Genèse et méthodologie).
Il est probable qu’en recrutant ses membres, M. Sauvé ait souhaité offrir au public une garantie d’objectivité, de façon à ce qu’il soit impossible de soupçonner la hiérarchie catholique française de vouloir encore dissimuler au moins une partie des crimes.
On peut toutefois découvrir, parmi les membres choisis par M. Sauvé, au moins une personnalité clivante, investie d’une grande responsabilité dans l’exposition des chiffres mesurant l’étendue des crimes commis entre 1950 et 2020 : Madame Nathalie Bajos.
Mme Bajos est employée à l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm). Son travail, est-il précisé sur le site d’un autre organisme public, l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (Iris), dessine « une perspective intersectionnelle d’articulation des rapports sociaux de domination, de classe, de genre et de race ».
Le Journal du Dimanche du 3 avril 2021 indique qu’elle est « une des 343 femmes qui exigent l’allongement des délais légaux d’accès à l’IVG ».
Même en tenant pour vraisemblable que la majorité des catholiques, y compris le clergé, soient favorables à cette pratique appelée improprement « interruption » volontaire de grossesse, il convient tout de même de rappeler que l’Église s’y est toujours opposée, présentant cet acte comme un infanticide.
De fait, on peut craindre que la contribution, à un niveau élevé, de Mme Bajos aux travaux de la Ciase puisse jeter une part d’ombre sur ses conclusions : quelle peut être sa crédibilité morale aux yeux de l’Église commanditaire d’un rapport touchant à la morale ?
Dans sa recherche des crimes commis sur une période très longue de 70 ans, entre 1950 et 2020, la commission a d’abord interrogé 153 victimes directement et lu 2 819 témoignages sous forme de lettres ou courriels.
Ensuite, Mme Bajos, employée à l’Inserm et entourée de son équipe, a lancé un appel à témoignage « comme fondement d’une recherche socio-démographique » (in chapitre 1 : Genèse et méthodologie de la Ciase) incluant un questionnaire en ligne et des entretiens, ainsi qu’une vaste enquête en population générale. Il est précisé en note que cette méthode a été approuvée par le comité national d’éthique de l’Inserm : autrement dit, l’Inserm approuve l’Inserm… On aurait pu s’attendre à ce que les promoteurs de cette méthode s’inspirent de l’exemple donné par la hiérarchie catholique qui, elle, a préféré ne pas se laisser enfermer dans un cercle où l’on tourne en rond.
L’appel à témoignages a consisté en 3 652 entretiens téléphoniques, 2 459 courriels et 360 lettres. « À l’occasion de ces contacts, était proposé, en ligne, un questionnaire anonyme administré par l’Ifop, destiné à nourrir les analyses de l’Inserm. 1 628 questionnaires ont été complétés dans ce cadre, qui à leur tour ont permis d’organiser 69 entretiens de recherche ».
L’Ifop, institut de sondages qu’il est inutile de présenter, a été également chargé de conduire « l’enquête en population générale » auprès d’un échantillon par quotas de 28.010 personnes majeures.
On relèvera ici que des personnes n’appartenant pas à la Ciase ont participé à ce travail : tout a été laissé à l’initiative de Mme Bajos.
C’est le travail de l’Ifop qui aboutit donc, par extrapolation, au chiffre de 216 000 victimes d’abus sexuels entre 1950 et 2020.
Il va sans dire qu’une enquête policière n’aurait jamais employé cette méthode. Or, c’est un peu une enquête policière, ou quelque chose s’y apparentant, que l’Église demandait quand elle a demandé à la Ciase de « faire la lumière sur les violences sexuelles en son sein depuis 1950 » (in Avant-propos) ; et, en tout état de cause, le public aujourd’hui accueille son rapport comme s’il s’agissait d’une enquête.
Naturellement, on peut comprendre que l’étendue du travail demandé ne permettait pas de faire la lumière sur ces crimes aussi efficacement qu’une enquête policière. Il a manqué beaucoup de renseignements à la Commission, notamment la possibilité d’interroger les quelque 20 000 prêtres réduits à l’état laïc par saint Paul VI entre 1962 et 1972, sans compter tous ceux qui ont abandonné leur ministère sans rien demander à personne. La Révolution sexuelle entamée dans les années 60, porteuse de revendications aussi hardies que la possibilité, justement, de dépénaliser les relations adultes-enfants, n’est pas retenue dans le Rapport comme un élément possible de déculpabilisation des criminels. D’ailleurs le découpage chronologique proposé (1950-70, 70-90, 90-2020) n’ouvre pas la porte à cette prospection. De toute façon, on peut se demander si la Ciase pouvait se permettre de présenter quelques éléments négatifs de cette révolution, globalement regardée aujourd’hui comme un progrès sociétal, ce qu’elle a sans doute été en partie, mais avec d’autres aspects extrêmement sombres, comme la revendication pédophile.
L’Église, commanditaire de ce rapport, avait demandé à la Ciase de « faire toute recommandation utile » (in Avant-propos). On suppose que ces recommandations devaient concerner la criminalité étudiée, mais il apparaît que les membres ont interprété très librement cette demande.
En effet, on ne peut pas, d’un côté, s’enorgueillir d’avoir réuni pour ce travail des personnes « de diverses origines, y compris d’autres religions ou agnostiques ou athées », et en même temps abuser de la prise de parole jusqu’à recommander de « mettre au jour les expressions bibliques dévoyées à des fins de manipulation et aider à une lecture à la fois critique et spirituelle de la Bible à tous les niveaux de la formation » (Recommandation 7 § 2). L’idée n’est pas contestable dans son principe, mais le fait qu’elle soit formulée par un groupe aussi hétéroclite, dont une partie est « athée, agnostique ou professant d’autres religions », la rend difficilement applicable : au nom de quelle foi ces auteurs prétendent-ils ainsi inaugurer cette mise à jour ?
Choisissons trois autres exemples, pour montrer que cette contradiction n’est pas accidentelle.
Notre deuxième exemple est celui d’une recommandation qui n’entretient aucun rapport avec le sujet que les auteurs ont reçu mission de traiter : la Recommandation n° 4 (il y en a 45 en tout) demande d’« évaluer, pour l’Église en France, les perspectives ouvertes par l’ensemble des réflexions du Synode d’Amazonie, en particulier la demande que « ad experimentum, […] soient ordonnés prêtres des hommes mariés qui remplissent les conditions que Saint Paul demande aux pasteurs dans la Première Lettre à Timothée ».
Donc, les auteurs réclament que l’on puisse ordonner prêtres des hommes mariés. C’est un sujet intéressant, mais quel rapport entretient-il avec les agressions sexuelles ? Ou bien les auteurs croient-ils que les hommes mariés sont exempts de toute agression sexuelle ? Il est étonnant que les quelques sociologues et magistrats de la Commission ne se soient pas souvenus que le type le plus répandu de l’agresseur sexuel, y compris pédophile, est un homme marié, père de famille, grand-père…
Autre naïveté, la demande de levée du secret de la confession, aujourd’hui un point cardinal de la discipline sacerdotale, puisqu’un prêtre coupable de l’avoir trahi est excommunié. Au chapitre 4 de son rapport, intitulé Dissiper les ténèbres, la Commission écrit : « Il ne s’agit pas de remettre en cause le secret de la confession en tant que tel mais, seulement dans le champ des violences sexuelles sur mineurs […] ». Pourquoi seulement ce champ ? N’y a-t-il pas d’autres violences tout aussi répugnantes ? On se demande si l’émotion n’a pas submergé les auteurs au point de les focaliser sur un crime en particulier, celui qui a fait l’objet de leur travail.
Enfin, toujours dans cette quatrième partie intitulée Dissiper les ténèbres, on lit avec étonnement que la Ciase « invite l’Église à s’interroger en profondeur sur les tensions palpables entre sa constitution hiérarchique et le désir de synodalité et sur les conséquences de la concentration entre les mains de l’évêque des pouvoirs d’ordre et de gouvernement. En termes plus simples, sans toucher à quelque dogme que ce soit, il y a matière à réfléchir, selon des catégories qui valent pour toute organisation, y compris l’Église catholique, à l’articulation entre verticalité et horizontalité et à la séparation des pouvoirs […] À cet égard, grandement renforcer la présence des laïcs en général, et des femmes en particulier, dans les sphères décisionnelles de l’Église catholique, paraît non seulement utile mais nécessaire, au regard du principe d’égale dignité ».
Il semble que la Ciase instrumentalise ici la mission qui lui a été confiée pour enjamber les limites de sa mission, formuler des idées qui ne lui ont pas été demandées, d’autant moins qu’elle est composée en partie de membres qui, du fait de leur choix ou de leur orientation idéologique, ne pourraient être concernés eux-mêmes par ces réformes. Encore une fois, ce n’est pas que le sujet abordé ici ne puisse jamais faire l’objet d’une réflexion au sein de l’Église, mais on ne voit pas ici en quoi la Ciase, par sa composition même, peut y contribuer sereinement. Tout se passe comme si la Ciase avait été emportée par son hubris, une fièvre de ce pouvoir qui lui a été confié par une Église qui, quant à elle, a fait preuve dans cette affaire, notons-le, d’une humilité, d’une contrition, d’une humanité dont pourraient s’inspirer beaucoup d’autres organisations concernées, elles aussi, par des abus de même nature.
Illustration : Anne Soupa, primate des Gaules, demande « comme un signe d’espoir et de renouveau, la démission collective de l’ensemble des évêques en exercice ».