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Delevoye, heureux coquin

Avec une bonne foi confondante, un membre du gouvernement a décidé de s’asseoir sur la Constitution, de s’affranchir de la Loi et de donner le spectacle d’un gavé satisfait. Pense-t-il que ses prétendues compétences techniques de technocrate courtisan constituent un passe-droit ? ?

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Delevoye, heureux coquin

Si vous vous demandiez pourquoi la plupart des Français, à ce qu’il semble, soutiennent, ou au minimum ne désapprouvent pas, une poignée de salariés qui empoisonnent la vie quotidienne de millions de gens pour défendre de scandaleux privilèges, privilèges que, par-dessus-le-marché ces mêmes Français doivent financer de leur poche, Jean-Paul Delevoye vous aura obligeamment fourni la réponse.

Voici un homme qui depuis des décennies vit, manifestement très confortablement, sous les ors de la République. Un homme qui était le prototype même du cumulard, entassant les mandats comme s’il vivait 72 heures par jour : il fut à la fois maire, conseiller général, conseiller régional et député, puis sénateur, excusez du peu.

Un homme qui ensuite, après avoir été ministre, a présidé pendant une quinzaine d’années des institutions aussi inutiles que dispendieuses : CESE, Médiateur de la République. Rappelons que le salaire du Défenseur des Droits, qui a succédé au Médiateur de la République, est actuellement de l’ordre de 15 000 euros bruts mensuels.

Un homme qui a cumulé sa rémunération de ministre délégué à la réforme des retraites (8300 euros nets par mois) avec ses pensions du régime général et d’ancien élu local. Un homme qui a également « oublié » de déclarer 10 des 13 mandats qu’il exerçait en plus de cette fonction ministérielle, et qui a « oublié » bien sûr de déclarer les rémunérations qui allaient avec ces mandats.

Gras Tartuffe

Voici un homme qui, après avoir été pris les deux mains dans le pot de confiture, déclare qu’il va rembourser 140 000 euros, comme ça, au pied levé, 140 000 euros perçus en présidant pendant deux ans un think-tank qu’il n’avait plus le droit de présider, ce qui donne une petite idée du niveau de goinfrerie du personnage : 70 000 euros par an, soit plus de trois fois le salaire annuel médian en France, juste pour être président d’honneur d’un think-tank, c’est-à-dire essentiellement pour ne rien foutre.

Et ça c’est pour un seul « mandat » : il en reste douze autres, dont certains doivent assurément lui rapporter quelques jetons de présence, gratifications qui, rappelons-le, ne peuvent être considérées que comme de l’argent de poche pour lui, puisque son vrai travail, c’était ministre (charge qui l’obligeait, d’ailleurs, à démissionner de ses autres mandats mais bon, la Constitution, hein…) et qu’il était censé faire le reste à ses heures perdues – apparemment très nombreuses. Et si ses mandats ne lui rapportent pas directement en espèces sonnantes et trébuchantes, ils lui rapportent en influence, influence qui finit toujours, d’une manière ou d’une autre, par se traduire de manière monétaire.

Voici donc un homme dont les revenus mensuels se chiffrent manifestent en dizaines de milliers d’euros, et dont on peut supposer que le patrimoine est à l’avenant, le tout financé essentiellement par le contribuable. Sans compter, cela va de soi, tous les petits avantages qui vont bien et qui, pour ce genre de gens, vont de soi : voitures de fonction, petit personnel à votre dévotion, facilités matérielles innombrables, etc.

Important d’importance

Et qu’a donc fait cet homme pour être aussi recherché ? Quelles qualités rares a-t-il montré pour que lui aient été confiés autant de mandats, de postes et de missions tout au long de sa vie ? Quels services signalés a-t-il rendu à son pays pour que le contribuable le fasse vivre sur un pied aussi élevé ? On fouille sa biographie et on cherche en vain.

Ah ! vous n’y êtes pas du tout. Si Jean-Paul Delevoye est un homme que l’on s’arrache, c’est parce qu’il est un homme important, et la preuve qu’il est un homme important, c’est qu’on se l’arrache. Le secret, voyez-vous, c’est de cultiver ses réseaux, de savoir sans cesse être le coquin dont les puissants du moment ont besoin, d’amasser les honneurs et les fonctions, et puis à partir d’un certain niveau d’accumulation, tout se fait tout seul. Plus vous avez de présidences de ceci ou de cela et plus les gens vous demandent d’être président de ceci ou de cela. On se dit : cet homme est manifestement important, il a le bras long, il serait bon de l’avoir de notre côté. Et on va alors vous demander humblement, le chapeau à la main, de bien vouloir être président d’honneur de telle ou telle structure, moyennant, bien sûr, les compensations que réclament votre importance. Comme le dit un proverbe allemand : le diable chie toujours sur le même tas.

Et c’est à ce genre d’homme, le prototype parfait du courtisan, l’équivalent républicain de ces nobles parasites qui, sous l’Ancien Régime, hantaient la cour et dont les pensions et les honneurs étaient inversement proportionnels à leurs mérites, que l’on a confié le soin d’expliquer au petit peuple qu’il va devoir travailler plus pour percevoir des pensions de retraite moindres. Pas à dire, au gouvernement, il y en a qui sont doués pour les castings. Le remplaçant de Delevoye est d’ailleurs déjà sur la sellette.

La vertu, c’est bon pour le peuple

Le problème n’est pas de savoir si une telle réforme est justifiée dans son principe et ses modalités, le problème est que, comme le disait Montesquieu, « il est très malaisé que la plupart des principaux d’un État soient malhonnêtes gens, et que les inférieurs soient gens de bien ; que ceux-là soient trompeurs, et que ceux-ci consentent à n’être que dupes. »

Le moyen de renoncer tranquillement, au nom de la justice et du bien commun, à ses propres « droits acquis », à ses petits privilèges personnels, lorsque l’on voit que ceux qui demandent d’agir ainsi s’exemptent allégrement de la vertu qu’ils vous prêchent ? Que pour ceux-là la « réforme », c’est-à-dire la perte de revenu, n’est jamais à l’ordre du jour ; bien au contraire, qu’ils ne cessent de s’arrondir alors que vous maigrissez ?

Si on ajoute à ce « Qu’ils mangent de la brioche » le fait que le même Delevoye – qui est un parfait archétype de cette « élite » qui a ruiné et détruit la France depuis un demi-siècle – estime tranquillement qu’il faudrait importer des immigrés par cargos entiers, par millions, par dizaines de millions, pour faire face à notre déclin démographique, on comprendra qu’il y ait de quoi rendre enragé même le plus paisible ruminant.

Ces gens-là, si on les laisse faire, ne se contenteront pas de vous prendre votre pain, ils vous prendront aussi votre pays, avec la bonne conscience et la morgue de ceux qui sont persuadés, en plus, de vous rendre un grand service en agissant ainsi.

Tout cela ne rend pas les cheminots et autres manifestants cégétistes d’un iota plus sympathiques. Ces gens-là, qui prétendent « lutter pour nous » en rendant notre vie impossible, sont odieux et destructeurs à leur manière.

Qu’ils aillent au diable !

Mais il n’empêche que, dans un monde juste, un Jean-Paul Delevoye devrait être condamné à vivre le restant de ses jours comme l’un de ces Français sans-grade dont il prétend régenter la vie. Il devrait avoir à se lever à 5h du matin dans une banlieue glauque pour espérer attraper l’un des rares trains qui circulent. Il devrait avoir à comprimer jusqu’à l’étouffement sa grosse carcasse trop bien nourrie pour la faire rentrer dans un wagon plein comme une discothèque à Shangaï et voyager ainsi, pendant une heure ou deux, en supportant les mauvais remugles, les mauvais regards et les pieds écrasés. Puis, après une journée d’un boulot inintéressant à souhait et fort peu rémunéré, il devrait s’appuyer le même trajet de retour pour regagner sa banlieue dortoir, pleine de ces merveilleux sauveurs de notre système social venus des pays chauds, et qui par ailleurs (nul n’est parfait) aiment à jeter leurs poubelles par la fenêtre, à privatiser les espaces publics, à incendier les voitures, et à jouer du couteau pour un « mauvais regard ». Il y vivrait la vie de ceux pour qui leur pension de retraite représente tant, et peut-être alors comprendrait-il pourquoi certains rêvent d’être à la retraite alors que lui-même, à presque 73 ans, rêve manifestement de ne jamais s’arrêter.

Bien sûr le monde ne sera jamais juste, et peut-être n’est-ce pas plus mal. Un Jean-Paul Delevoye, même démissionnaire, pourra certainement continuer à déguster tranquillement son homard arrosé de champagne sous des hauts plafonds à moulures tout en dissertant gravement sur la difficulté de gouverner la France. Mais ce genre de comportement suffit amplement pour expliquer que la grande majorité des Français se ferment comme des huitres dès qu’on leur parle de « réforme » et que leur seule conception du « dialogue » soit désormais de dire aux gens de la haute : « Allez-vous faire foutre ! »

Par Aristide Renou

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