Entretien avec Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme-Lejeune.
Que pensez-vous de l’organisation des États généraux de la bioéthique : pertinence du mode de consultation, rôle affecté à cette consultation, légitimité, etc. ?
Le CCNE, dans ce cadre des EGB, a organisé des conférences, certaines étant à destination du grand public, d’autres réservées aux lycéens. Le choix de ces derniers en tant que contributeurs du débat bioéthique laisse perplexe en raison de leur jeune âge. La composition de certaines tables-rondes est également critiquable. Par exemple, à Nantes, le 20 janvier dernier, un débat-citoyen a été chapeauté par des experts exclusivement en faveur de la recherche sur l’embryon. Aucun scientifique opposé à la recherche sur l’embryon n’avait été convié à participer au débat. En outre, alors que de nombreuses conférences ont porté sur la PMA pour toutes, aucune d’entre elles n’a été consacrée à la technique de la PMA, indépendamment de son extension aux femmes célibataires et aux couples de femmes.
Cet oubli est regrettable car les non-dits sont nombreux sur ce sujet : la PMA est une épreuve lourde de conséquences qui peut provoquer des dérèglements physiques augmentant les risques de maladies pour la femme. Elle entraîne également des complications physiques chez l’enfant (prématurité, faible poids à la naissance, malformations congénitales etc.). Enfin, la PMA est aussi une technique eugénique puisqu’elle élimine les mauvais embryons, le biologiste opérant un tri embryonnaire avant l’implantation et une sélection génétique via le diagnostic préimplantatoire (DPI).
Il faut noter également que le CCNE a intégré pour la première fois, sans justification apparente, la question de la fin de vie à cette consultation citoyenne.
Dans ce climat hostile à la contradiction, les propos du Président du CCNE, Jean-François Delfraissy, sont source d’inquiétudes. Ce dernier a affirmé en mars 2018 ¹ : « Je ne sais pas ce que sont le bien et le mal ». Selon lui, « entre les innovations de la science et celles de la société, il n’y a pas de bien et de mal ».
Le CCNE et les autres instances représentatives ou consultatives (CESE, associations, Église catholique..) ont-elles joué leur rôle ?
Le CCNE a auditionné des sociétés savantes ainsi que des associations. J’ai moi-même été auditionné le 5 avril par le CCNE et le 24 avril par le Conseil d’État.
Le professeur Jérôme Lejeune : comment œuvrer pour le Bien dans une société dont le principe et la finalité sont le Mal ?
Toutes les questions traitées par les États-généraux de la bioéthique sont-elles d’égale importance ?
Les questions les plus importantes sont celles qui portent atteinte à la vie humaine, qu’il s’agisse du début ou de la fin de la vie. En ce sens, les questions relatives aux « cellules souches et à la recherche sur l’embryon humain » sont graves puisque la recherche détruit l’embryon humain. Il en est de même pour celles relatives à « la prise en charge de la fin de vie », l’enjeu étant de légaliser l’euthanasie et le suicide assisté.
Y a-t-il, scientifiquement parlant, un recul nécessaire pour prendre certaines des décisions envisagées ?
Avec la technique Crispr-Cas 9 et la technique de la FIV à trois parents (appelée avantageusement don de mitochondries), la modification du génome humain est désormais possible. Elle n’est toutefois pas souhaitable, car la communauté scientifique ignore les conséquences à court, moyen ou long terme de la modification du génome de l’espèce humaine. Il faut, à cet égard, appliquer le principe de précaution et interdire la modification du génome des embryons humains, quelle que soit la technique utilisée, même en l’absence de réimplantation.
Y aurait-il d’autres questions qui vous paraissent plus fondamentales ?
De manière générale, et comme le suggère Bertrand Mathieu, il faudrait « au-delà d’une analyse casuistique des questions posées par les évolutions scientifiques et techniques, réfléchir sur les valeurs qui fondent des interdits et le prix que nous accepterons de payer, soit pour renverser ces interdits, soit pour s’y soumettre »². Sur la question de la fin de vie, il est indispensable de rappeler que la dignité est inhérente à chaque être humain, indépendamment de son état. Il est regrettable que cette question ne soit aujourd’hui traitée qu’au travers d’exemples frappants et médiatisés, de cas douloureux et de situations tragiques. Il est urgent de développer une réflexion philosophique sur les soins que notre société doit apporter à ses membres les plus fragiles, notamment les personnes âgées, malades et handicapées.
L’embryon humain fait l’objet de toutes les convoitises, l’une des revendications des chercheurs étant de pouvoir créer des embryons pour la recherche. Il est dès lors indispensable de rappeler qu’un embryon est un être humain, qu’il soit conçu naturellement ou in vitro en laboratoire, de sorte qu’il ne peut être créé pour servir la recherche. Il faut également rappeler que la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines n’a donné lieu à aucune application thérapeutique à ce jour.
Quel est l’impact réel de cette consultation citoyenne sur le projet de loi de bioéthique attendu ?
En principe, le gouvernement devrait tenir compte des avis recueillis dans le cadre des États généraux pour élaborer son projet de loi. Pourtant, en novembre 2017, la ministre des Solidarités et de la Santé indiquait que « les travaux d’élaboration du projet de loi, qui nécessitent une coordination interministérielle, débuteront parallèlement aux États généraux de la bioéthique »³. Il est difficile dans ces conditions de soutenir que les États généraux auront une influence sur le contenu du projet de loi.
Propos recueillis Par Philippe Mesnard
Notes :
- Valeurs actuelles, n°4240, du 1er au 7 mars 2018
- www.genethique.org/fr
- Note d’information N°DGOS/SR/2017/329 du 29 novembre 2017 relative à la participation des espaces de réflexion éthique à la procédure de révision des lois de bioéthique.