Il ne suffit pas de saupoudrer la France de gendarmeries pour rétablir la sécurité perdue des Français. Il faut repenser la manière de déployer et d’utiliser les gendarmes en les réinstallant au cœur de la vie des bourgs.
Cet article se concentre sur les zones périurbaines et rurales puisque ce sont les zones traditionnelles dans lesquelles s’exerce l’activité gendarmique. Il a pour but de vous faire découvrir succinctement les travaux de François Dieu, sociologue spécialiste des questions de sécurité. Dans plusieurs articles, F. Dieu s’attelle à analyser des changements sociodémographiques en ruralité et dans les zones périurbaines. Il connecte ces changements de mode de vie, de sociologie, de liens entre les individus, à l’émergence de certaines criminalités mais aussi d’un certain sentiment d’insécurité. Dès lors, se pose la question suivante : est-ce que notre système gendarmique français est adapté à ces nouvelles configurations ?
Un modèle vieux de trois siècles
En effet, la maréchaussée se sédentarise au XVIIIe siècle afin de participer à l’unification nationale et à la surveillance générale en tissant un lien de confiance avec les populations. Le gendarme va s’imposer comme l’acteur de la sécurité en milieu rural. Il jouit d’une image rassurante et de proximité pour la population. Le gendarme est souvent issu de familles rurales lui-même. Il est donc proche sociologiquement de ses administrés (nous verrons par la suite que la sociologie du gendarme a également subi des transformations). Il occupe une fonction de juge de paix, c’est-à-dire qu’il arbitre les conflits mineurs entre les habitants. Cette fonction peut être également occupée par l’élu local. Il fait également office de relais de l’administration, car c’est un représentant de l’État auprès de populations qui s’en sentent parfois éloignées. Il revêt également un aspect symbolique au sein de la France rurale, tel le clocher au milieu du village. Ainsi, le modèle sur lequel on se fonde aujourd’hui en termes de répartition des brigades de gendarmerie est vieux de trois siècles. Il a été fondé lorsque nos gendarmes se déplaçaient encore à cheval. De plus, il est créé dans une France encore majoritairement rurale. Mais depuis les années 70, on a connu une seconde période d’exode rural massif et un développement des zones périurbaines qui entraînent des transformations sociales de grande ampleur.
Les transformations sociodémographiques en ruralité et en zone périurbaine
Le phénomène d’exode rural entraîne plusieurs faits sociaux. On se retrouve notamment face à une crise de l’agriculture mais aussi à un vieillissement des populations : d’une part, les jeunes partent en ville et, d’autre part, la campagne est un lieu privilégié pour l’exil de retraités urbains. Ainsi, si le gendarme remplit encore un rôle social en ruralité, en tout cas pour les anciennes générations de gendarmes qui continuent de s’inscrire dans la vie sociale de la commune, les jeunes gendarmes mutés d’office en ruralité ne souhaitent pas s’éterniser en campagne. Ils sont d’une sociologie plus urbaine et souhaitent rapidement retrouver la ville. Ce phénomène cumulé à celui que de plus en plus de gendarmes ne souhaitent plus loger en caserne, car ils ont la possibilité d’accéder à la propriété privée et donc habitent hors de leurs communes d’exercice, entraîne que le gendarme est de moins en moins un acteur de proximité. Car la proximité n’est pas qu’une question de kilomètre, c’est une proximité sociale, c’est la volonté de s’inscrire dans un environnement social, un réseau de solidarité et d’interconnaissance.
Les zones périurbaines qui se développent à partir des années 70 viennent créer une sorte de continuum entre la ville et la ruralité. Ces zones sont reliées à la ville par des routes. On y trouve les « zones commerciales ». Cependant, F. Dieu souligne leur hétérogénéité. On peut y trouver à la fois des quartiers sensibles et des zones pavillonnaires. Beaucoup de personnes emménagent dans les zones périurbaines car l’habitat en ville est dispendieux mais aussi dans l’optique d’une recherche de quiétude et d’accès à la propriété individuelle, avec jardin si possible. Ces zones sont également marquées par une migration pendulaire quotidienne accrue qui surexpose les populations périurbaines aux accidents de la route ; la plupart des gens qui y habitent travaillent en ville, qui est également le lieu de leurs activités sociales. La montée en puissance de l’individualisme s’ajoutant à tous ces facteurs, ces zones bénéficient d’un faible contrôle social et de faibles sociabilités. Nous verrons que cela a un effet sur le type de criminalité qui s’y développe, car le contrôle social est un des mécanismes principaux de régulation des « incivilités » qui prennent une place croissante dans la vie quotidienne des populations.
Une criminalité particulière selon les zones
Les zones rurales, du fait de leur population vieillissante, sont un terrain propice aux arnaques, soit au porte-à-porte soit par internet, outre une délinquance traditionnelle comme vol d’outils servant à l’agriculture, ou le vol de récoltes. Par ailleurs, les campagnes vivent une recrudescence du sentiment d’insécurité. En effet, les personnes âgées, et notamment les personnes du milieu rural, sont très réactives à la criminalité réelle. La diffusion médiatique instantanée des faits criminels renforce cette impression. Et les néo-ruraux arrivent avec leurs propres craintes de citadins. Ils jouent le rôle de rapporteurs de leurs expériences de la ville.
Les zones périurbaines, elles, sont aujourd’hui des zones plutôt criminogènes. Il y a tout d’abord la criminalité “classique” se retrouvant dans les « quartiers sensibles » pouvant appartenir à ces zones, tels que le trafic de drogue, le rodéo urbain ou les situations émeutières. Par ailleurs, les zones pavillonnaires se retrouvent particulièrement exposées aux cambriolages du fait de la migration pendulaire. Enfin, les services de gendarmerie sont souvent sollicités pour des conflits de voisinage. En effet, les élus ne jouent plus le rôle de juge de paix dans des communes qui ont connu une explosion démographique avec de nouveaux arrivants, dans un contexte de relâchement des liens sociaux, le développement de l’individualisme au sein des sociétés encourageant les individus à se replier sur leurs sphères privées, ce qui crée un climat de défiance envers autrui. Autrui est devenu une nuisance. On fait donc appel à la brigade de gendarmerie pour régler des conflits de voisinage, ce qui généralement ne résout rien mais crée encore plus de défiance.
Lutter contre le sentiment d’insécurité
Les changements urbanistiques et démographiques gigantesques de ces dernières années nous laissent face à deux défis sécuritaires : agir sur la criminalité réelle et sur le sentiment d’insécurité. On pourrait penser à mettre des médiateurs sociaux pour régler les conflits de voisinage, afin de recentrer les brigades de gendarmerie sur leurs tâches traditionnelles et avoir une solution moins abrupte que de faire venir quelqu’un en uniforme dans une optique de pacification des relations interpersonnelles. F. Dieu suggère notamment de concentrer les brigades sur les zones périurbaines qui sont particulièrement criminogènes. Il serait également intéressant de rendre la gendarmerie encore plus mobile pour créer de la proximité par sa rapidité d’intervention : la proximité, c’est surtout un service de qualité et rapide, pas forcément une proximité métrique, que F. Dieu nomme « la proximité béton ».
Afin de lutter contre le sentiment d’insécurité qui est le fruit à la fois de l’insécurité réelle, des incivilités répétées et d’un environnement dégradé, il est souhaitable de jouer sur plusieurs plans. Garder un environnement propre grâce à des brigades de nettoyage, renforcer le contrôle social, notamment par la mise en place de maisons de quartier, et faire en sorte que les gens s’installent de manière pérenne dans leurs quartiers afin que ce dernier soit leur lieu de vie et qu’ils se sentent engagés dans et pour le quartier. Cela aura pour effet de créer des sociabilités au sein de la communauté des habitants. On peut aussi penser à des dispositifs de contrôle social ad hoc tel que « Voisins vigilants » qui est une sorte de reproduction du feu contrôle social villageois. Et enfin, bien sûr, il faut lutter contre l’insécurité réelle en s’attaquant aux points chauds de trafics de drogues par exemple. Bien évidemment, ce n’est qu’une liste non exhaustive des politiques publiques possibles afin de répondre à ces défis sécuritaires. Mais on voit qu’il faut moins multiplier les gendarmeries que repenser en profondeur l’utilisation des gendarmes.
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