Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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Si Emmanuel Macron était chanteur et s’il avait voulu paraphraser Jacques Brel, il aurait pu choisir pour titre de sa lettre aux Français « Le plat discours qui est le mien ». Hélas ! il ne s’agit pas d’une chanson, mais du début d’un programme. Désespérément plat.
Emmanuel Macron a décidé d’annoncer sa candidature par une lettre remise pour publication uniquement à la presse régionale, comme s’il voulait s’adresser, en premier lieu, au petit peuple, celui qui vit « dans les territoires », comme on dit bêtement pour éviter de nommer la province.
Ni quand il parle ni quand il écrit, M. Macron n’est ce qu’on pourrait appeler un homme inspiré. Il n’est pas plus écrivain qu’acteur. Sa prose est toujours plate, ses envolées ressemblent à des avions en papier maladroitement confectionnés. Il ne convainc que ceux qui sont déjà – pour la plupart sans trop savoir pourquoi – acquis à sa cause. Mais, en fait, cette cause, quelle est-elle ? On ne le saura jamais avec clarté. Telle est sa lettre aux Français. Elle est pire que mauvaise : elle est médiocre.
Certaines phrases – on évitera de parler d’idées – retiennent, toutefois, l’attention et valent d’être reprises. Celle-ci, en premier lieu, même si elle se trouve vers la fin du texte : « En chaque lieu, j’ai perçu le désir de prendre part à cette belle et grande aventure collective qui s’appelle la France. » La France serait, donc, une aventure. Curieuse définition, profanatrice presque. Et qui, bien entendu, demande une précision : l’aventure de qui ? Celle de M. Macron lui-même ? Celle dans laquelle nous sommes embarqués depuis cinq ans et dont il demande la continuation ? Parler d’un pays comme d’une aventure, c’est suggérer qu’il est le fruit du hasard et qu’il pourrait, aussi bien, être une erreur. Mais le mot aventure flatte tellement l’ouïe des adorateurs du progrès !
« Nous avons pu investir dans nos hôpitaux et notre recherche » dit M. Macron à ses lecteurs. Il s’agit ici, cela va de soi, d’un trait d’humour subtil et cynique à la fois. Deux ans d’épidémie ont montré le délabrement des hôpitaux français (et de la médecine française, en général). La pauvreté dans laquelle est tenue la recherche explique l’exode de trop nombreux jeunes talents vers des universités et des laboratoires plus généreux. Quant à l’armée, la guerre en Ukraine a permis à des officiers de nous dire qu’elle ne tiendrait pas longtemps si d’aventure la France choisissait de s’y mêler.
Les grandes réalisations du quinquennat « nous [ont] permis d’être crédibles et de convaincre nos principaux voisins de commencer à bâtir une Europe-puissance, capable de se défendre et de peser sur le cours de l’Histoire. » L’Europe ! Le maître-mot. Cette chose qu’on n’arrête de bâtir depuis plus de 60 ans, et que M. Macron veut encore et encore bâtir. Faire de cette immense bureaucratie stérile la base de ses rêveries politiques – quel gâchis pour la France
Parlant de ses choix, le candidat nous gratifie d’une de ces phrases étranges dont il s’est fait une spécialité : « Et les crises que nous traversons depuis deux ans montrent que c’est bien ce chemin qui doit être poursuivi. » Que veut-il dire ? Peu importe, en fin de compte.
Nous comprenons aussi, mais c’est un simple rappel, que M. Macron n’aime pas le passé. Il veut un avenir sans racines – il parle même, et c’est une autre formule malheureuse, de « notre goût de l’avenir » –, un avenir qui sera nécessairement radieux parce que libéré de tout ce qui a été. Il veut que cet avenir se construise sans fondations, sans histoire si possible. « L’enjeu est de bâtir la France de nos enfants, pas de ressasser la France de notre enfance. » Comme la formule a dû lui sembler « percutante » ! Et quel beau rêve progressiste, cette France oublieuse de son passé, inaccessible à la nostalgie !
« Je suis candidat pour inventer avec vous, face aux défis du siècle, une réponse française et européenne singulière. » Inventer est le mot à la mode. Il ne pouvait manquer dans ce fatras. Tout s’invente et se réinvente, puisque tout ce qui a été doit disparaître pour que puisse s’installer la « start-up nation », cette frénésie inféconde, mais « singulière ». C’est à force de tout inventer et réinventer que le monde est là où il est – et la France avec lui.
Il veut que la France devienne « une grande Nation écologique, celle qui, la première, sera sortie de la dépendance au gaz, au pétrole et au charbon. » De quoi faire fantasmer les millions de Français qui peinent à joindre les deux bouts. On les imagine regardant, les yeux illuminés d’une joie responsable, leurs champs couverts d’éoliennes et de panneaux solaires, heureux de parcourir à bicyclette les kilomètres qui les séparent du magasin le plus proche. Une France souriante comme dans les affiches soviétiques des années 30. (Signalons, en passant, ce petit détail : on est dépendant de, pas au. M. Macron réinvente aussi la langue.)
« Bien sûr, je ne pourrai pas mener campagne comme je l’aurais souhaité, en raison du contexte » se désole M. Macron. Il nous fait comprendre par là que les affaires du monde le retiennent jour et nuit, qu’il passe chacun de ses instants à lutter pour la paix – en somme, qu’il ne s’appartient plus. Il mime sans talent un destin qui n’est pas le sien. Cependant, faute de campagne, il nous promet des explications. Nous pouvons, donc, garder l’espoir qu’il nous écrira d’autres lettres, aussi tristement plates, qui lui éviteront d’affronter ses adversaires et, surtout, ces foules qu’il affectionne si peu.
« Il est des choix qu’avec l’expérience acquise auprès de vous je ferais sans doute différemment. » M. Macron nous donne ainsi l’assurance d’avoir, à nos dépens, fait sa main. Il peut, donc, prétendre à un autre mandat. Il croit sans doute avoir appris comment nous vendre mieux ses mêmes mauvaises idées. Le pire est déjà en attente.