Outre l’aspect idéologique évident d’une telle “éducation”, la démarche méconnaît, sciemment, cette vérité : les enfants ne sont pas sexualisés et rien, dans leur expérience prépubertaire, ne peut les aider à appréhender ce à quoi on prétend les éduquer.
Cette histoire d’éducation à la sexualité dans le cadre scolaire, qui agite actuellement les médias et la classe politique, est de celles qui me font me féliciter que mes enfants soient sortis des griffes de l’Éducation nationale. Il y a tellement de choses qui ne vont pas dans ce que les pouvoirs publics cherchent à mettre en place qu’on ne sait par où commencer, et même tellement de choses proprement révoltantes que le réflexe naturel est plutôt de détourner les yeux, surtout lorsqu’on ne se sent pas directement concerné. Mais, comme disait à peu près Edmund Burke, tout ce dont le mal a besoin pour triompher, c’est de l’inaction des honnêtes gens. Il faut donc, malgré tout, faire son devoir et défendre ce qui nous semble, vrai, juste et bon, chacun à notre mesure.
Le point le plus évident est le caractère essentiellement idéologique d’une telle « éducation ». Je dis bien essentiellement, par opposition à accidentellement. Le but fondamental est d’endoctriner les enfants dans l’idéologie de l’égalitarisme sexuel, qui se décline sous divers aspects : toutes les sexualités et tous les désirs sont également respectables (pourvu seulement qu’il y ait « consentement », terme hautement idéologique lui aussi) ; toutes les « configurations familiales » sont également bonnes et respectables ; les hommes et les femmes sont fondamentalement interchangeables, etc.
La notion de « genre » est donc, très normalement, au cœur de tels programmes, le « genre » étant l’idée que la masculinité et la féminité sont des « constructions sociales » ; autrement dit qu’il n’existe aucun rapport entre les caractéristiques sexuées du corps et les différences psychologiques et comportementales entre les hommes et les femmes que tout un chacun peut pourtant observer autour de lui (et en lui). La société agite sa baguette, et pouf ! vous avez une femme. Elle l’agite encore et paf ! vous avez un homme.
Et la ruse qui consiste à clamer que la « théorie du genre » n’existe pas, sous prétexte que ce ne serait pas une « théorie », est tellement éventée qu’on a pitié pour ceux qui continuent à l’utiliser. Je propose d’ailleurs d’utiliser désormais le terme « idéologie du genre », parfaitement objectif et descriptif, pour mettre fin à ces débats inutiles.
Une expérience hors de portée
Mais ce n’est pas sur ces points évidents que j’aimerais m’attarder aujourd’hui. J’aimerais aller et plus loin et défendre l’idée que la notion même d’éducation à la sexualité en milieu scolaire devrait être rejetée, au moins avant la puberté (et après il y aurait encore à dire, mais à chaque jour suffit sa peine). Je veux bien qu’il puisse y avoir derrière cette éducation aussi de bonnes intentions et que certains puissent être sincèrement persuadés qu’elle vise à combattre de vrais maux : inceste, pornographie, etc.
Mais l’idée que je voudrais esquisser ici (car la développer comme elle le mériterait nécessiterait un tout autre travail) est qu’une telle éducation implante nécessairement des idées fausses dans l’esprit des enfants qui la subissent et, par conséquent, n’atteindra aucun des buts honorables qu’on prétend lui assigner (et qui ne sont, pour les promoteurs de cette « éducation », qu’un paravent pour leur projet idéologique, nous sommes bien d’accord).
Premier point : les enfants ne peuvent se former aucune idée juste de la sexualité tant qu’ils sont des enfants, c’est-à-dire tant qu’ils n’ont pas commencé à expérimenter les premières manifestations de l’attirance sexuelle, donc, grosso modo, à partir de la puberté. Il n’y a rien, dans l’expérience d’un enfant, qui corresponde à ce que, devenus adultes, nous éprouvons dans la rencontre sexuelle, à la fois physiquement et psychologiquement. Il est d’ailleurs constant que, si les enfants sont fort curieux de savoir comment ils ont été conçus, ils éprouvent spontanément gène, dégoût, et profonde incompréhension, devant les manifestations de la sexualité des adultes.
Pour eux, par exemple, deux personnes qui font l’amour sont en général perçues comme deux personnes qui se battent – pour des raisons que je n’ai pas besoin de détailler – et même si vous pouvez les détromper, vous ne pourrez jamais leur faire comprendre ce que font réellement ces deux personnes et ce qu’elles peuvent ressentir (oui, je m’en tiens à deux…). On me répondra peut-être que, précisément, l’activité sexuelle proprement dite n’est pas abordée avec les enfants et que, en maternelle (en maternelle, grand Dieu !) et au primaire, il s’agira d’abord de leur permettre de mieux connaître leur corps, de poser des mots justes sur les réalités anatomiques, etc.
Mais je dis que même cela (à supposer que ce soit vrai, ce qui ne me semble pas être le cas) ne peut réussir. Décrire les organes sexuels des enfants avec les mots de l’anatomie est une fausse objectivité, qui induit en erreur. Les enfants n’expérimentent pas leurs organes sexuels comme les adultes, car ils ne sont pas liés pour eux aux mêmes sensations et aux mêmes sentiments, et employer les mêmes mots pour les deux, comme s’il s’agissait des mêmes choses, masque précisément cette réalité fondamentale : les enfants sont sexués mais ils ne sont pas sexualisés.
Une faute intellectuelle
De ce point de vue, le vocabulaire enfantin utilisé habituellement pour désigner leur anatomie (zizi, zézette, etc.) est bien plus objectif et rigoureux que le vocabulaire « scientifique », car précisément il rend compte du fait le zizi d’un petit garçon n’est pas le pénis d’un homme adulte (et d’ailleurs, de tous les organes externes, les organes sexuels sont probablement ceux qui changent le plus d’apparence entre l’enfance et l’âge adulte).
J’ai dit précédemment que les enfants étaient presque toujours gênés par les manifestations de la sexualité des adultes. Cela m’amène à un autre point très important. Un des aspects essentiels de la sexualité humaine est qu’elle est naturellement liée à la honte et, par conséquent, que l’être humain est l’animal qui se cache pour faire l’amour (il est d’ailleurs, le seul à faire l’amour, les autres animaux se contentent de copuler). La sexualité humaine a besoin de l’intimité pour se déployer selon sa nature propre. Or ce besoin d’intimité implique nécessairement que la sexualité ne peut pas être évoquée publiquement sans la déformer. Parler sans gêne en public de sexualité revient à méconnaître un aspect fondamental de la sexualité humaine.
Or c’est précisément ce que fait toute éducation sexuelle dans le cadre scolaire, puisqu’il s’agit de parler, ou d’entendre parler, de sexualité devant ses petits copains et ses petites copines. Quelle que soit la manière dont on leur présentera les choses, une telle manière de faire apprend nécessairement aux enfants, par l’exemple, que la pudeur ne fait pas partie de l’expérience normale, et bonne, de la sexualité. Elle fait violence à nos sentiments naturels et nous oriente vers une conception et une perception fausse de ce que c’est que « faire l’amour » (expression tout à fait incompréhensible pour des enfants).
Je vais le dire d’une manière qui fera hurler tous les progressistes qui auront le malheur de tomber sur cet article mais qui aura le mérite d’aller droit au but : ne pas respecter l’innocence des enfants en leur parlant de choses qu’ils ne peuvent pas comprendre est à la fois une faute morale et une faute intellectuelle. Car oui, en matière de sexualité, les enfants sont innocents. La réalité de notre condition sexuée est couverte pour eux par un voile d’ignorance qu’il n’est au pouvoir de personne de lever et qui, par ailleurs, est parfaitement approprié à leur état. Alors, vous qui avez encore des enfants d’âge scolaire ou qui en aurez bientôt, battez-vous pour que les vôtres ne subissent pas un jour cette maltraitance institutionnelle.
Illustration : Le CESE défend l’Éducation à la vie affective relationnelle et sexuelle (EVARS) et fait savoir qu’à son grand regret il n’a pas le pouvoir de jeter en prison les gens qui ne sont pas d’accord.