Un entretien avec Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia. Propos recueillis par Philippe Mesnard.
Le dixième forum de la dissidence sera consacré aux dépenses inutiles et même nuisibles. Une réflexion provoquée par cette France ruinée que Bruno Le Maire et Emmanuel Macron nous lèguent ?
Non, le problème n’est pas nouveau. L’irresponsabilité financière des gouvernants est ancienne car, le discours de gauche étant dominant, ils ont tendance à penser que toute dépense publique est en soi une bonne chose. Il y a des dépenses publiques utiles, certes, dans le domaine régalien, mais aussi il y a des dépenses inutilement somptuaires, et même des dépenses franchement nuisibles.
On voit bien que dans le débat actuel il est juste question de raboter des dépenses dont on ne remet pas en cause l’utilité. Certaines dépenses pourraient donc être immédiatement supprimées ?
Un premier quart de ces dépenses concerne l’immigration. Le deuxième quart, un peu plus surprenant mais qui serait sans doute le plus facile et le plus rapide à supprimer, ce sont les dépenses de transition énergétique, c’est-à-dire les aides pour les économies d’énergie, les éoliennes, etc., qui débouchent sur des dépenses souvent inutiles ou des effets d’aubaine. Le troisième quart, ce sont les collectivités territoriales : il suffit de se déplacer dans n’importe quelle ville de France pour voir des travaux dont on se demande bien quel peut être l’intérêt, sans parler évidemment du millefeuille territorial qui amène des dépenses inutiles. Enfin il y a les dépenses de propagande, c’est-à-dire les subventions aux associations, aux syndicats, aux médias publics, le service national universel, qui ne sert à rien d’autre qu’à enrégimenter – sans grand succès – les jeunes générations. On arrive là très rapidement à 100-120 milliards d’euros. Sans eux, c’est assez facile de ramener le budget à l’équilibre en deux ou trois ans, ce me semble.
Si on devait partir du quart le plus manifestement nuisible, celui dédié à ce que vous appelez la propagande, en quoi les subventions aux associations ou à la presse sont-elles nuisibles, au sens le plus fort du terme ?
Ce sont celles qui favorisent les actions de déconstruction et qui légitiment toutes les autres dépenses nuisibles : discours immigrationniste, justification d’une administration pléthorique, justification du pédagogisme dans l’Éducation nationale, etc. Elles sont nuisibles parce qu’elles permettent de nourrir un certain nombre de prétendus acteurs de la vie politique ou de la vie publique qui en fait défendent des intérêts eux-mêmes nuisibles à la France. Wikipédia, par exemple, est polluée par l’extrême gauche dont les militants, payés par des associations et des syndicats, interviennent en nombre dans cette encyclopédie et la biaisent.
Une autre dépense considérable, et qui a un poids politique stupéfiant, est celle des collectivités territoriales, assez ironiquement montrées du doigt par Bruno Le Maire. Mais les deux tiers de l’investissement public sont réalisés par les collectivités territoriales, permettant de vivifier des territoires par ailleurs abandonnés par le pouvoir central.
Ces dépenses sont très inégalement réparties. Il peut y avoir une gestion de « bon père de famille » dans les petites collectivités, mais il y a un gaspillage insensé dans les grandes villes, elles-mêmes aidées par les régions, les départements, les métropoles, etc. La politique de la ville, les transports, la voierie, le sport, beaucoup de dépenses ne servent qu’à compliquer les choses – et à enlaidir le paysage. L’application des nouvelles normes énergétiques consiste à mettre en place un système bureaucratique de subventions et le coût de la bureaucratie fait partie des coûts indirects de ces dépenses nuisibles ; chaque dispositif génère une administration coûteuse sans d’ailleurs qu’on ait de véritable examen de la rentabilité et de l’efficacité de ces politiques, de la ville, de la transition, etc. Le « pass culture », par exemple, qui permet aux jeunes de 15 à 20 ans d’accéder à un certain nombre de biens culturels, sert surtout à acheter des mangas et accessoirement de rentrer gratuitement à la fête de L’Humanité ; mais il y a quand même 180 personnes pour gérer ce bazar.
Dans les dépenses que vous appelez à réduire, il y a presque en filigrane une réforme de l’administration.
Il y a en tout cas des administrations à supprimer : celle du pass culture, l’Arcom, qui est une agence de censure, donc là il y a des coups de hache à donner ; en matière de transition dite énergétique, l’Ademe coûte 4 milliards par an. Je n’ai pas cité dans les économies possibles les aides à l’étranger. Vous savez, c’est assez drôle, que plusieurs centaines de millions sont donnés à la Chine au titre de l’aide au développement. On ne voit pas très bien pourquoi la Chine aurait besoin qu’on l’aide aujourd’hui… Sans parler des 800 millions d’aides donnés à l’Algérie. J’ouvre une parenthèse : la Ve République s’est fondée sur l’idée de la nécessité d’une certaine rigueur budgétaire. On a donc prévu qu’il fallait d’abord voter, à l’Assemblée, les recettes du budget avant de voter les dépenses, et c’est assez vertueux puisqu’on n’affecte les dépenses qu’après avoir estimé les recettes. Or ça a été totalement perverti. Ces dernières semaines le vote des recettes a consisté à rajouter des impôts en permanence, donc à augmenter les recettes, non pas pour réduite le déficit mais pour faciliter ensuite le maintien voire l’augmentation des dépenses. La bonne pratique, aujourd’hui, devrait être d’examiner l’utilité, l’inutilité voire la nocivité de chaque dépense avant de se demander quelle recette mettre en regard de ces dépenses.
Les politiques de droite comme de gauche, du RN à LFI, prétendent se livrer assez souvent à l’examen des dépenses inutiles, des administrations trop importantes, des dépenses mal orientées. En quoi l’Institut Polémia tranche-t-il par rapport à ce que la Cour des comptes, le RN ou Jean-Luc Mélenchon peuvent raconter en matière d’assainissement des finances ?
Nous ne sommes pas à la même échelle et nous avons une interprétation politique des dépenses justifiées par l’idéologie. Le politiquement correct justifie les dépenses de propagande, les dépenses de transition énergétique sont justifiées par l’idéologie climatiste, etc. Nous, nous sapons les fondements idéologiques de ces dépenses. Certains essayent de prouver en permanence qu’on a besoin de l’immigration pour la prolongation du système de protection sociale ou que, tout compte fait, les immigrants seraient néanmoins contributeurs nets à la richesse nationale. Si on fait le bilan, coûts/avantages, recettes fiscales/dépenses sociales, etc., il y a eu longtemps un débat et Pierre Milloz a traité cette question. Aujourd’hui, à ma connaissance, il n’y a plus une seule étude sérieuse, même émanant des organes les plus politiquement corrects, qui considère que le solde de l’immigration est positif. Mais c’est purement budgétaire. Le problème est plus vaste : il y a incontestablement une nocivité de l’immigration et je serais tenté de dire, en une seule phrase, que nous n’avons plus les moyens de payer notre grand remplacement.
Est-ce qu’on peut dire que cette idée d’une dépense publique constamment alimentée, qui conduit l’État à chercher toujours plus de ressources fiscales, n’a pas aussi comme but de justifier la présence de l’État, de justifier son contrôle toujours plus étroit ? La dette n’est-elle pas en fait un instrument politique ?
Oui, cela permet un contrôle politique plus fort. Cela permet aussi d’acheter des clientèles : derrière toute politique, derrière l’immigration, il y a des gens qui en vivent, des avocats des associations, le BTP en vit. Toute dépense publique crée des clientèles et c’est pour ça qu’il est très difficile de revenir sur une dépense publique, car ceux qui en bénéficient protestent – alors que l’impôt, réparti sur un très grand nombre, paraît relativement indolore. En pratique, c’est politiquement plus payant d’augmenter les impôts que de diminuer les dépenses ; ce qui m’amène à dire qu’il faudrait inverser l’ordre du vote des budgets, parce que le système actuel, contrairement à ce qu’il était censé faire, n’incite pas à la vertu. Et surtout, il faudrait qu’on reconnaisse le caractère nuisible d’une partie des dépenses publiques.
3 000 milliards de dette ? Ouvrons la chasse aux dépenses nuisibles !
10e Forum de la Dissidence,
16 novembre 2024, à Paris, salle Athènes service,
8 rue d’Athenes, 75009.
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