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Dominique Bourg : un prophète du totalitarisme vert à venir

Un écologisme qui s’empare des esprits et de l’espace public.

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Dominique Bourg : un prophète du totalitarisme vert à venir

On évoque chaque jour davantage, avec une inquiétude fort légitime, le caractère idéologique et totalitaire (« totalitarisant », si l’on veut se monter plus nuancé) de l’écologie politique et de ceux qui la promeuvent et conquièrent de plus en plus de sièges de maires, de conseillers départementaux et régionaux, de députés français et européens, voire de ministres, tout en gagnant à leurs idées l’intelligentsia, une part croissante des l’opinion publique et un nombre non négligeable d’hommes et de femmes politiques qui n’appartiennent pourtant pas aux partis en lesquels ils militent et en sont parfois les adversaires. La crise environnementale et climatique mondiale (de nos jours, on dit plus volontiers « planétaire »), certes très réelle et dramatique, contribue à cette fièvre écologiste en expansion continue (devons-nous parler de contagion ?, d’épidémie ?, de délire collectif ?) ; et, les médias y contribuant amplement, une sorte de doxa écologique s’est insinuée dans tous les esprits et, de ce fait, est devenue une composante essentielle du conformisme intellectuel et moral, du politiquement correct, au point que l’on fustige ceux qui osent la contester (cependant, on ne les voue pas encore à la détestation officielle, à l’exclusion et à la persécution).

Un courant jusqu’ici sans unité et sans pensée cohérente

Mais, jusqu’à ces tous derniers temps, cette doxa, cette idéologie, n’avait pas encore de contenu théorique cohérent, rigoureusement défini et ordonné en une somme rationnelle et logique, et donc en propositions précises. Les scientifiques concernés par la question (ingénieurs écologues, naturalistes, biologistes, climatologues), les penseurs divers, journalistes et essayistes intéressés par le sujet, les militants et porte-parole des mouvements écologistes, les hommes politiques de tous bords, abordaient les problèmes environnementaux et climatiques sous les angles les plus divers, énonçaient une multiplicité de vérités, les unes certaines et prouvées, les autres plus discutables (et quelquefois fumeuses), formulaient quantité de propositions, s’accordaient certes sur l’urgence écologique et climatique, mais, aussi, se contredisaient mutuellement, tantôt ouvertement, tantôt implicitement. Et, au final, une certaine confusion régnait. Il n’existait pas de pensée écologiste unique et cohérente, et seule la reconnaissance de l’urgence du problème en donnait l’illusion, dans la mesure où elle faisait consensus.

Un maître à penser aux propositions radicales mais irréalistes

Or, aujourd’hui, si on ne peut pas dire que ce n’est plus le cas, l’écologie politique semble avoir trouvé sa doctrine et son doctrinaire, tant idéologue que théoricien politique. Ce personnage, encore inconnu du grand public, mais à la notoriété intellectuelle certaine, est Dominique Bourg, âgé de 70 ans, à la fois philosophe, spécialiste des études sur l’environnement, docteur de l’université de Strasbourg et de l’École des Hautes Études en Sciences sociales et auteur de nombreux livres (Vers une démocratie écologique. Le citoyen, le savant et le politique, 2010, Pour une 6e république écologique, 2011, Écologie intégrale. Pour une société permaculaire, 2017) et articles. Il est aussi présent sur la scène politique. Aux élections européennes de 2019, il conduisit le liste « Urgence Écologie », laquelle incluait des personnalités écologistes aussi connues qu’Antoine Waechter et Jean-Luc Bennhamias, tous deux anciens dirigeants des Verts, Delphine Batho, ancienne ministre de l’Écologie et présidente de Génération Écologie , Sébastien Nadot et Loubna Méliane, et il reçut le soutien de Robert Hue, ancien secrétaire général du parti communiste, et de divers élus socialistes notoires.

Intéressants, ses écrits posent tout de même beaucoup de questions relatives à l’applicabilité des mesures qu’il préconise, et de sa conception de la liberté et de la démocratie. Il annonce la fin de la domination agressive et impérialiste de l’homme sur la nature en général au nom de sa survie même sur une planète habitable par lui et les autres êtres vivants. Et, peut-être (voire « sans doute », au sens littéral du terme) cela se produira, avec ou sans le consentement des populations, de manière despotique ou démocratique (mais, dans ce cas, avec des contraintes très pénibles, supportées avec résignation, voire fatalisme), non sans oppositions, rébellions et autres convulsions, par étapes (il sera impossible de tout accomplir d’un coup), avec des moments de ralentissements et même de reculs, et ne pourra donc pas ne pas donner lieu à un mode de gouvernement autoritaire avec tout ce que cela comporte de brutalité, de répression, et d’atteintes aux libertés d’expression, de réunion, de manifestation et autres, lors même que les institutions démocratiques seront conservées et les libertés publiques toujours officiellement reconnues et défendues. Malgré la reconnaissance de l’urgence du problème environnemental et climatique mondial, le panel de mesures préconisées par Bourg et autres ne fera pas consensus au point de ne susciter que des oppositions marginales, d’autant plus que, comme le reconnaît Bourg lui-même, les vérités d’ordre écologique présentent l’inconvénient de ne pas être spontanément accessibles et acceptables par l’immense majorité de la population, que les savoirs scientifiques en la matière ne sont pas largement divulgués ni divulgables, et qu’en conséquence, subsiste toujours une large place laissée à la critique étayée sur un argumentaire donné et d’une crédibilité apparente ou réelle suffisante pour paraître justifiée. Cet état de choses aura pour résultat que les mesures préconisées par Bourg et autres ne pourront être appliquées que par la force et au mépris de l’opinion de la grande majorité de la population qui se révoltera contre elle et, si le gouvernement est le plus fort, ne fera que s’y résigner, la rancœur et la haine en tête, les ressentant comme oppressives et génératrices de mal-être, doutant de leur absolue nécessité, incapables d’en percevoir les effets bénéfiques à très long terme (à supposer qu’ils doivent apparaître un jour), convaincus du caractère liberticide du pouvoir les imposant, et pleins de pessimisme quant à l’avenir. Et un peuple qui doute de son avenir n’a pas d’avenir. Au reste, on peut nourrir les plus grands doutes sur l’efficacité de ces mesures quand on sait que, même par voie d’autorité et de contrainte, elles ne pourront être adoptées et appliquées que par paliers séparés par d’assez longs intervalles temporels (et on sait combien le temps nous est compté pour la résolution du problème écologique et climatique) et au prix de nécessaires concessions (même si celles-ci seront limitées et temporaires). Ces deux limitations imposées à l’action du gouvernement (même s’il se montre déterminé et autoritaire, voire répressif) auront pour résultat de compromettre très sérieusement la politique drastique de Bourg et autres, si elle est adoptée par le pouvoir. Gardons à l’esprit la récente réforme des retraites, imposée par Emmanuel Macron au mépris, disons-le, du consentement du peuple et de ses représentants. La plupart des économistes s’accordent à dire, aujourd’hui, qu’elle ne sauvera pas le système de retraites par répartition (ce qui était pourtant son but avoué, même si on sait qu’en réalité Macron ne tenait pas tant à cela qu’à mettre fin à la spirale des déficits et de l’endettement public) en raison des concessions auxquelles le gouvernement a dû se résoudre, nonobstant sa détermination, pour apaiser au moins un peu le climat de contestation qu’il affrontait en cette circonstance. Le même phénomène se produira lorsque le pouvoir voudra appliquer les mesures envisagées par Bourg, d’autant plus que ces mesures, étalées dans le temps, seront celles de différents gouvernements successifs.

Entrer dans un âge de fer

Autrement dit, même si les mesures écologiques préconisées par Bourg sont étayées sur les conclusions indubitables tirées de connaissances scientifiques certaines et donc irrécusables (ce qui est loin d’être évident), elles n’en sont pas moins frappées d’irréalisme politique. La politique est l’art du possible, le domaine du réalisme et du pragmatisme. Or, les mesures proposées par Bourg et les écologistes radicaux sont inapplicables. Elles ne seront jamais acceptées par la population, même sous la pression physique des étés caniculaires et des effets sensibles de la destruction continue de l’environnement. Les oppositions qu’elles susciteront, les retards et les limitations qui leur seront imposées les rendront d’ailleurs inefficaces. Certes, l’urgence climatique et environnementale que nous venons d’évoquer aura pour effet de ployer jusqu’à un certain point les oppositions et de forcer les gouvernements à la persévérance. Nécessité fera loi, en somme. Mais, encore une fois cela ne suffira pas à juguler les oppositions, non plus qu’à faire un consensus, sinon de résignation et de sentiment d’une implacable fatalité. Et, tout cela sera ressenti – et sera effectivement – une régression, au plan des libertés, au plan politique en général et à celui de la civilisation. La population aura le sentiment justifié d’entrer dans un âge de fer, dans une ère équivalente au Kali Yuga des Hindous. Et on ne peut rien attendre de bon, de sain, d’une humanité pénétrée de cet état d’esprit.

Un programme lourd de menaces pour la liberté et la démocratie

Dominique Bourg, affirme que la démocratie ne sera nullement affectée par les mesures qu’il préconise, et même ne s’en portera que mieux. Simplement, elle changera de nature, d’orientation plus précisément. Persuadé qu’on ne saurait, dans un court délai substituer des sources d’énergie non polluantes aux énergies fossiles, ni adapter à ces nouvelles sources d’énergie sans carbone ni pétrole les appareils et moyens de transports, il envisage des mesures propres à contraindre, littéralement, les gens et la société elle-même, à diminuer sensiblement leur consommation énergétique. Ces mesures sont celles de tous les écologistes radicaux, au nombre desquels il compte. Ce sont : l’instauration d’un couvre-feu thermique (arrêt d’autorité des chauffages non décarbonés entre 22 h et 6 h afin de parvenir à une température de 17° dans les logements), la suppression des lignes aériennes internes dans les cas d’existence d’une alternative routière ou ferroviaire inférieure à 4h de trajet, l’interdiction de commercialiser un véhicule consommant plus de 21 litres aux 100, l’obligation de rendre productifs tous les jardins, l’interdiction progressive des produits transformés substituables, la mise en place de quotas pour la consommation de produits importés (en particulier le thé, le café, les fruits exotiques, la chocolat), l’interdiction de l’artificialisation des sols, la limitation des déplacements individuels en voitures, la justification obligatoire des déplacements professionnels, etc… Ces mesures, on en conviendra, réduisent notablement nos libertés ou notre capacité d’en user. Bourg n’en convient pas. À ses yeux, il s’agit seulement du passage de la « liberté négative », individualiste et indifférente aux effets de son usage, fussent-ils nocifs, à la « liberté positive », caractérisée par la soumission des comportements individuels et du choix du mode vie personnel à la prise en compte de leurs incidences (indirectes comme directes) sur l’environnement et le climat, les conduites jugées nuisibles à ces derniers étant interdites et, de fait, rendues impossibles par divers dispositifs de contrôle et d’empêchement. « On passe en l’occurrence d’un type de liberté à un autre, de la liberté négative à la liberté positive, avec une réduction du pouvoir individuel arbitraire de nuire1, écrit sans sourciller Dominique Bourg. Sous le règne de la liberté négative, les comportements individuels, égoïstes, en tout cas indifférents à leurs conséquences, innombrables, accumulés et multipliés à l’infini, sont lourds des effets les plus désastreux pour notre environnement, et, à court ou moyen terme, compte tenu de la situation écologique actuelle, vont rendre la planète invivable, la transformant en cloaque et en chaudron. L’institution de la liberté positive, elle, régule les comportements individuels et instaure « leur détermination collective et démocratique au sein d’une société écologisée ». « Détermination collective et démocratique », voilà qui appelle quelques précisions. Quelles seront les modalités de cette détermination » démocratique » ? L’application par le pouvoir, démocratiquement élu, des propositions figurant dans le programme du (ou des) parti(s) qui le soutiennent, en matière d’environnement ? La soumission de ces propositions à référendum ? La politique écologique suivie sera-t-elle exclusivement nationale, ou laissera-t-elle une large place aux institutions politiques régionales ? Des réponses à ces questions découlent des modes de « détermination démocratique » bien différents les uns des autres, et qui autorisent la contestation. Le référendum est loin de faire l’unanimité dans l’opinion publique. Le référendum britannique de 2016, qui décida de la sortie du Royaume Uni de la Communauté européenne, fut flétri par tous les pays membres de cette dernière et par une large partie de l’opinion d’outre Manche, qui n’eut de cesse de vouloir le remettre en question. Le référendum de 2005, qui donna la majorité des suffrages aux opposants au renforcement de cette même Communauté européenne en France et aux Pays-Bas (et qui entraîna le renoncement des autres pays à le tenir) fut contourné par le traité de Lisbonne, non soumis aux votes des peuples, et qui reprenait l’essentiel des dispositions du projet en question. Quant à s’en remettre à la simple application de son programme par le parti au pouvoir, démocratiquement élu, il va sans dire que cela n’empêche aucunement les mécontents de manifester, de s’opposer par tous les moyens aux mesures qui leur déplaisent, lors même que nombre d’entre eux ont voté pour lui aux élections présidentielle et/ou législatives. Ce qui oblige le gouvernement à passer en force en bravant les critiques, obstacles parlementaires, manifestations, grèves, occupations sauvages, etc…, et en recourant au trop fameux article 49-3 qui lui permet d’imposer ses décisions au mépris de la représentation nationale comme de la population elle-même. Dans le cas du référendum contourné comme dans celui de l’ignorance délibérée de l’opposition de la représentation nationale et de la nation elle-même (le cas de la réforme des retraites est on ne peut plus éloquent à cet égard), la démocratie est mise au rebut, et nos institutions apparaissent pour ce qu’elles sont en réalité : une imposture consistant à proclamer la démocratie tout en la bafouant. On peut douter que la démocratie sera plus respectée dans la « société écologisée » que Dominique Bourg appelle de ses vœux. On peut même craindre qu’elle le soit encore un peu moins dans la mesure où elle sera rigoureusement encadrée par l’impératif écologique.

Une remise en question implicite de la démocratie elle-même

À vrai dire, Dominique Bourg ne semble pas conscient du fait qu’il remet implicitement en question la réalité de la démocratie, voire la pertinence même de ce concept. Nous évoquions, à l’instant, le caractère peu démocratique de l’usage de l’article 49-3 de notre constitution prétendument démocratique (elle repose sur le suffrage universel, le libre choix des électeurs et les libertés publiques, et fut adoptée par référendum en 1958). Cet article permet à l’exécutif de mettre temporairement entre parenthèses la démocratie pour imposer ses décisions, afin d’éviter un blocage institutionnel (conflit insurmontable entre le gouvernement et l’Assemblée nationale) et la dégringolade du pays dans l’anarchie des manifestations, grèves et occupations (et avec, aussi, le contre-coup, éventuellement emprunt de violence, des partisans d’un retour à une vie normale). Il a été prévu pour éviter le pire, en somme. Son existence révèle les limites de la démocratie, ses dangers, ses impasses et ses insuffisances. Et Dominique Bourg le reconnaït, qui préconise le passage d’une « liberté négative », celle qui caractérise nos démocraties libérales occidentales, à une « liberté positive », soumise à l’impératif écologique, et qui, de fait, réduit dans des proportions considérables l’usage de nos libertés, les vraies libertés, pour tout dire. En fait, quoiqu’il s’en défende, Dominique Bourg remet bel et bien en question la démocratie elle-même. Celle-ci ne saurait reposer sur le seul versant positif de la liberté ; elle doit, si elle ne veut pas se nier dans l’instant même où elle s’affirme, s’accommoder du côté négatif de cette liberté. Une démocratie rigoureusement organisée, qui détermine tout aussi rigoureusement les « besoins réels » de la population (selon Dominique Bourg et les écologistes) et ne retient des libertés que ce qui y correspond, sacrifiant le « négatif » et le « nuisible » à l’intérêt collectif, est, en réalité un régime autoritaire. La démocratie est un régime par nature bancal et lourd de risques, de crises, de dangers, d’incurie, et une démocratie rigoureusement organisée autour d’un impératif donné est fatalement un régime totalitaire (même s’il proclame le contraire) et régressif économiquement, socialement et dans tous les domaines. Dominique Bourg précise que, dans sa « société écologisée », la limitation qu’il envisage « n’affecte que les flux matériels que nous suscitons par nos consommations, et non les libertés fondamentales de penser, croire ou s’associer, etc… ». Et de conclure ainsi : « Il serait, dans ces conditions, absurde de parler d’autoritarisme, et plus encore de fascisme ». Quand on pense que, dans nos démocraties libérales, ces « libertés fondamentales » n’empêchent nullement un gouvernement d’imposer des décisions dont ni la représentation nationale ni la population ne veulent (cf la récente réforme des retraites,encore une fois), ni les dirigeants d’une supra-nation européenne d’imposer les leurs lors même que les peuples les rejettent par référendum, on frémit à l’idée de ce qui se produirait dans la démocratie « écologisée » régie par la « liberté positive » chère à Dominique Bourg.

Le Sri Lanka : un exemple peu convaincant de « société écologisée »

Ce dernier, cherchant à convaincre le lecteur de la valeur de ses propositions, compare la situation économique et sociale de deux pays très différents l’un de l’autre : le Sri Lanka et les Etats-Unis. « Le Sri Lanka, [explique-t-il], parvient pratiquement à pleinement satisfaire l’accès de sa population à l’énergie, mais aussi à satisfaire les besoins en termes d’emploi, d’éducation et de santé, tout en restant en deçà de la barrière des limites planétaires ». En revanche, les Etats-Unis « ne parviennent au contraire pas même à satisfaire tous leurs besoins sociaux, précisément ceux en termes d’égalité et d’emploi, tout en excédant dramatiquement les limites planétaires ». Certes, on ne saurait ériger en modèle l’Oncle Sam, avec ses inégalités abyssales de revenus, de patrimoines et de niveaux de vie, ses quarante-cinq millions de pauvres, son système de protection social presque inexistant, son immense responsabilité dans le désastre écologique de la planète. D’autre part, il faut reconnaître qu’au Sri Lanka, la faiblesse du coût de la vie évite à la population de connaître la misère. Par ailleurs, les besoins en termes d’emploi, de santé et d’éducation y sont globalement satisfaits. Au Sri Lanka, le coût de la vie est de 58% inférieur à celui de la France. Néanmoins, dans l’ancienne Ceylan, le salaire mensuel brut moyen par habitant n’est que de 284 euros, alors qu’il s’élève en moyenne à 606 euros dans les autres pays d’Asie. Autant dire que si les conditions de vie du srilankais moyen sont relativement décentes, elles sont pour le moins ascétiques, et de ce point de vue, ressemblent à celles des Albanais du temps où leur pays vivait sous une dictature communiste. À la fin des années 1970, René Dumont, l’initiateur de l’écologie politique en France, louait l’Albanie de cette situation. Aujourd’hui, Dominique Bourg cite le Sri Lanka en exemple. Il est à croire que les écologistes, avec leur volonté frénétique de détruire la société de consommation, entendent nous amener à un mode de vie fondé sur la seule satisfaction – et la plus étroite possible, la plus chichement mesurée – de nos besoins les plus élémentaires. Doutons qu’un tel projet suscite l’enthousiasme, même si les conséquences nocives de la société de consommation sont bien connues. La société américaine rebute beaucoup d’européens, mais celle du Sri Lanka ne les séduira sûrement pas.

Le projet d’une réintégration de l’homme dans la nature

Dominique Bourg explique, justement, que nous passons actuellement, de la société de consommation, productiviste, fondée sur la croissance continue, à une société décroissante, soucieuse de la préservation de l’environnement, du climat, de la nature et des ressources, et optant en faveur des sources d’énergie non polluantes. La première, rappelle-t-il, découlait de la philosophie des Temps Modernes, avec son rationalisme, sa volonté de couper l’homme de la nature et de lui en assurer la domination. La seconde réintègre l’homme dans cette nature, le considère comme un élément de la chaîne du vivant, laquelle unit les végétaux, les animaux et les hommes, ces trois ensembles se distinguant par des différences « de degré, et nullement de nature ». Insistant sur « l’unité du vivant », « les droits de la nature », « la sensibilité animale », « la redécouverte sensible des végétaux, et , au premier chef, des arbres », la « sylvothérapie », « l’écopsychologie », et sur l’intérêt « de spiritualités tournées vers la nature, comme le chamanisme » (!), il appelle de ses vœux « de nouvelles formes démocratiques, non plus tendues vers une domination aussi illusoire que destructrice de la nature, mais vers la recherche de relations plus équilibrées entre êtres humains, et entre êtres humains et non humains ». C’est là l’écologie intégrale –et intégriste –, celle qui rejoint l’antispécisme et en fait une de ses composantes essentielles.

Vers un totalitarisme écologiste

Il importe de s’interroger sur une telle conception de l’évolution, surtout lorsqu’elle donne lieu à un projet politique et à une prédiction qui se présente comme certaine. En réalité, écologistes et antispécistes (naguère distincts et intellectuellement différents, aujourd’hui mêlés) visent l’édification, à moyen ou long terme, d’une société aseptisée, prohibant toute consommation de chair animale (sauf si elle est fabriquée in vitro), économiquement stationnaire, socialement régressive, réduisant le mode de vie des hommes à la stricte satisfaction de leurs besoins vitaux, limitant rigoureusement (par des interdictions ou des empêchements organisés) l’usage des libertés individuelles, subordonnant très étroitement celles-ci à des impératifs écologiques définis par l’État (ou, peut-être aussi par des instances internationales, européennes ou mondiales) et prétendument légitimée par une éthique étayée sur l’idéal d’une démocratie non plus libérale mais « écologisée », suivant le mot de Dominique Bourg, et, de fait, totalitaire.

Un type inédit de totalitarisme

Car ne nous y trompons pas. Un totalitarisme peut fort bien revêtir l’apparence de la démocratie. À ce sujet, il convient de se garder de l’erreur de langage – et aussi de pensée – de maints adversaires de l’écologisme radical, qui qualifient ce dernier de « fascisme vert » ou d’ « éco-fascisme ». En octobre 1991, le magazine Actuel, post- soixante-huitard et reconverti dans l’hédonisme libéral-libertaire de la fin du siècle dernier, les avait déjà appelés « les écolos fachos ». Dominique Bourg a beau jeu de récuser cette épithète infamante en affirmant tout simplement, sur le ton de l’évidence, que le programme politique qu’il défend, avec les écologistes extrémistes, ne sanctionne, n’abolit, que la « liberté négative », c’est-à-dire, répétons-le, celle qui consiste à adopter spontanément et avec une égoïste ou inconsciente insouciance, des comportements individuels dont la multiplication à l’échelle de la société, a des effets nocifs sur l’environnement, mais qu’en revanche, il respecte parfaitement les libertés démocratiques fondamentales, autrement dit les libertés de pensée, d’expression et de réunion, et qu’en conséquence, il ne saurait être assimilé au fascisme, puisque celui-ci supprime précisément ces libertés. En apparence, il a raison. Mais en réalité, il ne fait que surfer sur l’erreur de ses adversaires consistant à lui accoler une étiquette de « fasciste » qui, à l’examen, n’exprime pas la réalité de son programme et de la mouvance écologiste.

Un nouveau conformisme mental

Le fascisme et le communisme ont tellement marqué l’histoire du XXe siècle qu’on ne conçoit pas qu’un totalitarisme puisse être autrement que fasciste (surtout) ou communiste (éventuellement). Et on ne conçoit pas qu’il puisse se manifester autrement que sous l’aspect de la dictature d’un homme ou d’un groupe d’hommes qui abolirait les libertés de pensée, d’expression et de réunion, et supprimerait tout parlement librement élu et comportant en son sein une opposition au pouvoir établi, ou le réduirait au rôle d’une simple chambre d’enregistrement peuplée de députés à la solde de l’exécutif. Or, un totalitarisme peut fort bien n’être pas fasciste (ni communiste) et s’accommoder d’institutions démocratiques. Il lui suffit, pour cela, d’imposer à ces dernières, à la classe politique et à toute la société, son credo intellectuel et moral érigé en dogme, et d’instaurer, sur cette base, le règne d’un implacable conformisme mental et comportemental, de la bien-pensance et de la political correctness, assuré par des médias aux ordres.

C’est à l’avènement d’un totalitarisme de cette nature que nous assistons présentement. Pour s’en rendre compte, il n’est que de considérer l’état présent de la vie politique et de l’opinion publique. Depuis le début de ce siècle, l’intolérance et le fanatisme n’ont cessé d’y progresser, au point d’être devenus la norme. Il semble normal, aujourd’hui, de refuser toute liberté d’expression et de réunion à des gens qui ne se soumettent pas au conformisme intellectuel et moral que nous évoquions à l’instant en les accusant de « fascisme », précisément, de non-conformité aux « valeurs de la république », de « provocation à la haine » (raciale, religieuse, politique ou autre, peu importe), etc… Et, dans le domaine qui nous intéresse plus particulièrement ici, il suffit de constater les progrès effrayants qu’y ont accompli, avec toute leur violence, les écologistes extrémistes et les antispécistes. Jusqu’à la fin de la première décennie de notre siècle, beaucoup d’écologistes n’étaient ni vegans ni végétariens, et moins encore antispécistes Les antispécistes critiquaient d’ailleurs les écologistes sur bien des points, différaient d’eux par leur inspiration philosophique, et tenaient à ne pas être confondus avec eux. Et la réciproque était vraie aussi. Aujourd’hui, bien des écologistes sont vegans, animalistes, et même antispécistes. Longtemps marginal, l’antispécisme est devenu un phénomène de société qui affecte non seulement la mouvance écologiste, mais les autres tendances politiques (citons ici, en passant, le cas du député Aymeric Caron, pourtant membre du parti Renaissance, donc adversaire de EELV, la plus importante formation écologiste), de nombreux intellectuels et une part non négligeable et toujours croissante de la population. Aujourd’hui, il n’est pas rare de rencontrer des gens qui tendent à considérer comme criminelle la consommation de chair animale. Et les actions violentes commises par les écologistes extrémistes et les antispécistes se multiplient.

Un totalitarisme ni fasciste ni communiste

Oui, nous assistons bien à l’installation graduelle d’un nouveau type de totalitarisme, qui n’est ni  fasciste ni communiste. Réfléchissons bien à ce qu’implique de réalité ce mot de totalitarisme. Un régime totalitaire, au sens exact du terme, vise à soumettre à un credo idéologique et à une domination politique l’homme dans tous les aspects de sa vie : son corps, sa capacité de se mouvoir, son aptitude à agir, sa pensée, ses croyances et autres certitudes, sa faculté de choisir, sa capacité de juger, sa possibilité de connaître, son savoir, son sens moral. Il soumet ainsi l’homme à une domination totale (d’où son appellation), l’empêche d’évoluer et le fige dans le présent, un présent imposé par la force, par l’autorité de l’État et construit et conforté en permanence par une éducation aux ordres du pouvoir et une propagande omniprésente, tantôt évidente, lourde et matraqueuse, tantôt insidieuse et indécelable. C’est ce qui a lieu actuellement. Certes, il n’existe pas, aujourd’hui, en Europe, de dictateur ou de parti unique imposant sa loi et disposant d’une police politique spéciale et d’un office de propagande officiel. Mais un consensus intellectuel, idéologique et moral soude littéralement toutes nos élites (classe politique, tous partis confondus, haute fonction publique, médias, intelligentsia, Université, artistes et monde de la culture en général, grands dirigeants de la finance, de l’industrie et du commerce) et tous leurs représentants, cependant que notre Éducation nationale conditionne inlassablement la jeunesse de notre pays. De sorte qu’on peut à bon droit parler de totalitarisme. Il s’agit d’un totalitarisme d’un type inédit, certes, différent de ceux du XXe siècle, mais un totalitarisme quand même. L’aspect nouveau, sans précédent, de ce totalitarisme ne doit pas nous inciter à le récuser comme tel. Encore une fois, gardons-nous d’identifier le totalitarisme aux seuls fascisme et communisme.

Un projet écologiste contraire à la nature humaine

Mais revenons au projet de société de Dominique Bourg et des écologistes : l’établissement d’une société stationnaire, vegan, frugale, visant seulement la satisfaction des besoins vitaux de la population et limitant très sérieusement les libertés individuelles (ou la possibilité d’en user) au nom d’impératifs écologiques, cette société étant fondée sur la rupture d’avec la domination de l’homme sur la nature, inspirée par tout le rationalisme des Temps Modernes, et sur une réintégration de notre espèce dans l’ensemble du monde vivant. Outre le caractère régressif, totalitaire, et donc rebutant, de ce projet, il importe de noter que ce dernier n’est pas compatible avec le nature humaine en général. Nous éprouvons certes, actuellement, à l’occasion de l’urgence de nos problèmes environnementaux et climatiques, les conséquences douloureuses de la société productiviste et consumériste née du capitalisme moderne, responsable de la mise en péril des écosystèmes, d’une pollution dramatique et du gaspillage des ressources naturelles, et philosophiquement étayé sur un rationalisme caractérisé par la domination impérialiste de l’homme sur la nature. Et il faut donc en tirer les conséquences et renoncer à cet impérialisme tyrannique de l’espèce humaine ainsi qu’au productivisme et au consumérisme débridés de nos sociétés. Encore faut-il ne pas exagérer et se garder de « réintégrer l’homme dans la nature », comme le propose Dominique Bourg, et de tout faire pour qu’il n’en sorte plus. Car il s’agit là d’une entreprise absolument contraire à la nature de l’homme, comme le montre d’ailleurs toute l’histoire de l’humanité depuis l’apparition sur terre des premiers hominidés, et dont l’entreprise, inédite, ne pourrait nous vouer qu’à l’entropie et à la disparition… si elle était réalisable, ce dont on a tout lieu de douter.

Pour conclure, ce projet est irréaliste sous quelque angle qu’on l’envisage. Contraire à la nature humaine, totalitaire, tyrannique, reposant sur des conclusions scientifiques incertaines, il est, par là même, impossible à mettre en œuvre, et les tentatives pour le réaliser seront vouées à l’échec, et auront pour seul effet d’ajouter encore du malheur à un état du monde qui n’en comporte déjà que trop. En dépit des éléments de séduction intellectuelle qu’il comporte il convient donc de s’en détourner et de lui opposer une défense plus raisonnable de notre environnement naturel et climatique.

1 Toutes nos citations sont extraites de l’article de Dominique Bourg, intitulé : « L’écologie est-elle autoritaire, voire fasciste ? Ou bien résolument démocratique ? », paru dans La Pensée écologique, 2019/2, pp.1-13.

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