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Désir informulé

J’ai demandé à l’intelligence artificielle intégrée au logiciel du traitement de texte que j’utilise d’écrire « un éditorial signé Richard de Seze ». Il lui a fallu plusieurs secondes pour y arriver, signe non pas de la complexité de ma pensée mais de mon inexistence numérique. Puis la machine a aligné le titre : « la lucidité au service de l’avenir ». Ça commençait très mal : « lucidité » est un mot macronien.

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Désir informulé

« Entre le déni et l’hyperdramatisation, il y a une place pour une lucidité exigeante qui consiste à regarder les problèmes du pays mais aussi à ne pas le laisser se démantibuler », disait-il en décembre 2023 en visitant le Panthéon (on a vu ce qui a suivi). J’étais donc inquiet et les quelques premières lignes m’achevèrent : « L’époque nous impose de penser en dehors des cadres, de refuser les réponses toutes faites et les slogans vidés de leur substance. Or, la tentation du simplisme est grande. Sur les réseaux sociaux comme dans certains discours publics, on assène des vérités rapides, on cherche des coupables commodes, on érige des murs plutôt que de bâtir des ponts. Cette dynamique, si elle peut flatter les instincts primaires, se révèle stérile face à la complexité du réel. » Voilà que l’intelligence artificielle voulait me transformer en Bruno Le Maire… !

Ma petite IA enfile les lieux communs

Mais moi, je ne trouve pas que le réel soit si complexe, ni les coupables commodes en fait innocents : oui, l’immigration est un danger mortel pour notre pays. Oui, l’Union européenne est le pire système de destruction des richesses et des libertés qu’on ait jamais inventé. Oui, la République met sans cesse à la tête du pays ses ennemis les plus acharnés qui prennent en permanence les décisions les plus mauvaises au nom des principes les plus utopiques pour les résultats les plus malheureux. Oui, Macron hait la France, Lombard hait les Français, Attal est un sot et Borne est néfaste.

Macron qui vient de déclarer, avec l’exigeante lucidité qu’on lui connaît, que « nous ne devons être ni dans le déni ni dans le catastrophisme » à propos de la dette abyssale de la France, des solutions misérables inventées par François-le-piteux et de son Assemblée nationale décousue ; Lombard et Moscovici qui expliquent que les Français épargnent trop et n’ont pas de problème avec l’impôt ; Attal qui a fait campagne sur son homosexualité et maintenant s’affiche avec une donzelle en couverture de Closer tout en imaginant une GPA éthique dans l’espoir dérisoire de draguer les voix socialistes ; et Borne qui n’a rien de plus urgent que de demander qu’on change l’inscription ornant le fronton du Panthéon (haut lieu de la lucidité présidentielle) tout en expliquant que les professeurs, au niveau pitoyable, seront bientôt assistés d’une intelligence artificielle pour préparer leurs cours. « C’est en croisant les regards, en écoutant celles et ceux qui pensent autrement, en osant l’inédit, que pourront naître les solutions les plus fécondes. » comme dit ma petite IA intégrée qui enfile les lieux communs avec la régularité d’un secrétaire de cabinet fournissant des éléments de langage.

Les Français ne veulent pas de Bayrou et de ses solutions

Je ne sais pas si « la tentation du simplisme est grande » mais quand même, quand on emprunte une once de lucidité à ceux qui en ont prétendument une grande provision, on voit bien que les Français ne veulent pas de Bayrou et de ses solutions qui n’abordent aucun problème, ni d’un président en perpétuel voyage qui explique qu’il a « longuement préparé » avec le piteux palois ce plan d’économies budgétaires « lucide et courageux » ; on voit aussi qu’ils ont appris à se méfier de Paris et rêvent d’une France fédérale de petites patries où les petits patrons décideraient de ce qui est bon pour les petites gens (les petits patrons, pas les politiques ni les journalistes) ; ils rêvent d’une France qui ne ressemble pas du tout à celle imaginée par Macron pendant le Covid, une France où les habitants auraient le pouvoir et où les ONG revanchardes n’auraient pas droit à un micro systématiquement tendu par les journalistes. Cette colère qui grandit, cette inquiétude permanente, ce sentiment d’abandon, aucune institution politique française actuelle ne peut y remédier. Il manque un fédérateur à ce désir de fédération, il manque un père à ces citoyens abandonnés et morigénés. En fait, les Français rêvent d’Ancien Régime sans le savoir et sans savoir l’exprimer. Ni Attal, ni Bayrou, ni Borne, ni Macron ni aucun des prétendants à la présidence ne les y aideront. On a tué le roi, puis on l’a effacé. Il n’en reste que le lancinant et obscur désir, comme une douleur dans un membre coupé.

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