Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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Allions-nous y croire ? Après toutes ces années d’hébétude (avec l’agité du bocal de 2007, puis l’enfariné de 2012), alors qu’on se demandait jusqu’où nous allions descendre, il était plutôt rassurant de voir arriver à la tête de la République – même surgi d’une pochette-surprise –, quelqu’un qui entendait se donner une allure de chef d’État. Brève illusion !
Cela ne semblait pas, pourtant, trop mal parti. Même si ses états de service dans le marigot empêchaient de lui donner le Bon Dieu sans confession, ce petit Macron, si vite grandi, ne pouvait que retenir l’attention. Nous l’observions attentivement, du coin de l’œil il est vrai, de biais, mais avec le secret espoir qu’il apporte un peu de renouveau, peut-être même un peu d’air des hauteurs. Contrairement à la tribu politico-médiatique qui, elle, déteste ça, les Français aiment que les présidents donnent à leur fonction une couleur quelque peu monarchique. Et ils y ont cru un instant, quand ils ont constaté, sidérés et ravis, que le petit Macron avait trouvé le moyen prodigieux de se débarrasser séance tenante des vieux partis politiques des deux bords : un coup de baguette magique, et les voilà à l’eau ! Le vieux Bayrou en prime ! C’était à peine croyable, et ne manquait pas de panache… Pourtant, il fallut vite déchanter. Et comprendre que, sur ce coup-là, nous faisions chou blanc, car un nouveau parti était aussitôt créé. C’est déjà acquis : dès les prochaines élections, les états-majors égrotants que nous connaissons retrouveront sans peine le cours ordinaire de leur capacité de nuire et de leur impuissance à agir.
Pourtant, sur un tout autre plan, à deux reprises, les yeux un peu écarquillés, nous avons cru voir un président qui préside. Ce fut d’abord quand il reçut Poutine. L’accueil à Versailles, dans la Galerie des Glaces, de celui que toute la bien-pensance internationale ne cesse de stigmatiser, a fait surgir le mirage d’une politique étrangère indépendante et volontariste. Aladin aurait-il réussi à réveiller le génie de la lampe ? La question s’est posée à nouveau, un peu plus tard, avec Trump, sur la place de la Concorde, devant le défilé des troupes, dans un registre moins marquant que Versailles, mais sans doute mieux adapté à la personnalité du cow-boy de Washington.
Là encore, cependant, la désillusion guettait. Son heure n’a pas tardé, Aladin refluant avec célérité dans la lampe des songes. Les prédécesseurs de Macron, quand ils étaient reçus officiellement à l’étranger, avaient contracté la déplorable habitude – mais conforme à l’esprit du système – de faire publiquement des déclarations de pure politique intérieure. En quelque sorte, ils prenaient leurs hôtes à témoins de nos controverses politiciennes, même les plus médiocres. Le président profitait (très abusivement) des privilèges de sa fonction pour jeter, de loin et de plus haut, des pavés dans notre bourbier domestique. Au détriment manifeste de la dignité et de l’efficacité de notre politique étrangère. Aussi n’était-ce pas sans une réelle satisfaction que nous avions pris acte de la décision du nouveau président d’abolir une aussi détestable pratique. Cela ne pouvait que rehausser le prestige de sa fonction et donner une dimension un peu plus royale à son rôle de représentation de la France dans le monde. Las ! Dès son premier voyage en Europe centrale, il violait cet engagement, en répondant longuement, à Vienne, aux objections faites à sa réforme du droit du travail. Pourquoi ce revirement ? Il n’y a pas de mystère : c’est à cause de sa dégringolade dans les sondages… Et nous voilà brutalement replacés devant la contradiction foncière qui mine la Ve République : l’homme fort du système, l’élu-de-tous-les-Français, demeure le jouet de la versatilité de l’opinion. Celle-là même qui l’a fait élire peut, dès le lendemain, le démolir.
S’étonnera-t-on que cela soit apparu dans le champ de la politique européenne ? S’il est un point sur lequel Macron n’a jamais prétendu rompre avec ses derniers prédécesseurs, c’est précisément la dérive euromaniaque. Il paraît même décidé à l’aggraver, sous prétexte de soigner les maux de l’UE… Sans vouloir admettre que c’est le plus sûr moyen de réveiller les si redoutables monstres du populisme… Mais retournons un instant à Vienne : avec le chancelier autrichien Christian Kern, pour évoquer la question de l’emploi, Macron a joué le registre de la familiarité : « Quel est ton taux de chômage, Christian ? », a-t-il lancé à son homologue d’une manière faussement naturelle. On ne peut que se poser la question : croit-il vraiment qu’un tel ton séduise ? Il oublie, de toute évidence, à quel point les peuples détestent cette connivence arrogante de la classe dirigeante. Avec la condescendance de celui qui sait et va expliquer au pauvre peuple. Décidément, nous voilà bien loin de l’attitude « royale » qui révélerait une authentique stature de chef d’État. Il faut dire que la fuite en avant européenne n’y incite en rien. Les abandons de souveraineté successifs ont tellement réduit les marges de manœuvre du président que, par compensation, pour redonner de l’importance apparente à sa place dans le système institutionnel, il est naturellement poussé à faire du vent, à produire des effets d’image, à entretenir une inflation de la fonction.
C’est là le point où l’on sent déjà ce qui fondamentalement, intimement, fait « bouger » Emmanuel Macron. C’est sa propre image. Il entend laisser l’image d’un quinquennat pas comme les autres. C’est le sens de son long entretien au Point du 31 août. Mais il ne se compare qu’à ses prédécesseurs des dernières décennies. Il serait pourtant bien inspiré de prendre modèle, par exemple, sur Richelieu. Hélas, y songerait-il, ce ne serait pas pour faire une politique dans l’esprit de Richelieu, mais seulement pour faire des « coups » qui, dans sa vision des choses, lui donneraient une image historique.
L’image n’est-elle pas surtout affaire de communication ? Pourtant, une fois élu, il a, dans un premier temps, tenu la presse à l’écart. Là encore, cela parlait d’abord en sa faveur. En réalité, c’est parce qu’il savait pertinemment qu’elle ne le suivrait pas dans son jeu personnel. La conception qu’il se fait de sa propre communication est entièrement en phase avec le nihilisme de l’époque. On pourrait la qualifier de « post-moderne ». Dès 1968, l’artiste américain Andy Warhol avait imaginé qu’à l’avenir, « chacun aurait droit à 15 minutes de célébrité mondiale »… Macron n’a rien du dictateur de l’espèce vulgaire, il est moins intéressé par le pouvoir en lui-même que par le moyen qu’il lui donne de construire son image. Il est bien décidé à avoir ses cinq ans, ou dix s’il le peut, de célébration universelle, et de frapper la France et le monde par un succès d’image exceptionnel. Et c’est un journaliste, habile dans l’art médiatique et parfaitement aux ordres, Bruno Roger-Petit, qui sera chargé de le fabriquer.
On reconnaîtra là sans mal l’exact contraire de l’esprit capétien qui, lui, est habité par le dur désir de durée. Un vrai roi s’inscrit dans un projet dynastique, même le Roi-Soleil. Notre faux roi est dans le « flash », et la réalisation immédiate de ses rêves d’adolescent.