France
L’impossible autorité
Il y a beaucoup d’excellentes raisons d’accueillir avec un haussement d’épaules le discours « d’autorité » tenu par Gabriel Attal devant l’Assemblée Nationale le mardi 30 janvier.
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Henri-Christian Giraud a fait, une fois de plus, un travail remarquable.
Il avait déjà mis à jour les liens plus que singuliers qui avaient uni, malgré les apparences trompeuses, De Gaulle et les communistes, le chef d’une France qu’il disait libre avec Staline – jusqu’à des accords secrets ! – et, d’une manière plus générale, avec Moscou et avec la politique soviétique, ce qui, évidemment lui retirait sa liberté de manœuvre, au moins partiellement. C’était déjà un travail d’archives considérable et une reconstitution minutieuse des choix stratégiques de la politique gaulliste qui se pliaient ainsi aux nécessités de tractations qui se poursuivirent de manière continue jusqu’au départ du Général en 1969, comme Henri-Christian Giraud l’a montré et démontré dans différents ouvrages, tous plus instructifs les uns que les autres.
De Gaulle s’indignait souvent lui-même, se faisant piéger dans ses propres pièges ; c’est qu’il sacrifiait tout à son ambition personnelle et à la satisfaction de sa vindicte, transgressant toutes les lois les plus élémentaires de l’honnêteté, tous les engagements les plus sacrés, jusqu’au déshonneur dont il se moquait éperdument, tant son imperturbable mépris et son implacable sagacité liés à une incontestable rigueur de vie lui assuraient une sorte d’aura et d’impunité ; car personne ne réalisait à quel point il dupait son monde, sauf à être soi-même victime mais il était toujours trop tard ! Aucun scrupule ne retenait l’homme, quelles que fussent les conséquences, les plus tragiques et les plus sanglantes, de ses sinistres manœuvres que seul son esprit retors était d’ailleurs capable de concevoir, aidé par une bande d’hommes de main qui n’hésitaient jamais devant le crime à perpétrer – et ce jusqu’à la provocation – pour faire avancer le projet gaulliste qui se résumait toujours à De Gaulle.
Telle fut l’affaire d’Algérie prise en main par De Gaulle en 1958. Henri-Christian Giraud titre son ouvrage Le piège gaulliste et met en sous-titre : Histoire secrète de l’indépendance. Et, en effet, c’est qu’il a fallu la vouloir, cette indépendance ! Chapitre après chapitre, rassemblant tous les documents, archives, rapports, mémoires – et toujours singulièrement les pièces provenant des notes soviétiques –, il détaille semaine après semaine, mois après mois, l’incroyable jeu du Général pour parvenir à ses fins : se servir de l’immense sursaut national de 1958 en faveur de l’Algérie française qui aurait dû aboutir à une nouvelle conception de la politique française, pour prendre le pouvoir et uniquement pour lui-même : il se fit accorder les pleins pouvoirs ; il se fit établir une constitution, en réalité rédigée à sa seule intention, la Communauté n’étant comme il le disait qu’une « foutaise » et le reste des pouvoirs que des instruments à son service.
Il trompait savamment les chefs militaires qui lui avaient permis d’accéder au pouvoir ; il cassait l’armée progressivement et volontairement ; il menait l’opinion d’ambigüités calculées en menteries programmées, bafouant la parole donnée et ses propres promesses ; enfin et surtout il prenait dans son piège les populations d’Algérie, les Européens qui l’avaient acclamé, et pire encore, il lâchait délibérément les musulmans qui avaient cru en la parole de la France. L’affaire Si Salah à laquelle l’auteur consacre un long chapitre, est l’exemple type de cette trahison sordide, inexorable, d’une ignominie sans nom, qui ne fut conçue que par De Gaulle et De Gaulle seul. Comme les Accords d’Évian qui s’achevèrent en un bradage général. La tragédie fut voulue, organisée par De Gaulle – il ne se sentait à l’aise que dans la tragédie – et finit dans les tueries, les vols, les viols, l’exode de populations entières, l’abandon ordonné des harkis voués en pleine connaissance au massacre. Il n’est pas jusqu’aux réactions que suscitait une telle politique, qui ne furent manipulées par le pouvoir gaulliste, sa barbouzerie, ses affidés sans foi ni loi. C’est incontestablement le plus grand crime d’État de toute l’histoire de France. Charles VI était fou. Charles De Gaulle était parfaitement conscient de ce qu’il accomplissait.
Et pour quel profit ? Colombey-les-Deux-Églises risque de devenir Colombey-les-Deux-Mosquées, comme il le signalait à Peyrefitte pour justifier sa politique. L’Algérie française n’a pas été faite ; la France algérienne est en train de se faire. Pour le malheur des deux pays ! Macron ajoutant sa propre ignominie à l’ignominie gaulliste. La France a perdu l’Afrique et toute son influence sur les territoires qui avaient relevé de sa souveraineté. Elle se méprise elle-même par la voix de ses dirigeants et des intellectuels qui osent parler pour elle. Il est certain que l’Algérie ne pouvait se concevoir dans le cadre de la souveraineté française que dans une conception fédérale et dans une large décentralisation. Les plus prestigieux chefs militaires et quelques têtes politiques avaient réfléchi à la question ; un général Ely, un général Salan en particulier. Il fallait rompre avec une République jacobine, maçonnique, antifrançaise par nature, cause de tous les désastres de notre pays. De Gaulle s’en est bien gardé, comme en 1944-1945. Il la voulait pour lui, cette République, après accord avec ses politiciens. Le pouvoir, c’était son seul but. Il se moquait des idées qui ne rentraient pas dans ses vues. 1968 fut la conséquence de 1962. À force de jouer avec les forces de subversion pour poursuivre son dessin personnel, le jeu s’est retourné contre lui. Mais qui a compris ? Même pas lui ! « Je vous ai compris », avait-il dit à Alger. Non, cet homme n’a jamais compris que lui-même. Et lui-même, dans son esprit, c’était la France !