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La délégation de souveraineté cesse dès lors que le souverain paraît

En mettant la Constitution au-dessus du peuple, Macron affirme tranquillement que celui-ci n’est pas souverain. Évacuée, la fiction républicaine ! Et avec elle, la nécessité de se sentir obligé par la patrie charnelle.

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La délégation de souveraineté cesse dès lors que le souverain paraît

Le propos est passé inaperçu de beaucoup, alors qu’il est déterminant pour comprendre ce que représente le président nouvellement réélu du point de vue politique, spécialement à la lumière des critères du droit public. C’était à la fin du morne débat télévisé d’entre-deux-tours. À partir de 2 heures, 40 minutes et dix secondes, on put entendre en effet l’échange suivant :

– Marine Le Pen : « Mais écoutez, le souverain, c’est le peuple, c’est dans notre Constitution. Le seul souverain, c’est le peuple, c’est pas le Conseil constitutionnel, c’est pas c’qu’y a marqué ! ».

– Emmanuel Macron : « Non, c’est la Constitution, Madame Le Pen ».

Rarement le choc des conceptions politiques aura été plus frontal : populisme d’un côté, ne s’épargnant pas le topique d’une expression relâchée, mais parfaitement ferme sur son principe ; de l’autre, une idéologie antipopulaire qui ne s’était jamais aussi nûment trahie chez un président de la Ve République. Ce n’est rien de moins que la Constitution de cette dernière que M. Macron a foulée aux pieds à l’instant où il prétendait s’en réclamer. On sait en effet que le texte du 4 octobre 1958 dispose, en son article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Mme Le Pen ne faisait que rappeler l’évidence. En la niant explicitement, dans l’un de ces moments de relâchement de la duplicité politicienne qui font le rare intérêt de ce genre de débat, M. Macron a dévoilé brutalement ce que tout observateur attentif a pu constater non sans vertige : l’actuel chef de l’État est en réalité une manière de factieux, refusant de reconnaître le souverain qui seul lui a pourtant délégué l’exercice du pouvoir.

Il ne saurait s’agir, dans la bouche d’Emmanuel Macron, d’un lapsus : à la parole, il joint le geste qui la confirme, que l’on peut revoir sur l’image télévisée. Levant sa main gauche au-dessus de sa tête, il trace de son index une barre de niveau, signifiant ainsi que la Constitution est au-dessus de celui du peuple. L’index est en l’air ; le souverain auquel fait allégeance M. Macron ne l’est pas moins. C’est une pure abstraction. Sa fonction est précisément de vider de sa substance la souveraineté, de liquider le souverain concret, d’en finir avec la corporéité du peuple historique, d’effacer la patrie charnelle.

Censurer la volonté du peuple

Cette opération de neutralisation vient cependant de loin et a été suffisamment cultivée par un certain courant juridique et politique pour expliquer l’aplomb avec lequel le garant supposé des institutions a pu contrevenir verbalement à la disposition fondamentale du texte constitutionnel. Il n’était que de lire les tribunes de juristes favorables au pouvoir en place dans l’entre-deux-tours (1). Leur obsession est d’empêcher le recours à l’art. 11 pour toute révision de la Constitution, afin que ne s’impose que l’art. 89 qui a, à leurs yeux, l’avantage de soumettre tout projet de révision au vote préalable, en termes identiques, de l’Assemblée nationale et du Sénat. En bref, d’empêcher le peuple de modifier la « loi suprême » qu’il s’est pourtant donnée, donc le texte qui précisément lui attribue la souveraineté !

Comment un tel projet d’enfermement du peuple dans la prison d’une expression temporaire de sa volonté peut-il être justifié ? Tout une école juridique y œuvre depuis une quarantaine d’années, dans le but de voir « la politique saisie par le droit », selon l’expression de l’initiateur que fut en la matière le doyen Louis Favoreu. Ce courant confie aux juges, spécialement aux cours constitutionnelles, le pouvoir de censurer la volonté du peuple, exprimée par ses représentants dans la création de la loi. Ne pouvant se donner librement sa loi, ce qui est la définition étymologique de l’autonomie, le peuple est traité en mineur, nécessitant un ou plusieurs tuteurs. La « première marque de la souveraineté » selon Jean Bodin, à savoir le pouvoir de faire et casser la loi, est ainsi bridée par un pouvoir judiciaire, non élu quant à lui, ne représentant en rien le souverain. Sa légitimité résiderait dans son statut constitutionnel, autrement dit sa présence dans la norme suprême ; le peuple se méfiant de lui-même aurait pourvu à ses dérives prévisibles en se dotant d’un contrôle de constitutionnalité. La vérité est, en tout cas en France, tout autre : les constituants de 1958 ne prévoyaient pas du tout un contrôle extensif de la loi par le Conseil constitutionnel sur la base de vagues principes tirés de Déclarations et de Préambules ; on sait que les juges constitutionnels se sont arrogés ce pouvoir par la décision du 16 juillet 1971. Le peuple ne leur avait rien demandé ; pas davantage ne leur avait-il concédé un tel pouvoir au moment d’approuver la Constitution.

Le référendum est contraire à la démocratie !

L’idée d’une telle usurpation sourdait elle-même de l’imprégnation doctrinale du normativisme de l’Autrichien Hans Kelsen, introducteur dans le droit constitutionnel des fictions du kantisme, théoricien d’une « théorie pure du droit » et d’une « hiérarchie des normes » dans laquelle la validité de toute norme est… d’être conforme à une autre norme. Dans ce système qui dissout la légitimité dans la pure légalité bureaucratique, la Constitution elle-même qui est le sommet de son système pyramidal ne découle pas de la volonté du peuple – politique, donc non juridique, et par là-même « impur » – mais d’une imaginaire « Grundnorm » de nature « logico-transcendentale » : la Raison des Lumières, implicitement accessible aux seuls esprits rationalistes d’élite, la dicterait. En Allemagne, sous l’effet de la culpabilisation consécutive à la Seconde guerre mondiale, cette doctrine de suspicion de la volonté politique, tout particulièrement de la volonté populaire, a débordé le champ juridique pour envahir les sciences sociales, aboutissant à la théorie du « patriotisme constitutionnel » de Jürgen Habermas : les citoyens ne sauraient oser se réclamer d’une appartenance, d’une patrie, que si celle-ci est de papier, abstraite, universelle, ouverte à tous – et dès lors privée de toute réalité substantielle. Proche de la classe politique allemande actuelle, M. Macron n’est pas insensible aux avantages de ce discours, qui aboutit à la vulgate orwellienne répandue dans les médias qui le soutenaient unanimement ces dernières semaines, selon laquelle « le référendum est contraire à la démocratie » !

Mme Le Pen ne pouvait inquiéter M. Macron en lui faisant remarquer que, si le recours à l’art. 11 était inconstitutionnel, l’autorité du président de la République serait privée de fondement depuis 1962. La fin de l’élection présidentielle au suffrage universel direct est précisément ce dont rêve le progressisme oligarchique – pléonasme, en réalité – pour lequel l’idéal serait que le chef de l’État fût à nouveau désigné par une élite.

L’hostilité constante à la possibilité d’une expression directe du peuple est apparue comme la dominante de la perspective macronienne, comme la suite de l’échange entre les deux candidats de second tour l’a montré :

— MLP : « Aimons la démocratie, aimons la volonté du peuple directement exprimée... »

— EM : « Donc vous venez vous-même de proposer une formule qui éradique le rôle de l’Assemblée nationale. » […]

— MLP : « M. Macron, pardon de vous dire que, encore une fois le peuple est souverain… ».

— EM : « Et l’Assemblée le représente ».

Par ses réponses, le président en exercice ne confirmait pas seulement son inouïe dénégation des termes de l’art. 3 ; il trahissait en outre son intime conviction que les députés, quant à eux, ne représentent pas véritablement le peuple et qu’ils sont précisément en place pour ce motif dans la perspective libérale, para-censitaire et pseudo-épistocratique – sans quoi il n’eût pas opposé leur action à celle du référendum qui manifestement l’effraie, en tant qu’expression du peuple réel. C’est que la délégation de souveraineté ne peut que cesser dès lors que le souverain paraît. Les institutions refondées par le général de Gaulle, de sensibilité monarchiste, renouaient clairement en cela avec la royauté capétienne : le référendum est l’analogue du lit de justice qui suspendait le pouvoir délégué aux cours de parlements, comme l’élection par l’onction populaire est l’analogue du rituel du sacre. Dans le sein du peuple dont est originellement sorti le roi, la royauté est retournée comme en un sommeil de la manifestation du politique. Le peuple ressortit au sacré comme le roi qui l’incorporait autrefois. La quintessence de la politique libérale qu’incarne méticuleusement M. Macron est de le circonvenir par une oligarchie bourgeoise. À cet égard, le pouvoir reconduit le 24 avril dernier réitère en toute logique l’usurpation première : celle qui, le 17 juin 1789, vit quelques cinq-cents bourgeois rompre avec les mandats impératifs qui leur avaient été confiés par leurs électeurs, pour se déclarer sans les consulter « représentants de la Nation », ce qui était la façon la plus durablement habile de prendre le pouvoir au roi sans le rendre au peuple.

1. Voir, par ex., Olivier Beaud et al., « Comme tous les leaders autoritaires, Marine Le Pen veut dynamiter la démocratie libérale en faisant appel au peuple », Le Monde, 12 avril 2022 ; ou Dominique Rousseau et al., « Tribune : “Être démocratiquement élu n’autorise pas à méconnaître la Constitution !” », Midi Libre, 16 avril 2022.

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