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La voix de son maître

Bruno Le Maire est toujours décidé et volontaire. Même quand il change d’avis sur ce qu’il a décidé et annoncé. Car il ne décide rien et n’annonce que ce que son maître Macron a lui-même décidé, en fonction des vents changeants de la conjoncture.

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La voix de son maître

Il y a peu de temps, Bruno Le Maire s’est senti insulté par un député qui l’a traité de lâche. Il lui a répondu en lui opposant son passé, ayant « toujours fait preuve de courage dans son engagement politique […] au service de la France et des Français »… à moins que ce ne soit au service des puissants du moment ! Ce sémillant ministre qui est plus connu pour ses interventions orales sur des sujets austères que pour ses écrits romanesques aux passages légers, est en effet sur les marches du Pouvoir depuis le début du siècle car ses compétences universelles lui ont permis d’occuper de nombreux postes aussi importants que variés.

En début de carrière, après avoir été le conseiller en affaires internationales de Dominique de Villepin avant de devenir son conseiller politique à Matignon puis son directeur de cabinet lors de la dissolution de l’Assemblée nationale qui avait conduit à une deuxième cohabitation sous la Ve République, il avait su se faire oublier le temps de recueillir l’héritage de Jean-Louis Debré dans la première circonscription de l’Eure.

Le ministre de la Relance

Avec l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy il était devenu pour un temps Secrétaire d’État aux Affaires européennes avant d’être nommé ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche, de la Ruralité et de l’Aménagement du territoire où il s’était surtout fait remarquer par la longueur de son titre qui montrait l’étendue de ses capacités. Après un relatif éloignement du temps du « président normal », il avait été appelé par Edouard Philippe à prendre en charge un ministère de l’Economie et des Finances, élargi à la Relance. Malgré ce dernier objectif officiel, il a été conduit à assumer la responsabilité de la mise à l’arrêt de l’économie nationale pour cause de confinement. Pendant cette période, traversée avec une sérénité apparente, il a renoncé au projet qu’il avait porté sous Dominique de Villepin de privatiser les aéroports de Paris, obéissant en cela aux nouvelles injonctions du président de la République.

En guise de relance, il avait annoncé qu’il ferait « tout et même plus que ce qui est nécessaire pour soutenir notre économie et nos entreprises ». On ne lui en demandait pas tant. Mais, mettant en œuvre le « quoi qu’il en coûte » présidentiel, il avait ajouté : « l’État prendra à sa charge l’intégralité des salariés placés en chômage partiel, quel que soit le niveau de son salaire ». Comme les caisses de l’État étaient déjà vides, il lui a bien fallu, pour tenir parole, recourir à l’emprunt qui permet de rejeter sur les générations futures la charge des obligations imposées par la doctrine du « en même temps », oubliant au passage l’avertissement de Bruno Bertez dans sa chronique sur le site d’Agora : le crédit, lorsqu’il est employé à contretemps, « rend l’investissement pervers, alimente les spéculations et les emplois de gaspillage ». De plus, comme l’endettement de la France était déjà très élevé, il a dû souscrire à des emprunts dont le taux est indexé sur l’inflation, ce qui promet de nouveaux « lendemains qui chantent ». Il est vrai qu’avant de s’y résigner, cet ancien Secrétaire d’Etat aux Affaires européennes avait appelé à « une relance budgétaire à l’échelon européen », mais ni Bruxelles ni Berlin ne l’avaient entendu.

Malgré cette politique volontariste, force a été de constater que certaines entreprises, et non des moindres, avaient du mal à faire face aux conséquences de cette mise à l’arrêt de l’économie nationale. Aussi, lui qui, « en marche », avait été chargé de tout privatiser (comme il l’avait fait avec les autoroutes sous Dominique de Villepin) a commencé à envisager de nouvelles nationalisations ; ce qu’il mettra en œuvre sous Elisabeth Borne avec EDF. En réalité, Bruno Le Maire n’a jamais envisagé de nationaliser des entreprises entièrement privées mais uniquement celles dans lesquelles l’État avait conservé une participation au capital. Son idée de nationalisation n’est donc pas liée à la nécessité de maintenir une activité économique essentielle au service de l’intérêt général, encore moins du bien commun, mais – respect de la règlementation européenne oblige – à la défense de l’intérêt d’actionnaire de l’État. D’ailleurs, il avait bien précisé le 3 avril 2020 que ces nationalisations pourraient n’être que « temporaires »… le temps que la Bourse reprenne des couleurs et qu’il puisse revendre les actions détenues par l’État avec une substantielle plus-value.

Un ministre de l’optimisme

Pour ne pas porter atteinte au moral des Français, tout en leur laissant entrevoir les difficultés des temps, notre ministre de la Relance avait admis en mars 2020 que la croissance de la France allait « ralentir de 1 % ». Ce qu’il voulait faire comprendre, ce n’est pas que le rythme de la croissance allait décélérer mais que cette croissance allait laisser la place à une contraction de l’économie qu’il chiffrait alors à 1 % du PIB. C’est qu’aujourd’hui aucun homme politique responsable n’ose plus parler du rythme réel d’évolution de l’économie car celle-ci ne saurait être qu’en perpétuelle croissance. Ainsi, une « croissance négative » désigne une contraction de l’économie, exclusivement mesurée à l’aune du PIB. De la même façon il ne saurait parler de subvention car son côté assistance est dévalorisant pour celui qui la perçoit, il préfère parler d’« impôt négatif ». Un mois plus tard, le 14 avril 2020, Bruno Le Maire avait déclaré sur les ondes de BFM que « nous avions prévu une croissance à moins 6, nous aurons une prévision de croissance qui va être fixée à moins 8 pour le projet de loi de finances rectificatives », c’est-à-dire, en français courant : nous aurons une chute du PIB égale à 8 %.

L’été 2021 étant venu, pour montrer aux Français que la crise touchait à sa fin et qu’ils pouvaient donc se remettre de leur confinement en partant en vacances, il a publié sur Instagram une photo de lui se prélassant en short au Pays basque. Un an plus tard, toujours pour soutenir le moral des Français, c’est de son séjour en Bretagne qu’il a envoyé à ses fans un « selfie » le présentant torse nu, ce que la revue Closer a commenté : « pour partager une beauté de la région » !

Le ministre de la Souveraineté

Dans le nouveau Gouvernement, le ministre de l’Économie et des Finances a élargi ses compétences à la « Souveraineté industrielle et numérique ». Modeste et expérimenté, il a fait disparaître de ses titres celui de ministre de la Relance ; il est vrai qu’il n’ose plus parler d’un tel objectif, pas même de la relance du chauffage pendant l’hiver c’est pourquoi il a troqué la cravate pour un tricot à un col roulé.

Nul ne saurait lui contester désormais sa volonté de défendre la « souveraineté » de tous les pays, y compris de l’Ukraine, c’est pourquoi il n’a pas hésité à tout faire pour « provoquer l’effondrement de l’économie russe à travers les sanctions économiques occidentales »… avant de s’apercevoir devant les députés que la France était devenue dépendante du gaz naturel liquéfié (GNL) venant d’outre-Atlantique et que les Américains nous le vendent « quatre fois le prix auquel » ils le cèdent à leurs nationaux… sans parler du coût du transport.

Parlant bien, multi-diplômé, fortement expérimenté et imperturbable optimiste, notre ministre n’en est pas moins réaliste et sait que la souveraineté, même réduite au seul domaine industriel et numérique, a un coût. Or, comme en période d’inflation, il lui est difficile de continuer à emprunter sur les marchés financiers internationaux à des taux variables, il commence à lorgner sur l’épargne des Français. Il faut reconnaître que notre endettement public est déjà important et que pourtant les besoins vont continuer à croître. En présentant aux compagnies d’assurance son « pack anti-inflation », il leur a bien précisé : « notre premier objectif est climatique. […] Notre deuxième objectif stratégique est la reconquête industrielle. Et notre troisième est l’objectif financier des assureurs ». Face à des telles ambitions, il a demandé à la CNIL de pouvoir avoir accès aux soldes des comptes bancaires de tous les Français. On comprend dès lors à quoi sert l’ambition de la souveraineté numérique puisque celle-ci permettra d’appréhender facilement toutes les sommes dormantes – au-delà des 150 000 euros encore protégés par les textes européens – pour répondre aux demandes futures du Président de la République.

C’est qu’il y a chez lui une qualité essentielle qui surpasse toutes les autres, c’est son aptitude à épouser tous les objectifs de son chef quels qu’il soient même si cela doit l’obliger à changer d’orientation en fonction du vent dominant : la voix de son maître !

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