Monsieur Bayrou, après avoir annoncé que la situation était devenue intenable, a présenté un projet qui a conduit à la chute immédiate de son gouvernement. La potion était trop amère ; elle conduisait à amputer largement le pouvoir d’achat des Français et n’apportait aucune garantie pour le redressement économique du pays. Elle était insupportable pour des députés qui redoutaient par-dessus tout d’être renvoyés devant leurs électeurs.
Après la tragi-comédie d’un ministère mort-né, Monsieur Lecornu a repris les grandes lignes du projet de son prédécesseur pour le faire voter par le Parlement soulagé de n’avoir pas à affronter la colère de ses mandants. Or comme la situation des finances publiques est effectivement très dégradée et qu’il n’est pas question de se mettre à dos une majorité qu’on peut être amené à solliciter rapidement, nul n’a cru bon de tailler dans les dépenses destinées à entretenir une clientèle et tous se sont rabattus sur une augmentation de la charge des impôts pour une minorité qui ne pèse pas trop lourd dans l’expression des suffrages (que pèsent les 25 000 foyers menacés de la contribution sur les hauts revenus par rapport aux près de 50 millions d’électeurs inscrits ?). Le résultat le plus clair de cette manœuvre est que le pouvoir d’achat des Français sera bel et bien fortement diminué, directement ou indirectement, en 2026. Mais le lamentable spectacle ne s’arrête pas là.
Des impôts impossibles à recouvrer
Le 17 novembre dernier, au cours du sommet auquel n’étaient invités que deux cents « patrons » français (sur 4 millions d’entrepreneurs), et appelé « Choose France » au mépris total de la loi fondamentale en vertu de laquelle le français est la langue de la France, le Premier ministre a voulu rassurer les convives qui s’inquiétaient, à juste titre, des multiples taxes inventées par les députés lors de la discussion du volet « recettes » du budget pour 2026. Il a affirmé sans ambages : « on fait peur actuellement à une partie du pays avec des taxes qui n’auront jamais d’application, parce qu’elles ne sont pas constitutionnelles, parce qu’elles n’ont pas d’assiette ». Et pour bien faire comprendre en quelle estime il tient l’exercice budgétaire pourtant obligatoire dans toute démocratie, il a ajouté : « la vie de la Nation ne se résume pas au débat parlementaire ». Son gouvernement a été le premier à montrer l’exemple en prévoyant une augmentation de la taxe foncière, sans avis parlementaire, uniquement en manipulant la valeur locative des biens par un calcule complexe que nul citoyen ne peut ni comprendre ni maîtriser. Nombre des taxes envisagées qui étaient envisagées par les députés faisaient peu de cas des accords internationaux signés par la France et risquaient d’être considérées comme non conformes à la Constitution. Il est cependant difficile d’imaginer qu’il ne se soit pas trouvé un seul député, ou un ministre, pour expliquer clairement que les mesures idéologiques et démagogiques, telles que la taxe sur les superdividendes ou sur les bénéfices des multinationales – calculée proportionnellement à leur activité réellement réalisée en France – allaient se heurter aux engagements internationaux souscrits par la France et aux décisions prises par l’Union européenne en vertu des pouvoirs qu’on lui avait abandonnés. Si, par hasard, on arrivait à les mettre en œuvre, grâce à un quelconque subterfuge machiavélique, les Français seraient doublement trompés : parce que de telles mesures ne manqueraient pas d’inquiéter les investisseurs d’une part, et qu’elles pèseraient inéluctablement sur l’emploi futur et le niveau de vie de chacun, d’autre part.
Des impôts votés par erreur
Ce lamentable spectacle donné au monde entier a été couronné par un acte inédit. Le 15 novembre dernier Le Figaro Economie l’a présenté dans un article intitulé « Ces bévues des députés qui émaillent l’examen du budget ». Et de citer quelques exemples. Le premier concerne l’amendement relatif au « dispositif Madelin » en faveur des petites et moyennes entreprises. Les députés du RN, en mêlant leurs voix à celles de LFI « n’avaient pas compris que l’amendement contre lequel ils ont voté visait également à prolonger cet avantage fiscal » auquel ils étaient pourtant attachés. De ce fait, en croyant le pérenniser ils l’ont abrogé. De l’autre côté de l’échiquier politique, c’est à propos d’un article relatif à la taxe sur les holdings que le président de la Commission des finances lui-même a osé déclarer après le vote : « Je pense qu’on a été plusieurs à comprendre, c’est mon cas, que c’était un complément du dispositif […]. On n’a pas anticipé qu’on était en train de réécrire et de supprimer en réalité la taxe telle qu’elle était ». Eux aussi ont donc voté « à l’insu de leur plein gré » une mesure dont ils ne veulent pas. Pour compléter ces perles, on peut encore citer, sans pour autant être exhaustif, le cas de l’« impôt sur le patrimoine improductif ». Le terme « improductif », ici utilisé, trahit le fait que les députés n’ont pas compris que l’argent déposé auprès des banques sur des comptes d’épargne, est utilisé par celles-ci pour financer tel ou tel secteur de l’économie. De plus, comme le font remarquer divers économistes, la possession d’immeubles est plus ou moins directement génératrice de production, notamment de la part de toutes les personnes qui sont chargées de son entretien. En taxant ainsi ces biens non délocalisables, on interdit à leurs propriétaires de le faire concourir à la production nationale. Il ne s’agit donc pas d’un impôt sur le patrimoine improductif mais d’un impôt de stérilisation du patrimoine immobilier et donc, à terme, d’un impôt de destruction de richesse. Il faut, hélas, ajouter que ces incompréhensions budgétaires ne sont pas seulement le propre de nos députés. Le ministère de l’Économie aussi est atteint du même mal : il ne comprend pas comment les rentrées de TVA sont aussi faibles, eu égard aux chiffres d’affaires enregistrés : il manque la bagatelle de 10 milliards d’euros ! Mais faut-il vraiment parler d’incompréhension de la part des députés ou de provocation ? En se livrant à une surenchère inconvenante ils savaient qu’ils s’acheminaient vers un refus du projet recettes du budget, ce qui leur permettait d’éviter l’examen du volet dépenses et interdisait ainsi de leur imputer la responsabilité des coupes nécessaires.
Des impôts non consentis
Devant un tel désastre, on comprend que le Premier ministre ait des scrupules à utiliser l’article 49-3 de la Constitution pour faire adopter un budget incohérent, comme l’avaient fait de manière abusive certains de ses prédécesseurs. Le gouvernement recherche désormais un nouveau subterfuge qui ne trompera personne, en comptant simplement sur une nouvelle manifestation de l’implosion d’une société devenue totalement amorphe. Le Premier ministre claironne triomphalement qu’il a renoncé à une manœuvre qui risquait de lui coûter son poste, menacé qu’il est d’une censure que les députés, enhardis par un président de la République accroché à son siège, risquent toujours de voter. Dans ce jeu grotesque où chacun cherche uniquement à sauver ses avantages acquis pour continuer à jouir d’une situation dont seul le peuple fait les frais, le pouvoir exécutif a conduit le pays devant un piège bien monté. En poussant les députés à ne pas voter en première lecture le projet de budget, il oblige le Sénat, réputé en majorité à droite, à endosser la responsabilité des mesures impopulaires, que celles-ci puissent ou non être mises en œuvre par la suite. Lors de la prochaine consultation électorale, pour des législatives ou pour la présidentielle – qu’elle soit ou non anticipée –, les candidats adoubés par les partis pourront se défausser sur la droite sénatoriale de la charge de la détérioration du pouvoir d’achat des Français. Les représentants du peuple, qui auront ainsi refusé de donner leur consentement à l’impôt, pourront donc s’en vanter lorsqu’ils devront se retrouver devant leurs électeurs… lesquels devront, d’une façon ou d’une autre, supporter le coût d’une politique dont ils ne veulent pas et qui, au pire, leur sera imposée par voie d’ordonnance.
Sécurité, prospérité : même combat
Si nul n’est censé ignorer la loi, comme cela s’impose à tous les citoyens, rien ne sanctionne les députés qui ne comprennent pas vraiment ce qu’ils votent, ni le gouvernement qui ne comprend pas pourquoi les réalisations ne correspondent pas aux objectifs affichés. Les premiers peuvent donc brader le consentement de leurs mandants sans comprendre réellement la portée de leur vote et le second exécuter des mesures qu’il ne maîtrise absolument pas. Le système fiscal français est devenu si complexe que même ceux qui sont chargés de l’approuver ou de l’amender avouent – franchement ou hypocritement – qu’ils ne le comprennent plus tout comme ceux qui sont chargés de l’élaborer puis de le mettre en œuvre ne sont pas capables de l’évaluer correctement. Chacun peut parler haut et fort pour impressionner les électeurs et leur arracher leur voix, mais ils disent ne pas savoir ce qu’ils font réellement. La discipline des partis l’emporte sur toute autre considération et celle-là n’est dictée que par l’idéologie et la démagogie. Il ne faut pas s’étonner si de plus en plus de Français ne prennent plus la peine de se déplacer pour aller voter. On s’étonne même de voir qu’ils sont encore si nombreux à s’astreindre à cette activité dont les résultats vont toujours à l’encontre du bien commun.
Plus directement, cet épisode tragi-comique de la discussion budgétaire n’est pas de nature à rassurer ni les créanciers de la France, ni les agences internationales de notation. Cela devrait avoir pour effet d’augmenter fortement les taux d’intérêt exigés par ceux-là et de faire passer la charge des emprunts au premier rang des postes budgétaires. Pas plus que le taux de chômage, le poids de la dette n’est près de chuter tandis que, tout comme la sécurité, la production nationale et le niveau de vie des citoyens continueront à baisser.
Illustration : Amelie de Montchalin, ministre de l’Action et des Comptes publics.