Depuis plus de trois mois, nous sommes confrontés à la pire crise universitaire depuis 1968. Une minorité active d’étudiants politisés bloque les universités et empêche le déroulement des cours et la tenue des examens. En cause : la loi ORE (Organisation et Réussite des Étudiants) du 8 mars 2018, qui modifie les conditions d’accès des étudiants à l’enseignement supérieur.
Une loi aussi impopulaire que le système décrié qu’elle abolit
Cette loi, élaborée par la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, vise à organiser l’accueil en université des nouveaux bacheliers en supprimant le très discutable et très décrié système Admission Post Bac (APB), mis en place en 2009 par Valérie Pécresse sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Aussi, en attendait-on le retour à plus de sérénité. Il n’en a rien été, tout au contraire. Dès novembre 2017, des étudiants se mobilisent contre le « plan étudiant », ébauche de la loi ORE. À la mi-février, l’université Paul Valéry, de Montpellier, est bloquée. Le mouvement s’étend à partir de la mi-mars, et au début d’avril, quinze universités sont occupées et paralysées.
La loi ORE : un moindre mal, quoique encore un mal
Pourtant, la nouvelle loi semblait raisonnable, équilibrée et empreinte d’un bon sens propre à rallier à elle – fût-ce sans enthousiasme – une majorité de jeunes, dont les projets d’études avaient été saccagés par la folie technocratique du kafkaïen système APB, avec son algorithme aveuglément destructeur, invention digne des aberrations de l’ancien Gosplan soviétique. Désormais, ce sont les universités et non plus cet algorithme, qui choisissent leurs futurs étudiants, en se basant sur des exigences de compétences requises nécessaires à l’intégration dans la formation choisie par chaque candidat. Le principe de l’absence de sélection est largement maintenu, puisque, concernant la plupart des études supérieures, les universités ne peuvent refuser un bachelier et sont obligées, soit de l’accepter purement et simplement – Oui – , soit de l’accepter en lui proposant, outre les enseignements au programme de la formation choisie, un enseignement complémentaire de soutien et de mise à niveau, personnalisé, afin de prévenir le risque d’échec par décrochage – Oui si –. La sélection subsiste dans les seules types d’études et/ou d’établissements où elle est en vigueur depuis longtemps : au lycée, en classes préparatoires et en classes de BTS, à l’Université, DUT (dans les IUT) ; là, le candidat est soit accepté – Oui –, soit refusé – Non –. Et, bien entendu, la sélection continue de régir l’admission aux grandes écoles, qui recrutent leurs étudiants par concours. En outre, la loi ORE supprime le tirage au sort, permis par le système APB, lorsque les capacités d’accueil d’une université était atteinte, disposition proprement révoltante, il convient de le reconnaître ; désormais, les candidats « en surnombre », si on peut dire, ne seront plus tirés au sort, mais choisis en fonction de leurs résultats scolaires, et surtout, ce qui revêt une importance particulière, sur la prise en compte de leur projet intellectuel ou professionnel, ou encore en tenant compte de leurs éventuelles activités extra-scolaires. Enfin, la loi assure aux candidats une meilleure transparence des procédures en leur permettant d’obtenir une réponse précise sur chacun de leurs vœux. Les bacheliers candidats à des études en université effectuent leurs choix sur le site Parcoursup qui, cette année, a succédé à APB. Ils formulent leurs vœux d’affectation dans plusieurs universités ou autres établissements d’enseignement supérieur, avec un seuil maximum de 10.
Certes, cette loi ORE n’atteint pas à la perfection, très loin de là, mais, dans le marasme actuel, elle apporte un minimum (minimum minimorum, à vrai dire) de pondération et de bonne volonté, et, surtout, elle met fin à l’enfer technocratique du système APB.
Quand Mai 68 devient le ridicule modèle d’étudiants attardés.
Un mouvement politique
Las ! Rien à faire. Les étudiants – du moins, certains d’entre eux, les plus politisés, les plus gavés d’idéologie – ne veulent pas de sélection du tout, fût-ce sous la forme on ne peut plus atténuée qu’en comporte la loi ORE. À leurs yeux, cette loi opère « une sélection déguisée » et « met en concurrence les étudiants », selon Mélanie Klein, membre du bureau de l’UNEF, élue au CNESER (Conseil supérieur de l’Enseignement supérieur et de la Recherche) et au CSLMD (Conseil supérieur Licence Master Doctorat), modèle d’agitatrice professionnelle et d’apparatchik, véritable Laurence Rossignol ou Najat Vallaud-Belkacem en herbe. Dans tous ses tracts et ses déclarations à la presse, l’UNEF dénonce une loi qui a pour but, affirme-t-elle, de « décourager les lycéens de poursuivre des études, de leur bloquer la possibilité d’accès à la filière de leur choix, voire de l’Université tout court ». Et de demander une nette augmentation des sommes allouées au budget de l’Enseignement supérieur. Quand on se rappelle l’important effort financier consenti par l’État à la suite de l’adoption de la loi LRU, en août 2007, pour des résultats très décevants jusqu’ici, et qu’on sait quel tonneau des Danaïdes représentent, depuis plus de cinquante ans, l’Éducation nationale et les universités, cela laisse plus que rêveur.
Résultat : facs bloquées, cours empêchés, examens reportés sine die, remplacés, le cas échéant par des devoirs à la maison, puis, dégagement des locaux par la force, protestations des étudiants non politisés (majoritaires) qui veulent se former, passer normalement leurs épreuves et éviter de perdre une année (surtout les plus impécunieux d’entre eux, qui travaillent pour vivre et couvrir leurs frais d’inscription). Cette agitation est éminemment partisane. En vérité, ses meneurs sont plus intéressés par la lutte contre le présent gouvernement que par le sort des étudiants. Le soutien qu’ils reçoivent de la part de « La France insoumise » en dit long à cet égard. De même, le choix de l’UNEF de prendre une étudiante voilée, Maryam Pougetoux (encore une franco-on ne sait quoi), comme porte-parole, révèle assez les « valeurs » chères à ce mouvement.
Bref, l’Université, dont on espérait une renaissance après l’adoption de la loi LRU, redevient le dépotoir qu’elle n’a jamais cessé d’être depuis 1968. À cet égard, l’octroi à Daniel Cohn-Bendit du doctorat honoris causa, et sa présence au sein du Conseil d’administration de l’université de Nanterre (au titre des personnalités extérieures) sont hautement symboliques !
Un système irréformable car lié à l’idéologie et à la nature même du régime
Décidément, notre système d’enseignement est irréformable de la base au sommet. De lois d’orientation en lois tout court, de décrets en circulaires, de colloques en « États généraux de l’enseignement », de rapports en « livres blancs », il continue de se décomposer, miné par sa lourdeur, ses corporatismes, ses contradictions, son idéologie et son conservatisme de mauvais aloi. Le mal semble incurable. En tout cas, il ne suffit pas – l’échec de toutes les tentatives de redressement le prouve – de changer de politique et d’équipes ministérielles, et de concocter de grands projets de réforme pour le guérir. Et ce ne sont pas des rodomontades et des gesticulations théâtrales qui changeront quelque chose. Les bonnes intentions et tout le travail de M. Blanquer s’exercent dans un système qu’aucune réforme ne saurait véritablement améliorer.
Et cela n’a rien d’étonnant. Le mal tient à notre régime même, à notre chère République et à l’idéologie qui l’inspire en permanence. Cette République a fait reposer sur l’École toute la légitimité de l’ordre social. Il faut réussir à l’École pour être digne et pour mériter de réussir dans la vie, d’occuper une place enviable dans la société. À cela s’ajoute que la société française a constamment évolué, depuis deux siècles, de telle manière qu’il a été toujours plus difficile (voire impossible) d’y réussir, d’y faire son chemin, voire, tout simplement, de s’y insérer, sans une formation excédant le niveau du baccalauréat. Le destin de tout Français se joue à l’École, au collège et au lycée, puis à l’Université, en IUT, dans des écoles d’ingénieurs ou des écoles spécialisées. À l’École, le Français joue à la fois sa dignité et son avenir socio-professionnel.
Enfin, il convient de prendre en considération le rôle proprement politique dévolu à l’institution scolaire. Dès la Révolution française, l’École fut considérée comme l’instrument d’émancipation des citoyens, au moyen de l’éducation et du savoir. Si bien que la revendication du droit aux études, puis du droit au succès aux examens et à l’obtention des titres ne cessa de faire son chemin jusqu’à devenir la règle de fonctionnement de notre système d’enseignement. Ainsi naquit l’enseignement de masse que nous connaissons. De 300 000 en 1968, le nombre d’étudiants est monté à 1 515 000 en 2004, pour s’élever à 2 551 100 aujourd’hui.
Au nom d’un idéal universaliste et égalitaire démentiel – en contradiction, d’ailleurs, avec les aspirations de tout à chacun à intégrer l’élite – et parce qu’on a fait en sorte que l’École soit le seul ascenseur social possible, tous nos jeunes marinent dans le secondaire jusqu’au bac (qu’ils obtiennent tous), puis vont s’étioler ou se consumer dans les facs, en attendant de galérer dans la société, faute d’avoir pu décrocher un diplôme, ou en raison du fait que leur diplôme est dévalué.
Pour le choix salutaire d’un enseignement supérieur libre
Ayons le courage de comprendre ceci : il ne sert à rien de réformer un système universitaire d’État vicié dans ses principes mêmes. Notre enseignement supérieur ne se portera mieux que le jour où il sera libre, constitué d’établissements indépendants, pouvant se fédérer en réseaux et contracter avec les pouvoirs publics. Et il ne renouera avec le succès que lorsque nous nous serons débarrassés de notre propension à croire que tout réussite personnelle passe par l’École et que l’égalité sociale implique la massification des études les plus élitistes.