Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
Entretien avec Loïc Simonet, auteur du livre Pourquoi les catholiques ne revoteront pas pour Macron.
Je crois qu’il ne faut pas surestimer l’importance du vote des catholiques dans la réélection de Macron. À première vue, vous faites bien de souligner cette tendance : 55% des catholiques ont en effet choisi Emmanuel Macron au second tour des présidentielles, mais il est intéressant de noter que ce chiffre est légèrement inférieur à celui de l’ensemble des Français (58%). Même constat, à l’inverse, lorsqu’on analyse le vote catholique en faveur de Marine Le Pen : 45 %, un peu au-dessus des 42% à l’échelle de tous les citoyens. Certes, le vote des catholiques pratiquants vous donne encore davantage raison : chez les catholiques pratiquants, 58% ont choisi Emmanuel Macron (un chiffre qui s’élève même à 61% chez les pratiquants « réguliers »). Par opposition, les catholiques pratiquants ne sont que 42% à avoir voté pour Marine Le Pen (et 39% chez les pratiquants réguliers).
Toutefois, lorsque l’on prend un peu de recul, on voit que les catholiques ont bien moins soutenu Emmanuel Macron qu’ils ne l’avaient fait en 2017. Alors que Macron recevait 62% de leurs suffrages, il a reculé de sept points chez les catholiques. De son côté, Marine Le Pen totalisait 38% chez les catholiques, et voit donc son score augmenter de sept points, ce qui témoigne d’une sortie des pratiquants de leur réserve à l’égard du RN.
J’aurais aussi tendance à fortement relativiser le « ciblage » de tous ces sondages et la réalité de tous ces gens qui se prétendent catholiques mais qui posent des choix politiques absurdes au regard de la foi catholique. Je me souviens d’un sondage tout à fait sérieux sur les catholiques de France qui contenait une rubrique de sondés intitulée « ne croient pas en Dieu ». Vous conviendrez avec moi que quelqu’un qui se dit catholique tout en ne croyant pas en Dieu n’est pas très cohérent… Donc je pense qu’il y a “des trous dans la raquette” et que si on isolait avec davantage de précision le noyau « militant » (je n’aime pas ce terme) de l’église catholique, et notamment les jeunes, on obtiendrait des chiffres tout à fait différents – et beaucoup moins en soutien du Président réélu !
Ce qui m’amène à répondre à la seconde partie de votre question. Il reste vrai, en dépit de ce que je viens de dire, que de nombreux catholiques correspondent à la sociologie du macronisme, à une sorte d’avatar de la droite orléaniste qui s’est reconnue dans le jeune Président de la start up nation et dans son musellement efficace du mouvement des Gilets jaunes. Je me souviens d’une tribune assassine de Laurent Joffrin, directeur de la publication de Libération, qui écrivait cruellement mais lucidement : « Le peuple ne se met pas en transe quand on lui parle “racines chrétiennes” et famille tradi ; la bourgeoisie pense moins en lisant des livres qu’en tâtant son portefeuille ». Cependant, là aussi, il est probable qu’une analyse plus poussée traduirait une profonde fracture générationnelle, comme vous y faites allusion. Il semble que les jeunes catholiques ne soient pas étrangers à la dynamique spécifiquement religieuse en faveur d’Éric Zemmour. Certains médias ont commencé à parler d’une « radicalisation » des jeunes catholiques, ce qui veut tout simplement dire, dans leur jargon tellement facile à décrypter, que ces jeunes commencent à “ruer dans les brancards” et se mettent enfin à penser et à voter en catholiques. Je suis frappé par la similitude d’âge de ces personnalités catholiques arc-boutées sur le vote Macron : la militante féministe chrétienne Anne Soupa, Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef de La Croix, Mgr Ravel, archevêque de Strasbourg… Ce sont tous des sexagénaires imprégnés d’une vision de l’église totalement surannée et datée, et qui ne tarderont pas à laisser place à une nouvelle génération.
Plus politisés, oui et non.
Oui, en ce sens qu’ils ont les « clés », les codes pour déchiffrer le monde dans lequel ils vivent. Ils sont en général formés intellectuellement, et le catholicisme qu’ils professent leur indique – ou devrait leur indiquer – de quelle façon, dans quelles limites, quel esprit leurs devoirs de chrétiens doivent être remplis. Ainsi, la sévérité de l’Église à l’égard de l’abstention électorale amène les catholiques à voter plus que la moyenne des Français. « Les catholiques doivent voter, même blanc », avait martelé Mgr Rougé, l’évêque de Nanterre, l’un des visages médiatiques de l’épiscopat, nous exhortant à prendre une part active dans l’élection présidentielle de 2022. 84 % des pratiquants réguliers s’étaient déplacés en 2019 pour voter aux européennes, alors que le taux d’abstention avait été élevé au niveau national (50,5 %). Au second tour des présidentielles de cette année, les catholiques ont à nouveau été moins abstentionnistes : 21% d’abstention chez les catholiques contre 28,2% sur l’ensemble des inscrits en France.
Non, en ce sens qu’ils font parfois preuve d’une naïveté et d’une immaturité politiques et d’un comportement électoral totalement erratique. Alors que les valeurs qui sont les leurs devraient les orienter vers un certain type de candidat, ils font parfois des choix radicalement opposés, sous la pression des médias (notamment cette génération aînée à laquelle je faisais allusion précédemment) et d’une espèce de « peur de soi-même ». Ils votent « contre-nature », comme je le dis dans mon livre, c’est-à-dire qu’ils votent contre leur nature de chrétiens. Je pense à l’épisode Bellamy aux européennes de 2019, qui avait vu un jeune candidat conservateur, catholique et « bien sous tous rapports » se faire sèchement évincer par une large frange des catholiques, qui seraient probablement bien en peine d’expliquer leur geste trois ans plus tard. Je pense aussi à Nicolas Sarkozy qui, au fur-et-à-mesure de son mandat, avait lentement mais sûrement décroché dans l’opinion des catholiques, en dépit d’un bilan qui, objectivement, n’aurait pas dû les conduire à une telle prise de distance. Je note aussi la persistance, auprès d’une frange catholique traditionnaliste, d’un comportement “jusqu’auboutiste” absurde et quasi-suicidaire : ce sont « tous des pourris », donc je ne me déplace plus pour voter, voire je vote Mélenchon pour accélérer l’effondrement du système.
Plus j’y réfléchis, plus je pense que c’est l’homme ou la femme candidat(e) que le catholique doit passer au crible de son vote, que ce soit au premier ou au second tour. Épluchons les profils de nos candidats, leur profession de foi politique et leurs déclarations publiques. Demandons-leur des comptes. Grattons là où ça fait mal. Nous sommes en droit de le faire. Je constate que certains évêques ont commencé à inciter leurs ouailles à se livrer à un tel exercice parfaitement sain en démocratie, et que de plus en plus de médias ou de plates-formes catholiques offrent à leurs abonnés une grille de lecture leur permettant de se prononcer en connaissance de cause. Des personnalités politiques – certes peu nombreuses – sont constantes dans leur attachement aux valeurs chrétiennes et dans leur souci du bien commun : nous leur sommes absolument redevables de notre vote, sans états d’âme ! À l’inverse, j’observe que certaines personnalités au comportement politique totalement opposé aux valeurs chrétiennes, sur lesquelles je m’attarde dans mon livre, n’ont pas été réélues aux législatives de 2022 ; je pense à Cécile Muschotti ou à Christophe Castaner. Il est évidemment improbable que leur échec soit dû à un rejet des catholiques, tant notre poids sur l’échiquier politique est infinitésimal ; mais je serais le plus heureux des hommes si j’apprenais un jour qu’Aurélien Taché, malheureusement réélu en 2022 sous l’étiquette NUPES, a été viré du Palais Bourbon à quelques voix près parce que pas un(e) seule(e) catholique de sa circonscription n’a accepté de lui donner son suffrage. Je suis convaincu que cette intransigeance en matière électorale, que nous catholiques sommes bizarrement les seuls à ne pas vouloir pratiquer, est l’une des clés de notre survie.
Au niveau national, 69 % des citoyens de confession musulmane qui ont voté l’ont fait pour Jean-Luc Mélenchon lors du premier tour. Je n’ai pas étudié de près les résultats des législatives sous cet angle, mais je ne serais pas étonné que les musulmans de France aient voté massivement en faveur des candidats de la NUPES. Il semble donc clair que les musulmans se soient déterminés en vertu de leur appartenance ou de leurs liens à la communauté. Ils ont voté pour le candidat de LFI parce que celui-ci s’est clairement adressé à la communauté musulmane, les défendant contre une prétendue « islamophobie », luttant contre « toutes les formes de racisme », faisant les yeux doux aux mouvements indigénistes et à l’islamo-gauchisme. Sa stratégie a été payante.
Il est trop tôt pour apprécier comment l’arrivée à l’Assemblée nationale d’un fort contingent de la NUPES se traduira en termes de revendications socio-confessionnelles et si cette nébuleuse hétéroclite d’extrême-gauche se fera le cheval de Troie de l’islamisme. Mais le vote des musulmans nous renvoit à notre propre identité et pose un certain nombre de questions auxquelles il n’est pas facile de répondre : nous faut-il les imiter et voter sans états d’âme selon notre appartenance confessionnelle ? Mais dans ce cas pour qui, puisque, contrairement à Mélenchon et ses sbires à l’égard des musulmans, peu d’hommes et de femmes politiques se soucient des catholiques (et quand ils le font, nous ne les en récompensons pas) ?
Je suppose que vous faites allusion aux débats qui ont agité les Etats-Unis lors des dernières élections présidentielles et à la controverse autour de la « cohérence eucharistique » et de l’admission à la communion du Président Biden et de la Présidente de la Chambre des Représentants, Nancy Pelosi. Là encore, je vais vous décevoir.
D’abord, le clivage au sein des catholiques américains est tout aussi profond qu’en France. En 2020, les catholiques américains ont été 52% à opter pour le candidat démocrate (une progression de trois points par rapport à 2016), tandis que 47% ont voté en faveur de Donald Trump (contre 50 en 2016). Ensuite, la cohérence entre l’affichage de la foi catholique et les positions sociétales est tout aussi erratique que dans notre pays. Pour vous donner un exemple, la majorité des fidèles catholiques américains (56%) s’affirme en faveur de l’autorisation de l’accès à l’IVG dans tous les cas, tandis que les deux-tiers d’entre eux ne voient aucun inconvénient à voir le Président Biden recevoir la communion lors de la messe dominicale. Enfin, quant à l’effritement de la « masse critique » des catholiques aux Etats-Unis, y compris la baisse des vocations, elle se poursuit au même rythme alarmant que chez nous. Donc, pas d’alignement des comportements électoraux, si ce n’est en « négatif ». Et guère d’inspiration à recevoir d’outre-Atlantique, à mon sens, si ce n’est pour constater les mêmes tendances, encore plus exacerbées par le fossé qui sépare la frange catholique conservatrice, proche des ultra-conservateurs évangéliques sur les questions morales, et une masse progressiste qui s’accommode assez bien des pseudo-convictions de son Président.
Je vais vous faire une réponse tout à fait personnelle. J’ai toujours eu la plus grande méfiance pour ces synodes que l’église nous impose à intervalles réguliers. Toute proportion gardée, il s’agit de la même fascination pour la démocratie participative que celle que je dénonce dans mon livre à propos du « populisme chic » de Macron : on donne aux fidèles, pendant quelques semaines, un “os à ronger” et l’illusion qu’ils peuvent « changer » l’Église et prendre le pouvoir. Et puis, quand le défouloir a assez duré, on sonne la fin de la partie et on remballe papier et crayons, sans que grand-chose de concret n’en sorte (tout comme la convention citoyenne sur le climat, éléphant qui a accouché d’une souris). Et qui participe à cette consultation dans le cadre du synode ? D’une part, les retraités, ceux qui ont le temps ; d’autre part, ceux qui ont l’Église en ligne de mire : les éternels bien-pensants épris de changement, de réforme, de « culture de la discussion », de « canaux de dialogue », de « contre-pouvoirs », de « remise à plat des traditions », bref, ceux qui rêvent d’une Église « participative » et des laïcs au pouvoir. Donc une méthode périmée (je me souviens d’avoir déjà dû me “farcir” un synode lorsque j’étais étudiant à Aix-en-Provence au début des années 1990…) qui alimente une vision dépassée de l’église. Le serpent qui se mord la queue… Pas étonnant, en effet, que la jeune génération ne se soit pas sentie concernée par le synode, et que l’épiscopat français se soit déjà senti obligé de justifier son approche, soumise à de fortes critiques. Cela dit, ce processus a été convoqué par le pape François. Nous avons donc le devoir de nous y soumettre avec bonne volonté, ce qui ne nous empêche pas de faire preuve d’esprit critique.
L’heure est grave. Ce qui restait de la « matrice » chrétienne de notre société, pour reprendre les termes de Jérôme Fourquet, est en train de disparaître. Le catholicisme sort de l’écran-radar. La grande majorité des jeunes qui arrivent à l’âge de voter n’a plus la moindre idée de ce que signifient Noël ou Pâques ou le petit bout de pain rond que le vieux curé a distribué à la première communion du cousin. Or, lorsque la société perd tout soubassement spirituel, il lui faut bien se raccrocher à autre chose. Et les idéologies de substitution ne manquent pas : wokisme, extrémisme « vert », islamo-gauchisme, décolonialisme, racialisme, indigénisme, cancel culture, néo-féminisme, transhumanisme… J’en viens à la conclusion de mon ouvrage : si nous continuons, comme si de rien n’était, à subir et à nous faire imposer des choix de société qu’au fond de nous-mêmes nous réfutons, nous allons nous faire les acteurs de notre propre système d’oppression, et nous serons balayés. Apprenons donc à être intransigeants politiquement. Votons comme si notre vie de chrétiens, notre foi, en dépendaient. Et je vous assure qu’elles en dépendent, nous n’allons pas tarder à nous en rendre compte. Certes, il nous faut nous résoudre à n’être qu’une minorité parmi d’autres, mais au moins soyons une minorité de conviction. Comme l’écrit Guillaume Cuchet, « toutes les minorités qui durent ont une identité forte : c’est une des conditions de leur survie ».