Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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La démission du général de Villiers a créé le premier grand malaise de la présidence Macron. Révélateur de tous les problèmes dont le premier se situe sans doute dans l’étrange personnalité du Président.
Le 12 juillet dernier le général de Villiers, Chef d’état-major des armées (CEMA), expliquait à la commission de la Défense de l’Assemblée Nationale : « Le ministre des Comptes publics a donc annoncé une annulation de 850 millions d’euros sur la base du montant du budget total, soit 32,8 milliards….Il est encore impossible de formuler des avis trop tranchés sur cette question, et c’est pourquoi je n’ai pas évoqué l’annulation de 850 millions d’euros de crédits. En effet, j’attends d’une part que les arbitrages soient rendus, d’autre part de connaître les conditions qui entoureront cette annulation… Il m’est un peu délicat de parler de ceci ce matin, dans la mesure où le président de la République n’a pas encore rendu son arbitrage : il le fera certainement demain soir à l’occasion du discours qu’il prononcera à l’hôtel de Brienne … »
Qu’en termes mesurés ces choses-là sont dites… Villiers venait pourtant d’apprendre par voie de presse cette suppression de 850 M€ sans aucun examen préalable en conseil de défense.
La réaction brutale du président de la République, le lendemain soir à l’Hôtel de Brienne, devant le haut commandement, la presse, les industriels et aussi les militaires étrangers, est donc plus qu’une faute de goût, un manque d’éducation ou un caprice d’adolescent contrarié, c’est une faute de commandement du chef des armées qu’un lieutenant sortant de Saint-Cyr de commettrait pas. On ne « recadre » pas son plus proche subalterne devant le front des troupes.
La relation de confiance particulière entre le Président et le CEMA et, par là, avec le plus humble soldat, passe au-dessus des technostructures ministérielles. Elle est ici brisée pour 5 ans et le talent du général Lecointre, nommé précipitamment à la place de Villiers, n’y pourra mais ; les visites de sous-marins, les parades en tenue de pilote et les poignées de main du Président aux caporaux non plus.
L’invective macronienne est d’autant plus grave qu’elle n’est pas fondée politiquement, qu’elle trahit la fragilité d’une intelligence brillante, mais faite pour conseiller plus que pour commander, et qu’elle montre une méconnaissance préoccupante du sujet.
« Il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique », assène Macron. Mais c’est très exactement la démocratie dont il se réclame qui prévoit que le public, par ses représentants en commission de défense, soit légitimement informé de « certains débats » dans les limites évidentes et respectées de la confidentialité de défense. Nous ne sommes pas en Corée du Nord!
« L’indignité » dont le Président accuse le général de Villiers, qu’il venait de prolonger pour une quatrième année, est grossièrement injurieuse. Face à un tel affront le CEMA a préféré l’honneur aux honneurs, il est parti. Après 40 ans de service à tous les échelons du commandement, sur le terrain, en Afrique, en Afghanistan, au Levant, aux finances du ministère, au cabinet du Premier ministre, il n’a pas de leçon à recevoir du banquier fraîchement élu qui dit, sans crainte du ridicule : « Moi j’ai des soldats sur les théâtres d’opération ». Et il insiste : «Je n’ai besoin de nulle pression, de nul commentaire… De mauvaises habitudes ont été prises sur le sujet », comme pour asseoir une autorité contestée. Nos adjudants-chefs comme nos colonels savent trop qu’au feu elle ne se décrète pas. L’autorité du chef tient à son exemplarité, son rayonnement et la conviction qu’il nous fera atteindre l’objectif. Il a besoin non, certes, « de pressions ou de commentaires » mais certainement d’écouter avis et conseils pour décider ensuite souverainement. La réaction excessive du Président aux propos mesurés du CEMA en commission, plus vertement exprimés en coulisses dit-on, trahit sans doute le malaise d’un homme immature pour qui on aurait taillé un costume trop grand ou plus simplement une inquiétante fragilité psychologique.
Enfin, quand Macron demande au CEMA de défendre non pas le budget, qui serait l’affaire exclusive du Ministre, mais les seules capacités militaires, il s’exprime sur des questions qu’il ne connaît pas. Une capacité militaire, ce sont des hommes à recruter et entraîner, des armes à concevoir et réaliser sur plusieurs années, voire plusieurs lois de programmation. Notre modèle d’armée résulte d’un équilibre subtil et évolutif où une capacité a un coût qui pèse sur un budget. Ainsi derrière chaque arbitrage (améliorer nos missiles stratégiques, se doter ou non d’un deuxième porte-avions, retarder l’arrivée des AIRBUS de ravitaillement en vol, remplacer notre flotte de blindés légers, suspendre la déflation des effectifs), il y a une analyse politique, stratégique, opérationnelle, technique et surtout budgétaire. Entre les états-majors centraux, les services financiers du ministère, la direction générale pour l‘armement et l’industrie le dialogue est permanent au point qu’il est impensable de séparer budget et capacités : on ne défend pas un budget sans justifications capacitaires pas plus qu’on ne défend des capacités sans en maîtriser la cohérence budgétaire. Écouter le CEMA pour les capacités, puis le ministre pour le budget serait donc totalement absurde.
Encore dans l’improvisation, Macron ajoutera un peu plus tard que « l’intérêt des armées doit primer sur les intérêts industriels», des propos de table qui n’ont pas leur place ici et à ce niveau. Notre industrie d’armement est le socle de notre indépendance, son intérêt est lié à celui de nos armées. Aucun programme d’armement n’est imposé à nos forces par des intérêts industriels et si parfois les militaires ne sont pas suivis dans leurs propositions, c’est que des enjeux scientifiques, économiques ou stratégiques supérieurs ont prévalu. Les officiers chargés de ces dossiers en état-major central le comprennent parfaitement et l’acceptent volontiers.
Avec 17 milliards d’euros d’équipement sur un budget de 33, la Défense est le plus gros poste d’investissement de l’État, mais le premier budget, plus de 100 milliards avec les participations territoriales, reste celui de l’Éducation nationale. Les programmes d’investissement de la Défense apportent une contribution essentielle au développement économique, à l’innovation et à l’emploi. L’industrie de défense contribue de manière décisive à notre commerce extérieur ; en 2016 elle a dégagé 7 milliards d’excédent commercial et engrangé 14 milliards de prises de commandes, un record. Ses exportations, sous la tutelle vigilante de la Direction générale pour l’armement (DGA), constituent un puissant levier diplomatique; elles scellent une relation de confiance avec le pays client et renforcent l’influence de la France dans la préservation des équilibres géostratégiques.
Nommée par Macron à la Défense, l’euro-hystérique Sylvie Goulard, achetée 10 000 € mensuels par un lobby américain, n’en avait rien compris ; elle n’est pas restée un mois en poste.
Le général de Villiers précisait donc aux parlementaires que, pour digérer l’annulation de 850 millions, « il faudrait procéder à des décalages, étant donné que je ne vois pas d’autre solution que de faire porter de telles demandes d’économies sur l’équipement des forces. » Et les forces en souffriront bien plus que l’industrie.
Les contrats opérationnels sont dépassés de 30% ; l’opération Sentinelle, sans résultats tangibles, use nos soldats, cibles visibles d’un ennemi invisible comme en Afghanistan. La stabilisation de l’Afrique sahélienne, le chaos libyen et son hémorragie migratoire exigent sur un théâtre aussi vaste que l’Europe plus de présence (des hommes armés), de mobilité (des avions et des hélicoptères) et de renseignement (des drones). Au Levant l’action aérienne doit être poursuivie pour conforter le recul de l’État islamique. Pourtant, en 15 ans, les dépenses de défense n’ont progressé que de 2%, alors que celles de l’État ont augmenté de 15%.
La nécessité d’un effort significatif, avec l’objectif emblématique des 2% de PIB en 2025 a été endossée par le Président : une marche de 2 milliards par an sur 8 ans. Cette entaille de 850 millions dès la première marche et la crise de confiance qu‘elle a déclenchée augure mal de l’avenir.