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Décentralisation à la jacobine

La décentralisation n’a plus pour objet réel de redonner des libertés ou des pouvoirs aux citoyens. C’est un fait d’expérience que l’État jacobin et centralisateur, prisonnier de son vice, n’est pas capable d’autre chose que de décentraliser ses propres pesanteurs.

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Décentralisation à la jacobine

Depuis trente-cinq ans, notre pays s’est engagé sur la voie de la décentralisation, conduite par étapes successives. La décentralisation, à la vogue et à la mode d’aujourd’hui, jouit de la flatteuse réputation d’être plus en phase avec le monde actuel que notre vieux centralisme. Elle en liquide censément les lourdeurs et les blocages et permettrait la « libération des énergies » et de l’initiative. Les plus libéraux voient en elle le moyen de dissoudre l’État-nation, périmé et délétère selon eux. On se souvient du mot fameux d’Edmond de Rothschild : « Le verrou qui doit sauter, maintenant, c’est la nation », dans la revue Entreprise du 18 juillet 1970. Et, en effet, le verrou de l’État-nation a sauté, depuis ce temps. La France, construite par nos rois, et où l’État a toujours joué un rôle de tout premier plan dans tous les domaines, a traîné les pieds et a eu beaucoup de peine à suivre le grand mouvement libéral de désétatisation.

Si encore, il s’était agi de revitaliser les corps intermédiaires et de ramener le périmètre de l’État aux questions régaliennes, mais pas du tout ! Plus l’État devient omnipotent et ventripotent avec des ministères à ne savoir qu’en faire, puisqu’ils s’occupent de tout, et plus, en même temps, on prétend le casser de haut en bas en toute complicité politicienne.

Une adaptation à la française

De telle façon que notre pays a fini par s’y mettre, mais à la française, c’est-à-dire, par l’intervention de cet État honni. Il en va toujours ainsi en France. Une innovation ne peut rencontrer l’adhésion du public qu’à la condition impérieuse de se présenter comme inscrite dans la continuité de la tradition républicaine, et de l’idéal révolutionnaire qui la sous-tend. Ainsi en est-il allé de la conversion – difficile et imparfaite, d’ailleurs – de nos compatriotes au libéralisme. Elle n’a pu être opérée qu’à la faveur du grand mouvement de subversion générale des années 1960 et 1970, lequel se présentait, en France, comme l’actualisation et l’approfondissement de notre tradition révolutionnaire et de nos révolutions de 1789-1794, 1848, 1871, 1936, et la manifestation éclatante des idéaux libertaires, anarchistes, égalitaires et ennemis de la vieille morale religieuse ou « bourgeoise ». Le tout à l’instigation de l’État lui-même !

Grandes étapes et conséquences du découpage

Le grand découpage de notre nation a commencé voilà déjà trente-cinq ans. La loi Defferre du 2 mars 1982 érigea les régions en entités politiques autonomes, et les lois des 7 janvier et 22 juillet 1983 organisèrent le transfert de ressources et de compétences de l’État aux régions et réglèrent les rapports entre Paris et les collectivités territoriales. Dès lors, les 22 régions devenaient autant de duchés républicains placés sous l’autorité de seigneurs politiciens, jaloux de leur pouvoir, en même temps que des entités géographiques et économiques soucieuses de leurs seuls intérêts, dussent ceux-ci prévaloir au détriment de ceux des autres. Concurrentielles, et donc enclines à l’égoïsme, elles furent livrées aux partis, puisque – démocratie oblige – elles furent gouvernées chacune par un président assisté d’un conseil régional, et dont les décisions devaient être approuvées par une assemblée régionale élue au suffrage universel direct lors d’élections à la faveur desquelles les formations politiques s’affrontaient pour la conquête du pouvoir local.

Après cet « Acte I » de la décentralisation, Jean-Pierre Raffarin a voulu entamer l’« Acte II ». Une loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a modifié la Constitution pour définir la République, cependant toujours une et indivisible, comme décentralisée. Paradoxe et contradiction, évidemment, qui se ressentent dans tous les textes de 2004 à 2010 sur l’organisation des responsabilités locales.

Ces dernières années ont connu une nouvelle avancée de la régionalisation. La loi du 27 janvier 2014 – loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles – a créé 13 métropoles dotées de pouvoirs très étendus, allant jusqu’à la promotion internationale de leur territoire  : de quoi éperonner les ambitions mégalomaniaques de leurs dirigeants ! La loi du 16 janvier 2015 a créé 13 régions dont 8 résultent du regroupement de deux ou trois anciennes régions. Inutile de dire que, dès lors, ces nouvelles régions ne sont plus que des ensembles politico-administratifs et économiques, totalement artificiels, ne correspondant à aucune réalité géographique, historique ou culturelle. Les Hauts-de-France unissent le Nord et la Picardie ; le Grand Est mêle la Champagne, la Lorraine et l’Alsace ; la Bourgogne et la Franche-Comté fusionnent ; la Nouvelle Aquitaine se présente comme une entité monstrueuse qui englobe l’Aquitaine, le Poitou-Charentes et le Limousin ; l’Auvergne se voit contrainte à un mariage forcé avec Rhône-Alpes. Seules l’Occitanie, qui unit les anciens Languedoc-Roussillon, la Normandie, enfin unifiée, et la Corse, correspondent à des réalités naturelles et humaines. Les autres régions ne sont que des regroupements factices, inspirés à la fois par des considérations d’intérêts économiques et des calculs politiciens. Des « machins », aurait dit le général de Gaulle.

Des régions-États

Enfin, la loi portant sur « la nouvelle organisation territoriale de la République » (NOTRe) affirme le rôle d’« échelon de base » de la démocratie républicaine de la commune, favorise l’intercommunalité – communautés de communes, agglomérations urbaines – et renforce les pouvoirs des régions : ces dernières élaboreront un schéma régional en matière de développement économique, d’innovation et d’internationalisation du territoire, d’aides à l’investissement immobilier et à l’innovation des entreprises (SRDEII). Innovation capitale, lourde de significations et d’inquiétudes pour l’avenir : depuis 2014, les régions disposent directement et pleinement des sommes allouées par les fonds européens : Fonds européen de développement économique et régional (FEDER), Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), Fonds social européen (FSE). Autrement dit, elles deviennent de véritables États, assurant elles-mêmes leur développement économique et appliquant en ce domaine leur propre politique, décidée par leur conseil et votée par leur assemblée.

La politique récente de régionalisation entérine la réalité géopolitique et économique actuelle, à savoir que, pour ce qui concerne notre vieux continent, il existe trois niveaux de puissance et de souveraineté : le monde, devenu un marché planétaire, l’Europe, et les régions, autonomes et, de fait, rivales, inégales, aux intérêts divergents. Dans cette vision du monde, l’État et la nation n’ont plus guère leur place, même s’ils la conservent symboliquement au niveau des grandes instances européennes de pouvoir, et même si, comme nous l’observions dans notre précédent article, on constate aujourd’hui une tentative de réaffirmation des États-nations au sein des institutions européennes.

Certes, on relève quelques points positifs dans la politique régionale actuelle : ainsi, les 13 nouvelles régions ont été constituées en y faisant coexister, dans un destin commun, des anciennes régions pauvres et des anciennes régions prospères : le Limousin cohabite avec l’Aquitaine, l’Auvergne avec Rhône-Alpes, le Languedoc-Roussillon avec Midi-Pyrénées ; et les Hauts-de-France, le Centre-Val de Loire et la Bourgogne-Franche-Comté unissent divers territoires qui se renforcent mutuellement. Mais cela ne corrige pas la tendance dominante de déconstruction des nations, de réduction à l’impuissance des États, et de constitution de féodalités économiques et géopolitiques aux intérêts dissemblables, voire opposés.

C’est ce qu’impose le réel, rétorquent d’une même voix les rois du marché, les néolibéraux, les libéraux libertaires, les macroniens et les socialistes mondialistes. Tenter d’aller à contre-courant ne mène qu’au marasme ; mieux vaut s’adapter au cours des choses pour avoir une chance de l’infléchir !

Une prétendue adaptation suicidaire

Seulement voilà : la situation actuelle satisfait, en réalité, les intérêts de certaines nations, et lèse ceux des autres. Elle profite à la Suisse, à l’Allemagne, à la Grande-Bretagne jusqu’à un certain point, et, hors d’Europe, aux États-Unis et au Canada, tous pays en lesquels l’hétérogénéité ethnoculturelle et le fédéralisme sont consubstantiels à la nation, à son histoire, à sa tradition, à son identité ; les nations d’Asie savent aussi profiter de cette situation pour leurs propres intérêts. En revanche, elle nuit à tous ceux en lesquels l’État, central et centralisateur, a joué un rôle unificateur de développement et d’affirmation politique, tels la France, l’Italie, dans une certaine mesure, l’Espagne, le Portugal et les États d’Europe centrale et orientale. Eux, n’ont pas la même chance, dans le monde actuel : s’ils ne suivent pas le mouvement, ils vont vers le sous-développement ; mais s’ils tentent de s’adapter, comme ils le font présentement, ils éclatent, se décomposent en régions érigées en principautés et en entités économiques et géopolitiques sans lien de solidarité mutuelle. C’est ce qui se passe en France avec notre politique de régionalisation ; et on observe le même phénomène en Italie, en Espagne et en Belgique, trois pays dont les politiques de décentralisation ont abouti à opposer les régions les unes aux autres et à menacer l’unité nationale. En Italie, le nord – appelé « Pandanie » par ses thuriféraires – prétend s’affranchir de la tutelle romaine et se libérer de ce boulet que serait, selon certains, le sud péninsulaire ; en Espagne, on a vu la Catalogne aller au bord de la sécession ; en Belgique, le Vlaams Belang défend l’autonomie radicale, sinon l’indépendance, de la Flandre, au préjudice de la Wallonie. En France, où notre tradition centralisatrice millénaire et devenue malheureusement jacobine depuis deux siècles empêche le développement des particularismes ethnoculturels, les régions, totalement artificielles, répétons-le, sont mises en concurrence économique et livrées à la lutte des partis pour le pouvoir régional, considéré comme un tremplin vers le pouvoir central, et comme un auxiliaire de ce dernier, ou, au contraire, une arme de combat contre lui, suivant les circonstances. Nos gouvernants successifs et notre classe politique conjuguent une adaptation suicidaire à la mondialisation actuelle avec la partitocratie la plus délétère. Macron, lui-même, y tombera.

Vraie ou fausse continuité républicaine

Ainsi, c’est l’État républicain jacobin qui procède au délitement de la nation. On décompose, on disloque la nation, mais au nom même de l’idéal républicain unitaire et égalitaire, et par la volonté et l’action de l’État jacobin, concevant, décidant et agissant à Paris. De la même façon, depuis que le vent de mai 68, si cher à M. Macron, a soufflé sur une France ivre d’idéal révolutionnaire, on s’abandonne aux délices et poisons du néolibéralisme mondialiste et du chacun pour soi au nom même de la liberté, de la créativité, de la modernité, le tout dans une ambiance mortifère de convivialité à base de célébration permanente de la démocratie, de l’égalité et des droits de l’homme, mêlée à une fausse générosité faite d’actions prétendument caritatives, et tout cela sous la houlette de l’État ! Hier national et centralisateur, l’État républicain, aujourd’hui, décide souverainement, fidèle en cela à ses méthodes autoritaires et à sa tradition jacobine, de défaire la nation. Ce faisant, il ne se trahit pas et ne renie pas son idéal, celui de contribuer à l’avènement d’une civilisation mondiale mercantile et individualiste, régie par la seule idéologie universaliste et démocratique. L’État républicain achève ainsi son œuvre, en transformant le peuple français en un amas de citoyens du meilleur des mondes et de clones déculturés. D’où l’immense malaise.

Laurent Wauquiez - Politique Magazine

Laurent Wauquiez, président d’une improbable région unissant l’Auvergne aux Alpes.

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