Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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Entretien avec Ingrid Riocreux. L’analyse du discours médiatique montre que les journalistes cherchent moins à comprendre et exposer les faits qu’à prescrire ou proscrire des opinions sur ces faits.
Dans La Langue des médias, je démontrais l’existence d’un « sociolecte journalistique » : je m’attachais à la diction, aux formules récurrentes, etc. Je pointais le glissement qui conduit de l’absence de réflexion sur le langage à l’imprégnation idéologique. Dans ce second volume, c’est cette imprégnation idéologique qui est au cœur de mon analyse, selon deux modalités : je montre que le discours médiatique est porté par une vision du monde qui préexiste à l’observation du réel et le modèle, et, parallèlement, que cette manière de dire le monde oriente totalement notre compréhension des choses, en profondeur. Les Marchands de nouvelles se distingue de La Langue des médias sur trois points en particulier : un, j’y ai mis beaucoup de moi, alors même que je m’étais effacée le plus possible de mon premier livre. J’ai voulu montrer l’impact de l’idéologie portée par les médias, sur la vie et le quotidien, à travers des anecdotes personnelles ; j’ai suivi en cela l’exemple de Victor Klemperer, précisément parce que, entre-temps, j’ai lu LTI, la langue du IIIe Reich, et d’autres ouvrages que je cite abondamment. C’est la deuxième différence avec mon autre livre : grâce aux conseils des lecteurs qui m’ont écrit, j’ai pu découvrir Sternberger, Klemperer, Armand Robin, etc. J’ajoute Michel Legris, dont l’ouvrage Le Monde tel qu’il est (Plon, 1976) a été pour moi une révélation. Je reviens aussi, dans ce deuxième livre, sur la réception du premier : comment La Langue des médias a été accueilli et ce que cela révèle. J’ai traqué le off des journalistes, leurs confidences hors plateau, notamment sur la dégradation de leurs conditions de travail, directement en lien avec la pression idéologique qu’ils subissent et dont beaucoup se plaignent.
Les médias voient du complotisme partout. Cela fait d’eux les plus complotistes du lot…
Jean-Luc Mélenchon dit très joliment que « les médias sont le parti de l’ordre ». Ils valident certaines idées, en anathématisent d’autres : ce faisant, ils dessinent le corpus de la doxa officielle, mouvante et évolutive, dont les principes directeurs constants sont une forme de progressisme mou et un antichristianisme plus ou moins bien assumé.
Dans mon livre, je cite Jacques Dewitte qui souligne bien ce paradoxe : nos sociétés sont à la fois anti-totalitaires et néo-totalitaires, dit-il. Anti-totalitaires, parce qu’elles reconnaissent institutionnellement le conflit et l’altérité et, en même temps, tellement obsédées par l’égalité qu’elles en viennent à ne plus tolérer l’altérité. « La démocratie culturelle radicale menace de ruiner la démocratie politique », écrit Dewitte. Les médias sont les principaux responsables de cet état d’esprit collectif.
En réalité, la similitude entre mon travail sur les moralistes et mes livres sur les médias, c’est que j’adopte, moi, une posture semblable à celle des moralistes ! J’ai montré que leurs écrits traduisaient bien moins une volonté de nous faire la morale qu’une volonté de combattre l’idéologie dominante de leur temps, à travers la contestation du code lexical qui la manifeste.
Le respect dont je parle ici est une hypocrisie. Je pense aux formules à la mode : « je respecte ton choix » ou « je respecte ton opinion ». On approuve ou on désapprouve la position de l’autre mais, dans le premier cas, on n’a pas les moyens rhétoriques de le défendre, dans le second, on ne veut même pas se donner la peine de le contrer. Le sentiment d’un sens de l’histoire préécrit, largement entretenu par les médias, fait que l’on compte sur la marche du temps pour éradiquer les mauvais et faire triompher les bons. La discussion et la volonté de convaincre n’ont plus de raison d’être.
L’européisme irrigue leur discours. Le traitement du Brexit a donné à entendre de manière paroxystique ce tropisme supranational. Quant à celui de la crise catalane, il a confirmé leur faible pour les appartenances infranationales, comme le rappellent aussi périodiquement leur propension, au nom de la tolérance, à défendre ou à minimiser des comportements communautaristes. Plus grand ou plus petit : tout sauf la nation, ce pourrait être leur slogan.
« Nul besoin de conspiration quand on a affaire à une communauté d’inspiration », écrit le sociologue des médias Alain Accardo. On observe un « effet de milieu » très oppressant qui formate de manière contraignante le discours médiatique. Ce petit milieu s’adressant à la terre entière, son encodage du monde nous contamine tous. Et, dans le même temps, il nous irrite fortement, quelle que soit notre aptitude à lui résister. Ce qui indispose, c’est l’impression que le Journaliste se meut dans un monde d’évidences, à tel point qu’il accepte, au titre de présupposés implicites, des opinions qui sont, en réalité, des points de vue polémiques.
Les médias voient du complotisme partout. Cela fait d’eux les plus complotistes du lot ! Je n’ai aucune raison de penser qu’il y a eu, en l’occurrence, un complot étatique. J’ai, pour ma part, parlé d’un grand retour du réel, dans un contexte où la crise des Gilets jaunes, surmédiatisée, avait permis de passer sous silence le pacte de Marrakech. Mais on a le droit de s’interroger sur des coïncidences : c’est légitime.
Ce n’est pas du complotisme.