La dissolution est pour Macron un mouvement audacieux : dans les faits, il a pris de court le RN et précipité l’union de la gauche ce qui va paradoxalement lui être favorable à cause de la résurrection du front républicain, qu’on avait un peu vite enterré. Tout porte à croire que le macronisme ne disparaîtra pas… [article écrit avant les résultats de dimanche 7 juillet 2024]
Emmanuel Macron, que les élections européennes, devaient sanctionner, a retrouvé la maîtrise de la situation, et de main de maître. En dissolvant l’Assemblée nationale, il a pris la seule initiative susceptible d’annuler cette sanction et d’éviter qu’elle ne soit encore plus sévère lors des échéances électorales de 2027. Prenant tout le monde de court, il a privé les partis d’opposition, le RN comme les partis de gauche, du temps nécessaire pour s’organiser en vue de ces échéances, et les a condamnés à l’improvisation dans l’affolement et la précipitation, et, pour les seconds, jusqu’ici en pleine mésentente mutuelle, à la conclusion d’accords électoraux bâclés et insatisfaisants pour chacun d’eux considéré isolément, en vue d’un programme minimum commun et d’un nouveau Front populaire. On peut d’ailleurs, au passage, s’interroger sur l’opportunité de cette référence historique au Front populaire de 1936, conclu en 1935 entre les partis de gauche de l’époque, dans un climat de défiance, voire d’inimitié mutuelle (le parti communiste haïssant la SFIO et n’acceptant son alliance que sur injonction du Kremlin et pour barrer la route au fascisme, et soutenant le ministère Blum sans y participer, les radicaux étant on ne peut plus anti-communistes, et même anti-socialistes), surtout quand on songe d’une part à l’échec économique total qui en résulta, d’autre part à la manière dont ce Front populaire se termina, à savoir par un cabinet Daladier, excluant la SFIO, associant les radicaux et la droite, et s’efforçant, à coups de décrets-lois (notamment ceux du très anti-communiste ministre des Finances, Paul Reynaud), de revenir sur les acquis sociaux, en particulier la semaine de 40 heures de travail. Mais le mythe prévaut ici sur la dure réalité. Et, à l’esprit de Français dominés par la mythologie révolutionnaire, le Front populaire représente une « avancée » symbolisée par les 40 heures et les congés payés.
C’est la même nécessité étroitement politique de s’entendre dans l’urgence et à tout prix qui a présidé à la constitution du Front populaire actuel. Ainsi, les partenaires de ce Front se sont entendus sur l’annulation des décrets d’application de la réforme des retraites sans promettre cependant le retour à la retraite à 60 ans (retenu pourtant comme objectif), l’annulation de la récente réforme de l’assurance-chômage, l’élévation du SMIC à 1 600 euros nets, l’annulation des hausses des tarifs de l’électricité et du gaz, le rétablissement de l’ISF, l’abrogation des lois récentes sur l’immigration, et diverses mesures environnementales. Sans parler de la politique européenne et de l’aide à l’Ukraine, sujets sur lesquels l’entente est plus facile. Et, naturellement, ils se sont répartis circonscriptions et candidatures.
La probable constitution d’un front républicain associant les macroniens, les LR et le PS
Après les présentes législatives, le Nouveau Front populaire se disloquera très vite. Glucksmann et la plupart des caciques du PS (N. Mayer-Rossignol, Hélène Geffroy, Johanna Roland, Carole Delga) sont résolument hostiles à l’option marxisante et populiste de La France Insoumise et à la nomination de Jean-Luc Mélenchon à Matignon. Résolument sociaux-libéraux (et, au fond, plus libéraux que sociaux) et inconditionnellement européens (fédéralistes européens), ils souhaitent, sans trop le dire, une alliance entre eux, la nébuleuse macronienne et les LR (au moins avec l’aile modérée de ces derniers), une rupture nette avec LFI et le PCF, et une alliance toute conditionnelle avec EELV. Refusant les exigences de LFI, du PCF et de l’aile fanatique de EELV, ils rompront (on ne peut trop prévoir quand, mais assez vite) leur alliance avec eux, et se joindront aux macroniens et aux LR, desquels aucune divergence insurmontable ne les sépare (en matière économique et sociale comme dans le domaine de la politique étrangère, européenne en particulier) et dont ils sont – il faut le dire honnêtement – beaucoup plus proches que de leurs partenaires obligés d’aujourd’hui qu’ils vouaient aux gémonies il y a peu (souvenons-nous des propos incendiaires des socialistes contre LFI et la moribonde NUPES). Et, au final, nous aurons une majorité et un gouvernement de « front républicain » macroniens-LR-PS, opposé à la fois à l’extrême gauche et au RN, et qui continuera la politique des Sarkozy-Fillon, des Hollande-Valls et des Macron-Borne-Attal. Un peu à la façon dont le Front populaire socialiste de 1936 s’est terminé en 1938 par le gouvernement radicaux/droite de Daladier renouant avec la politique conservatrice des Doumergue, Flandin et Laval (le Laval des années 1930, pas celui de Vichy). Et Macron pourra achever victorieusement son second mandat présidentiel.
La pérenne impuissance de la droite
Le RN, privé d’alliés, ne réunira jamais une majorité parlementaire autour de lui. En outre, il aura contre lui toute la haute fonction publique, toute l’intelligentsia, tous les médias, tous les partis et « assoces » qui multiplieront contre lui les critiques et les manifestations.
Car, ne l’oublions pas, la gauche est chez elle, dans notre pays. Le soir du 9 juin dernier, Glucksmann reprocha à Macron d’avoir, en dissolvant l’Assemblée nationale, « obtempéré » à la prétendue injonction de Bardella (qui l’avait appelé à prendre cette décision), et avait conclu que, désormais, « c’est le RN qui donne le tempo de la vie politique en France ». C’est faux. Depuis l’établissement de la République, entre 1870 et 1879, voire depuis la Révolution française, c’est la gauche qui oriente la vie politique de notre pays. Au XIXe siècle, aucun des régimes antérieurs à la IIIe République n’est revenu sur les « acquis » de la gauche depuis la Révolution et après celle-ci. Et, depuis que nous sommes en république, tous les gouvernements de droite ont avalisé, entériné, les mesures prises par la gauche. Et, depuis au bas mot une cinquantaine d’années, la droite met un point d’honneur à se réclamer des valeurs de la gauche. Même quand la droite exerce le pouvoir, la gauche domine les milieux intellectuels et les médias, et gouverne les esprits. Elle est chez elle en France. La preuve : lorsque Éric Ciotti a annoncé son intention d’allier ses troupes au RN, Sandrine Rousseau, la fana écolo-féministe-woke, est venue au siège des LR pour lui signifier sa honte et lui faire sévèrement la leçon. Et, on se souvient que lorsque fut votée la loi Darmanin sur l’immigration (avant le coup de ciseaux du Conseil Constitutionnel), 32 présidents socialistes de conseils départementaux, annoncèrent qu’ils n’en appliqueraient pas les dispositions concernant les allocations financières aux étrangers inactifs… sans que nul ne pointe l’illégalité de cette attitude et ne rappelle qu’elle pouvait donner lieu à la destitution de ces élus, voire à des poursuites judiciaires.
Oui, en vérité, nous n’en avons pas fini avec la politique macronienne, laquelle n’est que la poursuite d’une politique de décadence beaucoup plus ancienne.