Sans doute n’avons-nous rien à attendre du scrutin du 26 mai, destiné à élire nos eurodéputés. Pas moins de douze listes sont déjà déclarées. Un beau catalogue donc. Malgré la diversité de cette palette, des Français patriotes, soucieux, comme tels de l’avenir de leur pays, auront bien du mal à faire un choix, tant la carte proposée se signale par la fadeur, la qualité douteuse et le caractère indigeste des mets présentés.
Tous semblables, même s’ils se chamaillent
Sur l’essentiel, en effet, ces derniers se ressemblent tous. Toutes ces listes s’accordent, en effet, sur le respect inconditionnel des « valeurs de la République », qui incluent aujourd’hui le droit absolu à l’avortement et à la contraception, le maintien du PACS (de plus en plus préféré au mariage), le respect du droit à la différence des minorités organisées en groupes de pression hautement prosélytes, la conservation du mariage homosexuel, la préférence pour une nation « polyethnique » et « multiculturelle », la défense d’une école publique décrépite et corrompue, l’absence de remise en question d’une éducation permissive, l’acceptation du règne de la loi du marché en économie et dans la vie de nos compatriotes, et la résignation, pour la grande majorité de ceux-ci, à une vie quotidienne de misère et d’insécurité, jalonnée par les incivilités, la délinquance et les coups du sort. À cet égard, rien ne distingue nos diverses têtes de listes. Comme durant le Grand Débat du trimestre écoulé, bien des mesures politiques et législatives et des phénomènes de société sont d’emblée soustraits à toute discussion, a fortiori à toute contestation.
Des oppositions cependant…
Pourtant, à la différence des limites imposées au grand Débat par le pouvoir en place, et nonobstant le fonds commun de « valeurs républicaines » qui unit les listes concurrentes, un certain nombre de divergences sérieuses opposent ces dernières, comme l’a révélé le débat télévisé cacophonique du 4 avril dernier. Les oppositions les plus sensibles concernent les problèmes de l’immigration, de la libre circulation des hommes et des marchandises à travers toute l’Union, et l’avenir de la construction européenne. Sur ces divers sujets, les participants se sont invectivés. Raphaël Glucksmann, atlantiste de toujours, néolibéral convaincu récemment converti au social-libéralisme, oscillant entre Macron, Jadot, Faure et Hamon, a prétendu faire honte à Nathalie Loiseau et François-Xavier Bellamy de leur sécheresse de cœur à l’égard des migrants. En cela, il a tant soit peu rejoint l’UDI Jean-Christophe Lagarde, qui, lui, « refuse de placer des douaniers sur le pont de Kehl, à Strasbourg, contrairement à Mme Le Pen et à M. Wauquiez ». Face à ces positions si favorables à la porosité des frontières nationales, Marine Le Pen, Florian Philippot, Laurent Wauquiez et Nicolas Dupont-Aignan, dénoncent, eux, l’espace de Schengen, qui depuis vingt-cinq ans assure aux mouvements transnationaux des hommes et des marchandises la plus totale liberté ; cependant que Nathalie Loiseau réclame, elle, un renforcement des contrôles à la frontière de l’UE. On assiste également à l’affirmation des oppositions entre souverainistes et fédéralistes, entre les partisans d’une Europe restreinte et ceux d’une Europe aussi large que possible. François-Xavier Bellamy souligne ainsi « l’échec » de l’Europe des 27, cependant que Florian Philippot accuse ses concurrents d’avoir « voté tous les traités de libre-échange ». Cela à l’indignation de Benoît Hamon, Raphaël Glucksmann, Jean-Christophe Lagarde et Nathalie Loiseau. Hamon s’offusque et se désole de constater que le courant souverainiste oriente le débat électoral vers l’affirmation d’une « défaite culturelle de l’Europe ». Deux conceptions du monde à venir s’affrontent lorsque Yannick Jadot estime nécessaire un accroissement du budget européen « si l’on veut contrer la Chine, la Russie, les États-Unis, et assurer la préservation de l’environnement », cependant qu’à l’opposé Florian Philippot affirme qu’ainsi « on tond la laine sur le dos des Français », rejoint en cela par Nicolas Dupont-Aignan. La question du Brexit oppose également les souverainistes, qui considèrent que l’économie britannique se porte plutôt bien, et tous les autres, qui l’interprètent comme une catastrophe. La question du climat oppose les macroniens et une partie des « Républicains », partisans d’une écologie responsable et solidaire du système économique continental, et les écologistes et socio-libéraux qui, de EELV au PS, reprochent au pouvoir de dissocier la cause de l’environnement des questions sociales.
… mais qui ne l’emportent pas sur la similitude de fond
Beaucoup de divergences et d’oppositions, donc, mais un ensemble de « valeurs » partagées qui, tenant lieu de dénominateur commun (et, le dénominateur, c’est ce qui désigne, nomme et définit), font qu’elles n’ont aucune importance décisive, aucun caractère rédhibitoire, et, au contraire, se résorbent très facilement, puisqu’elles ne sont que peu de chose en regard de ce fond commun de libéralisme mercantile, libertaire et mondialiste qui constitue le substrat de toute notre classe politique. Englués dans ce fond, les souverainistes ne résoudront rien, ne feront même pas avancer d’un iota la cause nationale qu’ils prétendent servir.
Vers une union des droites nationales européennes ? La seule lueur d’espoir vient de l’étranger.
Nous assistons, en effet, à une tentative d’organisation solidaire des diverses droites nationales. Matteo Salvini, chef de la Ligue du Nord italienne et ministre de l’Intérieur de son pays, a lancé, le 8 avril dernier, un appel à la constitution d’un groupe uni et puissant au Parlement européen, pour mieux combattre les assauts du fédéralisme, en mettant fin à la dispersion des partis nationalistes, actuellement en opposition mutuelle, et dispersés entre quatre groupes de députés (PPE, conservateurs, Europe et Libertés, Réformistes européens). Et il semble avoir été entendu : des leaders comme Jörg Meuthen (Alternative für Deutschland [AfD]), Anders Vistisen (parti populaire danois), Olli Kotro (Les Vrais Finlandais), lui prêtent main forte pour réaliser cette ambition. Marine Le Pen, qui a rencontré Salvini le 4 avril dernier et s’affirme « sur les mêmes lignes » que lui, et Pános Kamménos (Grecs indépendants), ministre grec de la Défense jusqu’en janvier dernier, sont favorables à cette stratégie parlementaire.
En plein accès de populisme, le candidat du RN déclare, le 25 avril, n’avoir rien compris aux propos lumineux d’Emmanuel Macron !
Cette esquisse d’union ne va d’ailleurs pas sans houles, heurts et autres divergences ou désaccords. Il existe, en effet, bien des différences, lourdes de mésentente, entre le Rassemblement national français, poujadiste, plébéien, et aux relents révolutionnaires jacobins, et l’AfD, plus classiquement conservatrice, entée sur les classes moyennes aisées et la fraction traditionaliste de la haute bourgeoisie allemande, rétive au populisme de gauche, et entre ces deux partis et certaines formations nationalistes d’Europe du nord (parti populaire danois, Les Vrais Finlandais), nés de scissions d’avec des partis de la droite modérée voire du centre, hostiles à l’immigration, mais également à toute orientation identitaire marquée. Inversement, on peut observer une certaine convergence entre le Rassemblement national et les Grecs indépendants, bien que ces derniers participent à un gouvernement à direction de gauche, ce que ne veut ni ne peut Marine Le Pen en France.
À terme, il est très vraisemblable que des partis des droites nationales est-européennes, de Slovaquie, de Hongrie, de Pologne et de Roumanie, dont certains exercent ou ont exercé le pouvoir (comme en Hongrie ou en Pologne), se montrent sensibles à cet appel du ministre italien de l’Intérieur, et se joignent à l’union qu’il projette avec les leaders nationalistes allemands, scandinaves et finlandais. Salvini attend beaucoup de la réalisation de son projet de rassemblement des droites nationales européennes. Il entend mettre un terme à la très nocive dispersion de ces formations en groupes parlementaires différents, et il vise la constitution du « groupe le plus important au Parlement européen », ce qui est fort ambitieux, et, pour le moment du moins, et sans doute pour longtemps, bien incertain. Mais enfin, il faut avoir, à certaines époques, le courage de demander l’impossible, de le rendre moins impossible, de forcer le destin, surtout si la cause est noble, grande et belle. Et le patriotisme est une cause noble, grande et belle. Saluons donc l’initiative du chef de la Ligue du Nord italienne, et formons des vœux pour sa réussite.
Mais gardons-nous de rêver
Mais ne rêvons tout de même pas trop. Les droites nationales ont toujours eu le plus grand mal à s’unir, et ce pour plusieurs raisons.
En premier lieu, leur caractère national, leur centration sur la défense des intérêts d’une nation, les prédispose peu à s’unir en une organisation internationale, à l’opposé des tenants des gauches socialistes, écologistes ou autres, et des tenants du mondialisme néolibéral.
En second lieu, elles se révèlent bien loin d’être exemptes de calculs politiciens. Or, ceux-ci prédisposent certaines d’entre elles à s’intégrer à des groupes modérés et libéraux (Parti populaire européen, Conservateurs et réformistes européens, Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe), plutôt qu’au groupe Europe des Nations et des Libertés, lequel est, en principe, leur vivier naturel.
Enfin, en troisième lieu, l’intérêt de cette réunion des droites nationales européennes est limité, quoique louable.
En effet, on n’intègre pas un système sans en accepter les principes et les règles. Et, dans ces conditions, l’action du groupe des droites nationales se trouvera vite bornée et impuissante à changer fondamentalement les choses. Tout ce que l’on peut espérer, c’est qu’il infléchira cette Europe dans le sens de sa remise en question et d’une option institutionnelle orientée vers la coopération entre États appelés à recouvrer leur souveraineté plutôt que vers une option fédéraliste. Sera-ce le cas ?