Le dernier sommet européen qui s’est tenu à Bruxelles, le jeudi 14 décembre, s’est déroulé dans une lourde atmosphère. Aucun accord n’en est sorti. Il n’est pas douteux que les sommets suivants s’en ressentiront. Le Conseil des chefs d’État et de gouvernement qui était le lieu habituel des discussions et des compromis, dominé par les principaux États qui s’assuraient une sorte d’hégémonie, Allemagne, France principalement, se transforme en lieu d’affrontements. L’actualité médiatique en a fait peu état. Ce dernier Conseil de l’année 2017 fut, pourtant, révélateur de la profonde disharmonie qui, maintenant, caractérise l’Union européenne : elle devient, chaque jour davantage, une désunion.
La querelle migratoire
Les Vingt-Sept se sont disputés sur la question migratoire puisque tel était l’ordre du jour. L’Allemagne de Merkel est, une fois encore, à l’origine des désaccords. On se souvient comment les décisions du gouvernement allemand, en 2015, avaient aggravé le problème des flux migratoires, en provoquant des surplus d’arrivées massives, incontrôlées et incontrôlables, de migrants, qualifiés, à l’époque, de Syriens. Il ne s’agissait pas seulement d’ouvrir les frontières, il fallait encore accueillir, « relocaliser », surtout répartir les migrants par pays et par quotas.
C’était pour la chancelière Merkel « la solution » qu’elle prétendait apporter et surtout imposer par voie européenne et communautaire, avec l’appui de Juncker, à tous les pays de l’Union, sans même, d’ailleurs, les consulter. Les résultats sont connus. Les flots devinrent ininterrompus, se frayant tous les passages possibles maritimes et terrestres en colonnes continues. Chaque pays n’avait plus qu’à essayer de faire front pour échapper à la submersion. L’Allemagne et les pays du Nord en ont, d’ailleurs, subi les conséquences ; les Allemands ont de quoi s’en souvenir : les incidents de Cologne restent gravés dans leur mémoire.
Merkel tenta de régler, seule encore, et souverainement – financièrement aussi à coups de milliards – au nom de l’Europe – Hollande n’existant pas –, avec la Turquie cette question des frontières.
La Turquie, bien évidemment, en profita et en profite, d’ailleurs, encore pour exercer son chantage ; Erdogan mène sa politique sans scrupule et menace une Europe qui avait décidé fort imprudemment de l’accueillir en son sein ; l’Allemagne en a su quelque chose, insultée qu’elle fut par le Sultan !
Et maintenant qu’Erdogan se hisse au rang de haut représentant des intérêts musulmans, il est à prévoir que ses exigences seront de plus en plus implacables.
Réalités et idéologies
Sur tout le pourtour de la Méditerranée le même genre de pression se fait sentir sur l’Europe, alimentée en outre par les migrations de plus en plus importantes et organisées venues d’au-delà du Maghreb, du Sahel, voire de l’Afrique profonde. Macron voudrait, lui aussi, résoudre le problème à la source ; louables intentions, mais encore faudrait-il avoir une politique africaine dont il a déclaré qu’il ne voulait plus, pour mieux rompre, paraît-il, avec le passé, remettant l’avenir, là aussi, à une Europe future qui n’existe pas et qui, elle-même, n’en veut pas.
Alors que faire ? Verrouiller l’Europe ? Mais où et comment ? Aucune troupe, aucune flotte n’y suffirait et, d’ailleurs, il s’agit plutôt de sauver tant de malheureux livrés aux hasards de la mer ! Laisser le contrôle à la Turquie qui abuse de sa situation, et à la Libye où les passeurs et les modernes négriers ont installé des marchés d’esclaves ?
Merkel a trop usé de sa position dominante pour faire avaliser par l’Europe les dispositions qu’elle avait cru devoir prendre au nom de tous : un système de répartition qui était censé résorber naturellement les flux migratoires. Les pays de l’Europe centrale ne s’y sont pas pliés. La Commission présidée par l’inénarrable Juncker, n’hésita pas à traduire devant la Cour de justice de l’U.E. les pays récalcitrants, Hongrie, Pologne, Tchéquie, au motif qu’ils n’ont pas rempli leur quota ! Inutile de souligner que de telles procédures ne laissent pas de créer des tensions dans la prétendue « Union » européenne qui, en tant qu’entité supranationale, passe son temps à faire la guerre sociale, économique, politique, non aux ennemis extérieurs, mais à ses propres membres qui n’entrent pas dans son idéologie.
C’est ainsi qu’à peine 32 000 réfugiés ont été, selon l’expression consacrée, « relocalisés » sur les 160 000 qui avaient été sélectionnés – en quelque sorte ! – pour être répartis dans l’année 2016 ! Alors, aujourd’hui…
Et voilà que ce sommet de décembre se réunissait, dans de telles circonstances, pour reprendre et réexaminer le même problème mais en imposant toujours la même « solution », cette fois-ci de manière définitive et non plus provisoire devant la certitude que, de toutes façons, la crise migratoire n’était plus en soi « une crise », mais un « phénomène permanent » et « régulier » auquel il convenait d’apporter en conséquence des « règles permanentes » ! C’est ce qui se pense dans les hautes sphères des stratégies mondiales et mondialistes. Sur cette ligne se retrouvaient en principe Bruxelles, Berlin et Paris.
Le refus des peuples
Mais les peuples rechignent de plus en plus ! Ils ne veulent ni de répartition ni de quotas. Ils veulent rester maîtres de leur droit d’asile, de leur politique migratoire, de leurs frontières, de leur souveraineté. Les mêmes ont donc refusé et violemment le dispositif permanent, automatique et obligatoire, qui leur était présenté. Merkel a tempêté en invoquant la solidarité et en l’érigeant en question de principe : « Il ne peut pas y avoir de solidarité sélective entre les membres de l’Union européenne… »
Macron s’est trouvé mal pris, comme d’habitude, entre ses rêves d’Europe et ses promesses électorales. Il a botté en touche, selon sa manière, avec son fameux en même temps : « On ne peut pas transiger sur la solidarité européenne, mais on peut discuter les modalités d’application ». Les pays du groupe de Visegrad ont campé sur leur position, se contentant d’allouer à l’Italie un chèque de 35 millions d’euros pour l’aider à contrôler la Méditerranée. Le plus drôle, et le plus exaspérant pour Mekel, fut que Donald Tusk, président permanent du Conseil européen, se souvenant pour une fois qu’il était polonais, a pris acte de la totale inefficacité des solutions préconisées. Il a fallu que Juncker publiquement condamne une telle « provocation » !
Autre drôlerie, encore, dans ce caravansérail européen : au dîner du soir Theresa May venait faire son « vingt-huitième » ! Avec, dans sa valise, pour le lendemain, toutes les difficultés du Brexit sur lequel, malgré toutes ses oppositions, elle ne reviendra pas, tergiversant entre les accord possibles, transitoires et définitifs, pour mieux manœuvrer. Barnier, l’autre inénarrable pantin de l’eurocratie, en perd son anglais et est obligé de renvoyer aux calendes de mars ces discussions sans fin et sans raison ! Il fera entendre raison à l’Angleterre : Ah ! Mais !
Le rêve macronien
La-dessus, Macron échaffaude son plan de conquête de l’Europe. II pense réussir en 2019 au niveau Européen ce qu’il a réussi en 2017 en France : bouleverser totalement la donne politique. Les vieux partis, sinon éliminés, démodés, conservateurs et sociaux-démocrates, resterait à constituer un vaste centre, qui entrerait résolument dans les conceptions macronniennes et qui permettrait d’ouvrir tous les chantiers de l’Europe future, tels que Macron les a développés dans son discours de la Sorbonne ! Voilà ce à quoi il pense. Inutile de souligner le septicisme des Allemands. Il n‘est pas question pour Merkel que l’Allemagne perde son influence. Macron commence à devenir un rival.
Pour réussir son coup en 2019, Macron prévoit en France des listes nationales et suggère déjà une liste transnationale pour les 73 députés qui devraient remplacer les eurodéputés britanniques après le Brexit. Nathalie Loiseau, ministre des Affaires européennes, est déjà en charge de cette stratégie.
Il est des macroniens qui, dans leur enthousiasme, parlent à ce propos de pont d’Arcole pour leur nouveau petit Bonaparte. Ils ne voient pas que les peuples se révoltent devant de tels arrangements qui les priveront de toute expression politique.
À un moment ou à un autre, leur Napoléon connaîtra, à sa manière, « sa bataille des Nations », celle où les peuples, apparemment ralliés, se retournent contre leur pseudo-fédérateur. Ce genre d’aventure se termine un jour à Waterloo.