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Existe-t-il encore une Droite nationaliste en France et ailleurs ?

Existe-t-il une droite nationaliste française, actuellement ? La plupart de nos compatriotes pensent que « l’extrême droite », comme disent nos médias, est représentée par Le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen et Jordan Bardella, et, dans une moindre mesure, Reconquête ! d’Éric Zemmour et Marion Maréchal. Mais, pour qui connaît tant soit peu notre histoire politique, une telle affirmation laisse perplexe.

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Existe-t-il encore une Droite nationaliste en France et ailleurs ?

Car enfin, le RN ressemble bien plutôt à un parti populiste attrape-tout, protestataire plus que doctrinaire ou programmatique, changeant d’orientation au gré de sa stratégie, mesuré dans son hostilité à l’immigration, défenseur des petits et moyens entrepreneurs, relativement opposé au grand capitalisme, favorable à une Europe confédérale de nations souveraines, et soucieux d’être en accord avec le politiquement correct.

En cela, il se démarque de Reconquête !, beaucoup plus conservateur, résolument libéral en économie, refusant les propositions sociales démagogiques, fortement identitaire, partisan d’une Europe confédérant des nations dirigées par des gouvernements nationalistes, éthiquement et culturellement réactionnaires.

Les décombres de l’ancien nationalisme

Ces deux formations ont supplanté les nationalistes d’antan. Ces derniers ont disparu du paysage politique. Depuis 2019, la formation Les Nationalistes regroupe les restes épars de la mouvance nationaliste des années 1960,1970 et 1980, qui englobait les nationalistes catholiques (Sidos et L’Œuvre française), les nationalistes révolutionnaires (Duprat, Ordre nouveau, le groupe Militant, le parti nationaliste français, la FANE puis les FNE), et les solidaristes (le MNR puis Troisième Voie de Malliarakis). La campagne des récentes européennes lui a donné l’occasion de se manifester en présentant une liste de candidats. Mais elle n’a plus le dixième de l’audience qu’avaient les formations que nous venons d’énumérer, lesquelles avaient des militants dévoués, des chefs capables, et séduisaient une partie de la jeunesse, certes restreinte, mais ardente et active. Et c’est contre le RN ou Reconquête ! que se constituent le « front républicain » et le « cordon sanitaire ». Durant la campagne présidentielle de 2022, c’est Éric Zemmour, président de Reconquête !, qui fut conspué, insulté, menacé, et dont les meetings furent perturbés, et non une quelconque formation légitimement suspectable de fascisme.

Les fascismes des années 1930 et 1940 sont désormais celés dans un passé révolu qui ne peut pas plus renaître que ne le peuvent les paganismes antiques ou le système féodal. Les groupes fascistes ou le Front national des débuts étaient ciblés dans la mesure où ils se rattachaient à un passé encore assez proche, comportant de nombreux témoins ou acteurs survivants, et dont la résurgence, quoique fort improbable, n’était pas considérée comme impossible et pouvait séduire nombre de jeunes en raison de sa proximité historique. Tel n’est plus le cas aujourd’hui, où tous les fascistes du passé sont morts, et en une société incommensurable à celle(s) des années 1930 et 1940. Le lien de possible séduction qui reliait ce passé au présent est rompu, et les nationalistes purs et durs, fascisants, d’aujourd’hui, n’intéressent personne. Le fascisme a perdu sa clientèle. Et cela explique la désaffection qu’il connaît et son évincement par le RN et Reconquête !. Ces deux partis rallient des gens qui, naguère, auraient penché du côté des formations fascisantes comme Jeune nation, Ordre nouveau ou même le FN de Jean-Marie Le Pen.

Les innovations sociétales, nouveau critère de séparation de l’extrême droite et des démocrates

Le fascisme a tellement perdu de son actualité que ses contempteurs eux-mêmes sont amenés à reléguer au second plan leur argument favori de la menace qu’il représente. Ils ont beau rattacher ces deux partis au fascisme d’antan, ils sont obligés, pour être crédibles aux yeux d’une population désormais insensible à un tel grief, de choisir contre eux d’autres arguments. Ils préfèrent insister sur les conséquences désastreuses pour la France, de leur politique économique et de leur politique internationale, en opposition avec celle de l’Europe. Ils optent également pour le sociétal comme cheval de bataille. Ainsi, le souverain mal imputable au RN, et surtout à Reconquête, et à leurs homologues européens (les Frères d’Italie, l’AfD d’outre Rhin, le FPÖ autrichien, les partis polonais Droit et Justice, Droite de la République et Liberté, etc….) réside, selon eux, en leur opposition à l’avortement, au mariage homosexuel, à la PMA, à l’immigration et à la contre-culture underground. Tels sont les critères de démarcation des fascistes et des démocrates. Les premiers ne sont plus ceux qui défendent les intérêts des dirigeants, des possédants, des détenteurs de capitaux, et oppriment les travailleurs, mais ceux qui s’opposent aux innovations sociétales que nous venons de citer. En somme, tout se passe comme si les questions proprement sociales – celles se rapportant aux conditions de vie et de travail de nos compatriotes, à leur revenus, à leur protection sociale – avaient désormais perdu toute importance, qu’il était entendu qu’elles devaient rester ce qu’elles étaient sous tous les gouvernements et qu’il ne saurait en aller autrement, et que seuls « les grands équilibres » (pour reprendre une expression de Rocard) importaient, que risqueraient de mettre en péril le RN en cas d’accès au pouvoir. On ne reproche pas à Mme Meloni de diriger un gouvernement très conservateur et peu favorable aux Italiens de condition modeste, on lui reproche de chercher à restreindre le droit à l’avortement, de limiter les droits des homosexuels, de ne pas reconnaître les enfants de couples lesbiens conçus in vitro. Et, en conséquence, tout se passe comme si nous n’avions le choix, en France, en Europe et ailleurs, qu’en un monde livré au marché sans frontières, matérialiste, étayé sur des valeurs prétendument humanistes impliquant la liberté de l’avortement, les droits des LGBT, la PMA, etc…, définis comme les marqueurs éthiques forts de la liberté et de la démocratie, et un monde aussi vulgaire et mercantile que le premier, mais ennemi de la liberté de mœurs. Le choix de l’attitude à l’égard des innovations sociétales comme critère de délimitation de la démocratie libérale humaniste et de la dictature d’ « extrême droite », conçu et imposé par nos dirigeants, notre intelligentsia et nos médias, explique le prompt ralliement à elles du RN, qui n’a encore pas vraiment résolu la conciliation de ce qui lui reste de nationalisme avec son acceptation de l’Europe, indispensable elle aussi pour avoir raison des critiques de ses ennemis.

La mise au diapason du monde actuel des droites nationales

C’est que la mécanique qui régit notre vie publique est une machine qui équarrit les partis récalcitrants et les retaille aux normes de l’échelle de valeurs dont elle assure la sauvegarde. Le RN y est passé et a donc subi ce processus de normalisation, encore que ce dernier demeure inachevé et ne mette pas fin à l’ostracisme de la classe politique « républicaine ». Reconquête ! ne s’y est pas encore soumis, mais, en dépit des griefs de ses ennemis, il ne descend pas de l’extrême droite de la fin du XIXe siècle et du XXe , ne serait-ce qu’en raison de l’absence de filiation le reliant à elle et de l’appartenance ethnique de son chef.

L’extrême droite, en France comme ailleurs, a changé avec le monde. Affectée, comme la gauche, par l’effondrement des idéaux qui l’inspiraient autrefois, elle n’est plus que populiste, comme le RN, ou économiquement et socialement conservatrice sur fond d’affirmation identitaire à l’instar de Reconquête ! et de la plupart des partis européens et non européens (tels les partis libertariens de Jair Bolsonaro au Brésil ou de Javier Milei en Argentine considérés comme d’ « extrême droite »). Dans les deux cas, elle se met au diapason de notre société, décérébrée en même temps que conditionnée, et oscillant entre la résignation (dont témoignent les abstentions électorales massives) et un individualisme dérisoire qui passe pour de l’humanisme.

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