Les États généraux de la bioéthique (EGB) ont été présentés par le gouvernement, comme une consultation destinée à écouter tous les Français et à leur permettre de tous s’exprimer pour qu’ils puissent dire quelle société ils voulaient. Comment se sont passées les premières réunions publiques d’information ?
À cause d’un sondage paru dans La Croix le 3 janvier 2018, un certain nombre d’officiels (scientifiques, médecins, le Pr. Delfraissy ¹, président du Comité consultatif national d’éthique, le CCNE) étaient convaincus que les Français considéraient sereinement les transgressions envisagées, au premier rang desquelles la PMA sans père. Les premiers débats, dans l’ouest de la France, ont été littéralement ouverts sur la manière d’appliquer la légalisation de la PMA sans père. Mais, tout de suite, le public présent a remis le curseur au bon endroit, en disant que le sujet n’était pas l’application, mais le fait même d’envisager la PMA sans père. Ça a un peu déstabilisé les intervenants.
Le fait est que cette consultation a mis à jour une opposition unanime aux transgressions proposées. Les Français ne sont pas du tout demandeurs de la PMA, ce qui rejoint toute une série de sondages parus depuis l’élection de Macron et qui portent sur les préoccupations et les priorités des Français : la PMA est systématiquement en queue de peloton. Les Français qui n’en pensent pas grand chose et ne sont pas demandeurs, ne sont pas venus ; les Français conscients des enjeux et de leur importance ont participé. Il y a une ultra-minorité militante pro-PMA, pro-droit à l’enfant, mais il apparaît qu’elle est groupusculaire, que cette demande est en réalité quasi-inexistante. On peut le constater en lisant les contributions en ligne sur le site des EGB, comme on l’a vu pendant les débats citoyens. Quand des associations LGBT expliquent qu’elles n’ont pas osé s’exprimer à cause d’une opposition massive des anti-PMA, le fait est qu’elles auraient très bien pu s’exprimer sur le site Internet où personne ne pouvait les gêner comme elles prétendent l’avoir été : mais le site Internet aboutit, lui aussi, à un consensus contre la PMA sans père, la GPA, l’euthanasie, etc.
Que pensez-vous de la manière dont la consultation a été organisée ?
Le Pr Delfraissy, sans doute en lien avec Emmanuel Macron, a voulu donner une ampleur particulière à ces débats citoyens, selon le terme consacré. Il a appelé tous les Français à participer, a fait plusieurs conférences de presse, est intervenu dans tous les médias généralistes, etc. Dans son esprit, et sans doute dans l’esprit d’Emmanuel Macron, on dialogue, on se parle, on débat et puis voilà, point barre. Une fois que les gens se sont exprimés, ils sont contents. Emmanuel Macron considère que les Français ont été humiliés, il l’a dit pendant la campagne présidentielle, et je suppose qu’ils pensaient qu’avec cette méthode, ça allait passer.
Il y a donc réellement eu beaucoup de débats organisés, beaucoup plus que pour les États généraux de la bioéthique précédents, où il n’y avait eu que quelques conférences. Au cours de ces débats, les participants ont pu réellement prendre la parole. Mais il était très difficile d’avoir les informations pour participer. Sur le site Internet officiel des EGB, l’agenda était vague, pas toujours à jour, et ne permettait pas de savoir facilement où avaient lieu les prochaines réunions de la région X ou Y, quels étaient les sujets, quels étaient les intervenants et surtout comment participer, comment s’inscrire. Les organismes, aussi bien pro-droit à l’enfant que défendant les droits de l’enfant, ont favorisé la participation en donnant ces informations. J’en retiens que le public a pu participer et qu’on ne s’y attendait pas, que ça a été pour tout le monde constructif, ouvert et serein – même si les LGBT ont organisé quelques perturbations, de manière marginale.
La consultation portait sur un très large éventail de sujets : « Cellules souches et recherche sur l’embryon », « Intelligence artificielle et robotisation », « Prise en charge de la fin de vie », « Neurosciences », « Procréation et société », etc. Est-ce que, dans les débats, on s’est rendu compte que c’était trop et y a-t-il eu un recentrage sur l’enjeu politique perçu, GPA et PMA ?
Oui, une autre particularité de ces États généraux est qu’ils portent sur neuf thèmes très complexes et majeurs, ce qui est assez déraisonnable. Chaque région devait à l’origine traiter de deux ou trois thèmes, mais les questions de procréation ont été traitées dans toutes les régions. Elles ont pris une place prépondérante. Depuis des années que durent les débats sur le couple, la filiation et la famille, le public s’est formé, est conscient des enjeux, et ça a été au détriment des autres thèmes, aux enjeux pourtant très importants eux aussi, mais parfois plus difficiles à comprendre. C’est un manque de sagesse du CCNE que d’avoir voulu aborder autant de sujets.
Le Président du CCNE avait accordé un entretien à Valeurs actuelles où il expliquait qu’il ne savait pas ce qu’était le bien et le mal ², que la vocation du CCNE n’est que d’animer le débat et de faire s’exprimer des opinions en essayant de les éclairer, bref relativisant tout et allant jusqu’à citer en exemple de « ruptures vis-à-vis des grands principes qui prévalent chez nous » les milliers de transplantations réalisées en Chine à partir d’organes de condamnés à mort… Avez-vous l’impression que le CCNE a joué son rôle, dans ce débat ?
Ayant rencontré le président du CCNE et ayant échangé avec lui, je n’ai pas été étonnée de son interview. Il n’a aucune notion de ce qu’est l’éthique. Pour lui, elle n’a rien à voir avec la morale, ce qui est aberrant. Il est absolument relativiste. Sylviane Agacinski avait demandé sa démission, suite à cet entretien, et elle avait raison : comment présider un comité d’éthique si on ne sait pas ce qu’est l’éthique et donc la bioéthique ? Après, le CCNE comporte plusieurs membres, et le Pr Delfraissy n’est sans doute pas représentatif de tous. Pour en revenir à votre question, les propositions mises en avant par le CCNE lui-même sur le site des EGB n’étaient pas des questions mais des constats très ambigus, qui partaient systématiquement d’arguments plutôt pro-PMA sans père, GPA, etc. Le site était assez partisan lui-même. Le CCNE avait d’ailleurs, de manière surprenante, rendu en juin 2017, avant les EGB, un avis sur la PMA. L’avis n°126 ³ portait sur la procréation : PMA, GPA et l’autoconservation ovocytaire de précaution. Cet avis était d’abord en contradiction avec ses avis précédents sur la PMA, puisqu’il concluait en faveur de la PMA sans père ! D’une certaine manière, le CCNE est juge et partie. On ne peut que s’interroger sur l’indépendance et l’impartialité du CCNE dont tous les membres et le Président sont nommés par le pouvoir politique ⁴. L’éthique suppose une indépendance réelle vis-à-vis de tous les pouvoirs, politiques ou économiques.
Cette révélation publique que le CCNE semble être de parti pris, est-elle une bonne ou une mauvaise surprise ?
Il y avait déjà un doute important sur le CCNE. Un public plus important qu’auparavant a pris conscience de ces anomalies, de ces difficultés propres au Comité. Néanmoins, cela n’empêche pas le président de la République de dire qu’il s’appuie sur le CCNE. Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé, a redit que le gouvernement attendait trois rapports, celui du CCNE, celui du Conseil d’État et celui de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) – à qui le CCNE rendra le 4 juin son rapport de synthèse et l’avis du Comité Citoyen, vingt-deux Français supposés représentatifs de la population dont on ignore qui ils sont et sur quels critères ils ont été sélectionnés… Le CCNE achèverait de se disqualifier s’il publiait un compte rendu de ces États généraux qui ne soit pas conforme à la réalité des débats.
L’ancien président de la Halde, Louis Schweitzer, médiateur de la consultation, a déclaré au Figaro que « les participants ont surestimé l’importance des votes. Ces votes ne sont pas représentatifs de l’opinion des citoyens car ce sont les plus motivés qui s’expriment. Avec ce système, nous avons avant tout voulu mesurer le degré d’intérêt pour les sujets et leur sensibilité en fonction du nombre de votants. » Cette consultation n’était-elle qu’un coup de sonde dans l’opinion ?
Il y a effectivement des éléments de langage, répétés par M. Schweitzer, le Pr Delfraissy et quelques autres, qui consistent à dire que les EGB ne sont pas un référendum. Mais ils ne cessent par ailleurs de s’appuyer sur le fameux sondage de La Croix dont je vous parlais – sondage dont la légitimité ne peut être comparée à celle d’une consultation à laquelle ont participé des dizaines de milliers de Français, de toutes les régions. Ce que M. Schweitzer oublie dans son propos, c’est qu’Emmanuel Macron a dit qu’il posait comme condition à l’éventuelle légalisation de la PMA sans père l’existence d’un « large consensus ». Si consensus il y a, il est plutôt contre, comme le montrent à l’évidence les EGB. L’opposition exprimée est si massive qu’elle ne peut être ignorée.
Francois Delfraissy entre Yves Levy, directeur de l’Inserm et Linda-Gail Bekker, présidente de l’International AIDS Society, se rendant à l’Elysée en juillet 2017.
Quand Emmanuel Macron parlait de « large consensus », il était clair que la consultation faisait partie de l’établissement de ce consensus ?
Absolument. Il a insisté sur l’importance de ces EGB. J’ai eu des échanges de courriers avec l’Élysée, avec Matignon, avec les ministres, et la réponse a été à peu près systématiquement la suivante : nous verrons avec les EGB, qui seront pour les Français, pour vous-même et pour vos sympathisants, l’occasion de s’exprimer. Ils ont tous renvoyés aux EGB comme importants et significatifs. Le CCNE a appelé les Français à formuler des propositions sur le site de la consultation, à publier des arguments pour et contre, à soutenir ces arguments et à voter : les EGB ont un poids bien réels, ils ont permis de prendre le pouls de l’opinion française.
Au bout du compte et au moment où nous sommes, ces EGB sont-ils une bonne ou une mauvaise chose ?
Je pense d’abord que la loi sur la bioéthique ne devrait pas être révisée tous les sept ans, ce qui est tout-à-fait anormal : contrairement à ce que dit le Pr. Delfraissy, l’éthique n’évolue pas. Les fondements éthiques devraient être pérennes pour évaluer avec cohérence toutes les nouveautés scientifiques et techniques. Si le CCNE avait élaboré depuis sa création une charte éthique, si nous respections les principes français de la bioéthique, qui existent et qui sont positifs (la non-disponibilité du corps humain, par exemple, l’anonymat du don d’organe, etc.), on n’aurait pas besoin de ces révisions si fréquentes, qui ne servent en fait qu’à remettre en cause ce qui a été précédemment décidé. Pour la procréation, il n’y a aucune nouveauté depuis 2004 et encore moins depuis 2011, donc la loi ne devrait pas être remise en cause. Ces révisions successives ne sont que des fuites en avant, et les EGB vont dans le même sens. Maintenant, en soi, les EGB ont été très intéressants, beaucoup plus grâce au public qu’aux organisateurs, qui n’étaient pas attentifs au fond.
Qu’est-ce que La Manif Pour Tous envisage, d’ici la remise de l’avis et des préconisations du CCNE aux pouvoirs publics, prévue à la rentrée 2018 ?
Nous sommes en train d’achever un travail d’analyse des débats : les participants ont beaucoup réfléchi, argumenté, développé, on peut en tirer des enseignements. Ce travail sera donné et présenté à nombre d’interlocuteurs institutionnels, politiques, scientifiques, etc., y compris au président du CCNE, de façon très ouverte. Nous examinerons, bien sûr, avec attention la remise du rapport du CCNE, le 4 juin, et beaucoup de choses dépendront de ce compte rendu. il serait aberrant qu’après avoir appelé à prendre position, le CCNE ne rende pas compte des positions exprimées… Si, malgré une opposition massive, ferme et claire à toutes les transgressions envisagées, le gouvernement et Emmanuel Macron décidaient d’inscrire des mesures transgressives dans la révision de la loi de bioéthique, les mobilisations à venir seraient de grande ampleur, et d’autant plus que les Français se sentiraient trompés.
Propos recueillis par Philippe Mesnard
notes :
1. « Le Professeur Jean-François Delfraissy est infectiologue, immunologiste, spécialisé dans les maladies émergentes, et a notamment travaillé pendant de longues années sur le SIDA. » (www.ccne-ethique.fr/fr/pages/les-membres)
2. www.valeursactuelles.com/societe/jean-francois-delfraissy-je-ne-sais-pas-ce-que-sont-le-bien-et-le-mal-93615
3. Avis du CCNE du 15 juin 2017 sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP)
4. www.ccne-ethique.fr/fr/publications/avis-du-ccne-du-15-juin-2017-sur-les-demandes-societales-de-recours-lassistance
5. François Hollande a profondément remanié le CCNE en 2013, avec notamment l’éviction de tous les religieux et la nomination de membres à la sensibilité “de gauche” affirmée.