Je ne crois pas pouvoir être accusé de la moindre complaisance envers Emmanuel Macron. Depuis qu’il est apparu sur le devant de la scène politique, le personnage m’a été profondément antipathique et mon instinct comme ma raison m’ont dit que sa présidence serait une longue souffrance pour la France. Sur ce point je n’ai pas été déçu en bien, comme disent nos cousins québécois, même si je dois à la vérité de dire qu’il a encore surpassé mes prévisions les plus sombres.
La démission qui ne devrait pas être
Pourtant je ne pense pas que sa démission, aujourd’hui ou demain, serait un bien pour nous, même si, bien évidemment, elle serait un soulagement très compréhensible. Cela n’est paradoxal qu’en apparence. Si vous me dites que, puisqu’il est responsable de la chienlit actuelle, son départ permettra d’y mettre fin, je vous répondrais que la conséquence n’est pas bonne. Ce n’est pas parce que Jojo (ce salopiot) a fait sortir le dentifrice du tube que reprendre le tube des mains de Jojo y fera rentrer le dentifrice.
Il me paraît d’autant moins urgent de lui reprendre le tube que celui-ci est désormais vide. Je veux dire, pour parler de manière non métaphorique, que Macron est aujourd’hui réduit à une impuissance institutionnelle à peu près complète, pratiquement enfermé entre les quatre murs de l’Élysée comme un grand délirant dans son cabanon matelassé. Son pouvoir de nuisance est sans doute aussi proche de zéro qu’il peut l’être. Mais, s’il devait démissionner sous la pression des parlementaires et le poids de son impopularité, cela serait un précédent très fâcheux, qui affaiblirait gravement et pour longtemps, non seulement ses successeurs mais aussi tous les détenteurs d’une fonction élective dans le pays.
Car, oui, il est démocratiquement vital qu’un président, ou n’importe quel responsable politique, puisse aller au bout de son mandat envers et contre tous les mécontents. Que je sache, De Gaulle n’a pas démissionné en mai 1968. Il est parti de son plein gré, après avoir très explicitement posé à la nation la question de confiance, au moment qu’il a choisi et lorsque le pays était en état de se prononcer de manière calme et réfléchie (ce qui ne veut pas dire que les Français aient bien choisi à ce moment-là, mais cela ne change rien à l’affaire). C’est la seule bonne manière pour un président de démissionner (hors incapacité due à la maladie, bien sûr). Toute autre façon de procéder abîme non seulement la fonction mais aussi, à cause de l’éminence de celle-ci, l’ordre constitutionnel tout entier. Donc oui, Macron est toxique. Mais il est comme un déchet radioactif, confiné dans un conteneur qu’il serait impossible de déplacer sans qu’il s’éventre et répande son poison dans l’atmosphère. Laissons-le où il est pour le moment.
La dissolution inutile
Mais, alors, me direz-vous peut-être, qu’au moins il dissolve à nouveau l’Assemblée nationale. Et je vous répondrai : pour quoi faire ? L’assemblée actuelle est malheureusement très représentative de ce que nous sommes collectivement : pleins de désarroi, de contradictions et de haines impuissantes. En cas de dissolution, il y a neuf chances sur dix que les élections reconduisent le chaos actuel sous une forme à peine différente. Ce qui ne sera pas faire du surplace, mais descendre encore quelques marches de l’escalier du déclin, car qu’y a-t-il de plus démoralisant pour une nation que de constater son impuissance face aux maux qui la travaillent ? Et quand bien même il y aurait une fragile majorité à l’assemblée, ou une élection présidentielle anticipée, qu’est-ce que cela changerait ?
Nous attendons que l’élection nous fasse connaître la volonté de la nation et que cette volonté clairement exprimée produise une action efficace de l’État, qui est l’instrument par lequel la nation se gouverne elle-même. Mais cette attente est doublement erronée. D’une part, la nation ne choisit pas une politique, elle choisit un homme ou une femme qui lui indique avec autorité la voie à suivre. Si elle manifeste sa volonté, c’est sa volonté de faire confiance à celui ou celle qui s’est proposé pour la gouverner. Sa volonté est peut-être première dans l’ordre de nos principes mais elle est seconde dans l’ordre des causes.
D’autre part, les problèmes auxquels nous sommes confrontés ont précisément pour origine la plus directe la déliaison entre l’État et la nation. Ou, pour le dire autrement la courroie de transmission entre gouvernants et gouvernés qu’est censée être l’élection est cassée : l’État ne répond plus. Et cette déliaison produit la lente désintégration de l’un et l’autre à laquelle nous assistons depuis des décennies, car l’un ne peut pas exister sans l’autre. Tirer une fois de plus sur une corde cassée ne nous sortira pas des sables mouvants où, à l’heure actuelle, chaque mouvement brusque nous enfonce davantage.
Le double mandat funeste
J’ai déjà eu l’occasion de dire tout le mal que je pensais de l’interdiction d’exercer plus de deux mandats présidentiels consécutifs, qui a été introduite dans notre Constitution en 2008 par Nicolas Sarkozy. En substance, j’argumentais que cette interdiction s’attaquait à un danger imaginaire – « éviter l’immobilisme » – tout en créant des dangers bien réels, notamment le danger qui consiste à priver un homme très ambitieux et peu scrupuleux de la possibilité de satisfaire légalement son ambition.
Le cas extrême est évidemment celui d’un Louis-Napoléon Bonaparte, qui fomenta un coup d’État faute de pouvoir être réélu. Mais il me semble que la chienlit actuelle, bien qu’ayant des causes profondes bien antérieures à l’apparition d’Emmanuel Macron sur la scène politique, n’est pas non plus sans rapport avec l’impossibilité de se présenter à la prochaine présidentielle qui frappe ce dernier.
La cohabitation qui aurait pu être
J’émets en effet l’hypothèse que l’actuel locataire de l’Élysée aurait accepté bien plus tranquillement une sorte de cohabitation après la dissolution-catastrophe de juin 2024 s’il avait eu la perspective de pouvoir se refaire au coup suivant, à savoir la présidentielle de 2027. Je veux dire par là qu’il aurait accepté un Premier ministre porteur de projets politiques franchement différents des siens s’il avait calculé que cela pouvait favoriser sa réélection. Il aurait échangé deux années de relative impuissance contre cinq années supplémentaires à la tête de l’État ; ce qui aurait été un calcul raisonnable, car, en effet, l’expérience a prouvé que la cohabitation est plutôt favorable au président sortant pourvu, précisément, qu’il sache « lâcher prise » quant à la direction du pays.
Au lieu de quoi, depuis un an et demi il a mis toute son énergie et son habileté – qui malheureusement ne sont pas minces – à éviter de nommer un Premier ministre qui risquait de défaire ce qu’il estime avoir accompli depuis 2017 et qui, selon lui, doit être la marque qu’il laissera dans l’histoire (car oui, bien sûr, un ambitieux de cette trempe rêve toujours de gloire). C’est ce que ses opposants désignent, assez maladroitement, comme le refus de respecter le verdict des urnes. Maladroitement, car le strict verdict des urnes c’est une assemblée tellement divisée que personne ne peut prétendre légitimement former le gouvernement et diriger le pays – ce que Macron a beau jeu de rappeler, notamment à ceux qui réclament un Premier ministre « de gauche ».
Mais en même temps, si la nation française est trop atomisée pour que des élections puisse émerger une majorité de gouvernement, elle n’est pas loin d’être unanime dans l’exaspération que lui inspire Emmanuel Macron. Par conséquent, la signification implicite mais parfaitement claire des législatives de 2024 est que les Français, dans leur écrasante majorité, veulent que Macron se fasse aussi insignifiant et immobile que possible jusqu’à la fin de son mandat. Il n’y a pas de majorité d’action, mais il y a une majorité d’exécration et c’est cette injonction de ne rien faire que Macron ne veut pas entendre. Car ne rien faire, et laisser d’autres défaire ce qu’il a fait, est impossible à un homme comme lui.
Emmanuel Macron, c’est le scorpion qui pique la grenouille au milieu de la rivière et se noie avec elle, parce que c’est dans sa nature de piquer. Ou, pour le dire de manière non métaphorique, il continue à vouloir peser sur les évènements et cette volonté visible augmente l’exaspération qu’il suscite et échauffe des esprits déjà très échauffés, alors même qu’il ne peut pas grand-chose en réalité. Cela ne modifie pas ma conclusion précédente, selon laquelle sa démission serait à l’heure actuelle une mauvaise affaire : la légitime colère qu’il suscite ne devrait pas nous aveugler sur les conséquences de long terme d’une telle démission. Mais c’est un autre problème. Mais cela me confirme dans l’idée que cette interdiction d’exercer plus de deux mandats consécutifs est bien « une funeste connerie » (Macron dixit) et incidemment que Nicolas Sarkozy fut – lui aussi – un président assez funeste.
La solution certaine
Mais alors, en quoi pouvons-nous placer notre espoir ? De manière très concrète et immédiate, je n’en ai pas la moindre idée. Mais, me semble-t-il, pour le dire en des termes très généraux, le salut prendra nécessairement la forme d’un homme ou d’une femme assez fou et assez sage pour oser « assumer » la nation envers et contre tous et pour, ce faisant, commencer à lui redonner foi en sa capacité à agir.
Bien sûr l’élection est une sanction indispensable, car la démocratie est le seul régime tolérable dont nous sommes capables. Mais l’élection ne créera pas cet élan vital ni ne fera apparaître cet homme ou cette femme : elle viendra seulement ratifier a posteriori son geste et attester de la sagesse de sa folie. Bien évidemment ce ne sera que le début d’un long combat, à l’issue toujours incertaine, pour essayer de raccorder et de réaccorder la nation et l’État, mais du moins le combat aura commencé.
Ceci n’a rien d’original : toutes les nations ont besoin, à un moment ou l’autre de leur histoire, de ces individus exceptionnels surgis de leurs profondeurs, qui défient les lois de la probabilité et accomplissent des choses qui paraissent impossibles avant qu’ils les aient faites : un Washington ou un Churchill, un De Gaulle, un Ben Gourion ou un Atatürk… la liste est longue.
Je ne vois nulle part cet homme ou cette femme, mais cela ne signifie pas qu’il ne soit pas déjà là, parmi nous, invisible encore à nos yeux, et peut-être même aux siens propres. Peut-être n’apparait-il que dans cinquante ou cent ans. En attendant, nous devons simplement continuer nos vies heureusement obscures, en essayant d’être bons pour ceux que nous aimons et pour ceux dont nous avons la responsabilité, sans jamais désespérer de nos semblables ou de notre patrie, même si l’un et l’autre nous donnent, apparemment, de bonnes raisons de le faire. Peut-être parce que j’ai foi en la France, je ne suis pas fondamentalement inquiet. Ce qui ne veut pas dire que je m’attende à autre chose qu’à des temps difficiles, aussi loin que mon regard peut porter.
Illustration : J’y suis, j’y reste !
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