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Cent Jours sans avenir

L’avenir est bouché. En raison même des institutions qui nous emprisonnent.
Elles sont toutes faussées.

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Cent Jours sans avenir

Encore quatre ans  ! Que peut faire Macron ? La situation est connue ; elle était prévisible. Tout, d’ailleurs, a été décrit d’avance. Particulièrement dans Politique magazine. L’impasse politique est telle que certains n’hésitent plus à parler de crise de régime.

Et, pourtant, le Conseil constitutionnel, garant de la rectitude des lois, a montré sa parfaite soumission au régime, ce qui se comprend – ses membres en sont la directe émanation et ils en vivent comme ils en ont vécu –, mais, du même coup, à Macron, ce qui se comprend moins – car l’homme à force de coups de force réitérés ruine l’édifice sur lequel ils prétendent trôner comme des Sages. Lesdits Sages ont donc rendu une décision de complaisance qui va à l’encontre du plus élémentaire bon sens juridique. Les termes employés sont même à la limite de l’absurde et du comique : les constitutionalistes sérieux – ça doit exister – ne peuvent qu’en convenir. Le simple fait d’avoir utilisé une loi rectificative de financement de la Sécurité sociale, par définition spécifique – et même doublement spécifique – et dotée à cet effet de procédures spéciales, pour faire adopter de manière précipitée et contraignante une loi générale qui établit des normes nationales sur des principes universels et qui règle des applications pratiques constitutives de droits et de devoirs pour les citoyens, suffit à connoter le subterfuge de cette légalisation abusive, dans sa globalité, de fraude juridique. Affirmer le contraire relève de la plus impertinente des mauvaises fois. Quoi qu’on pense, par ailleurs, du système des retraites et de la nécessité d’une réforme.

La fausseté légalisée

Mais il paraît que ça passe ! à part quelques cris d’orfraie dans la presse – et pas forcément de bon goût –, rien n’a ébranlé l’appareil juridique et judiciaire français. Des politiques ont protesté, mais souvent, surtout à gauche, à partir de leurs présupposés. L’absence de réaction du côté de l’autorité judiciaire et des pouvoirs constitués ne montre que trop l’effroyable affaiblissement mental et le pitoyable avachissement moral dont la puissance publique est, dans son ensemble, affectée depuis déjà fort longtemps. Il est de vrais hommes de loi et des juristes distingués pour le savoir pertinemment et pour s’en plaindre à juste titre : d’où l’état général de notre législation, prolixe, surabondante, incohérente, contradictoire, inintelligente, un amas de textes mal conçus et mal rédigés, écrasants et pénalisants pour les bons citoyens ; et d’où aussi l’état de la justice dans le pays de saint Louis, des légistes royaux, des grands jurisconsultes de formation française, sans doute les meilleurs du monde. Bien supérieurs aux Anglo-saxons à qui la politique européenne et française a donné systématiquement la suprématie et l’exclusivité. Toujours par complaisance et trahison !

La droite raison juridique et par conséquent politique et sociale peut être violée impunément et par les plus hautes autorités instituées, toutes complices en pareille affaire ? Ça ne pose aucun problème. Seulement, à force de répéter depuis des décennies le même genre de stupidités qui ne sont que des iniquités érigées en légalité, jusqu’à l’encontre des plus naturelles évidences, la famille, le mariage, la nation, le droit, la loi, la bonne administration, vient un moment où la citoyenneté elle-même est atteinte et dégradée ; et le droit des citoyens terriblement endommagé. À quoi sert-il de se plaindre de la dissolution du lien social ? De l’état général de la société ? De l’illégalité triomphante en tout domaine ? Du séparatisme et du communautarisme, termes euphémiques pour signaler la sécession juridique et politique ? De l’insécurité qui frappe le pays tout entier et, d’abord, les plus démunis ? Insécurité matérielle, intellectuelle, spirituelle ? Du crime qui domine la rue ? De la rue qui se révolte ? Des révoltés qui professionnalisent leur insurrection ? Ne pas voir le lien qui unit toutes ces causes et tous ces effets, c’est s’aveugler. L’exemple vient de haut. Plus personne ne respecte rien. Et, surtout pas, les vérités les plus élémentaires.

Ce mépris souverain peut s’afficher avec la gravité requise et la majesté étatique, tant que le gendarme vous ouvre la portière et l’huissier vous déploie le parapluie ! Les codes de l’ancienne société sont protecteurs de ces turlupinades qui n’honorent pas tous ces gens bien placés qui cumulent les avantages d’un système fait pour eux et qui, gavés d’honneurs, se distinguent par une lâcheté courtisanesque et dégradante.

La prévarication est dans l’air du temps ; elle est, d’ailleurs, pour qui étudie l’histoire en dehors des préjugés des doctrines officielles, dans les assises même de la République qui n’a jamais été qu’une suite de coups d’État entérinés par la rhétorique politicienne, par les hermines et les chats-fourrés, les conseillers de tout poil et les institutions dont la légitimité dépend de telles ratifications.

La vérité bafouée

Qui lira cette décision avec ce minimum d’esprit critique qui s’impose en de tels cas ? L’esprit public est définitivement blasé. Selon la terminologie au goût du jour, « la séquence est finie » ; l’affaire doit être close. Reste à attendre la prochaine décision sur le référendum d’initiative partagée, prévue le 3 mai prochain. Qui changera quoi dans une question si mal engagée ? Car il faut le signaler : l’erreur est au cœur de la décision déjà actée. Erreur monumentale ! Ce point reste d’une importance capitale. La crise de régime est là, tout entière. La comprendre permettra, peut-être, un jour, d’en sortir. Et d’en sortir par le haut. En retrouvant la clarté de la vérité. Politique et juridique. Cette exigence de vérité, est-ce trop de la demander ? Dans le désastre qui s’annonce et que tant de forfaitures accumulées auront, même inconsciemment, préparé, il sera bon de renier cette masse de mensonges qui façonnent maintenant notre vie publique.

La rédaction du texte en lui-même souffre manifestement de la grossièreté du procédé employé. La répétition du même thème de la non-contamination d’un genre législatif particulier dont les singularités sont réservées précisément à son cadre légalement restreint, sur l’élaboration de la loi ordinaire applicable par nature à la nation tout entière, et ce en vue d’effacer et de banaliser le recours systématique à des procédures exorbitantes du droit commun, prouve à soi seule le péché originel d’une telle législation et, en conséquence, la volonté corrompue et corruptrice du législateur, en l’espèce l’État macronien. La fin ne saurait justifier les moyens. Au motif que cette réforme des retraites serait imposée par les circonstances alors qu’à la vérité elle est dérisoire, dans son paramétrage univoque et universel, sauf qu’elle se moque des petites gens, comme à peu près toutes les lois de la République conçues par des technocrates qui se croient habilités à décider pour eux : comme pour leurs logements, comme pour leurs emplois, comme pour leur travail, comme pour leur vie, leur éducation, leur mort ; l’État décide de tout. Il versera les retraites, telle une allocation supplémentaire pour la fin de vie, et le montant sera fixé par la loi comme le reste : c’est la planification de l’abrutissement généralisé, comme chez Orwell et Huxley, dans la perte de toute personnalisation, de toute liberté politique et juridique, de toute appropriation de ses intérêts et de sa vie, même si le système convient aux bourgeois cossus qui peuvent garder leur quant à soi et échapper au sort commun. L’argument de l’étranger, brandi à toute occasion, ne vaut qu’à titre de comparaison et non pas d’uniformisation.

Ainsi Macron fait-il le bien des Français malgré eux. Les gens intelligents comme lui peuvent et doivent comprendre, n’est-ce pas ? Le chef de l’État est dans sa charge – comme il le répète à l’envi – en prenant les devants et en « assumant » – selon son langage – ce qu’il a décidé pour le bien de tous, du peuple lui-même qui ne le comprend pas, mais qui devra comprendre un jour. C’est pourquoi il n’a pas peur d’affronter la contradiction et les contradicteurs quels qu’ils soient. Il se rend justice à lui-même. Le reste est affaire de pédagogie : il s’y emploie, seul vraiment capable de faire passer le message de la supériorité avisée et instruite. C’est la raison pour laquelle le peuple, finalement, l’a choisi comme chef de l’État. Il est dans son rôle plus que jamais contre tous les populismes qui n’ont aucune intelligence de ce qu’il faut faire. Ne pouvant plus se représenter en 2027, il s’investit tout entier dans sa haute fonction. Avec la satisfaction du devoir accompli.

L’homme use ainsi jusqu’à la corde les institutions de la Ve République. S’étant servi de toutes les astuces législatives, dans le passé aussi bien que dans le cas d’espèce, il en imagine d’autres de substitution pour continuer à « avancer » selon ses propres « éléments de langage », à la façon du grand débat face aux Gilets jaunes, aujourd’hui des conventions citoyennes, comme pour la fin de vie qui sera un de ses trucs de réconciliation, ou encore à la façon du Conseil national de la refondation (CNR) qu’il va relancer pour les lois travail vraisemblablement ; peut-être entamera-t-il demain la constitutionnalisation de l’avortement ; et, de toute façon, d’ici juillet, il présentera une loi émigration que Darmanin va concocter pour ressouder un semblant de majorité. Il entend par ces voies diverses tirer une nouvelle légitimité démocratique qui lui assurera sa fin de mandat, à défaut de référendum dont il ne veut à aucun prix, du moins en matière de retraites et d’emplois, tant il craint d’être désavoué d’avance.

Du reste, le Conseil constitutionnel statuera sur le référendum d’initiative partagée. Ce sera le 3 mai. L’autoriserait-il que les conditions sont telles qu’il n’est même pas sûr d’aboutir et, s’il aboutissait, les conséquences en seraient seulement négatives. Il est plus que probable qu’un tel empêchement serait contourné.

Pas d’avenir

Reste la loi que prévoit le groupe Liot, Libertés et territoires, où brillent quelques personnalités indépendantes comme Charles de Courson, et qui doit être proposée et présentée le 8 juin prochain. Elle pourrait perturber fortement le plan macronien en remettant en cause sa loi sur les retraites. Gageons que tout sera fait, y compris par des procédés de pression qui ont déjà été mis en œuvre, pour gêner et détourner cette manœuvre parlementaire. En soi insuffisante !

D’ailleurs, Macron s’est fixé une échéance : cent jours, soit le 14 juillet. A-t-il songé à ce que ces cent jours peuvent porter de symbolique ? Et cent jours pour quoi faire ? Réconcilier la France et les Français ? Mais le peut-il ?

Le voici rejeté, exécré même par une grande partie des Français, même s’il conserve son socle électoral qui se rapetisse, de bourgeois qui ne souffrent d’aucun problème ; de plus, privé de majorité parlementaire, sans vrai parti présidentiel suffisamment cohérent doctrinalement et uni stratégiquement pour être un soutien effectif dans une période de plus en plus difficile ; en fait, isolé dans son Élysée, sans ministère apte à le relayer, malgré pléthore de ministres et de ministresses plus inutiles et encombrants les uns que les autres, et dont les plus remarqués, les Darmanin, les Le Maire, lorgnent déjà sa place et n’exercent plus leur fonction que dans le but d’y parvenir ; ainsi réduit à la compagnie de quelques affidés, de même tournure psychologique et morale que lui, autour d’Alexis Kohler, le Secrétaire général de l’Élysée qui tient les rênes de l’attelage gouvernemental, Attal, son vrai double, Séjourné, son chef de parti, Beaune, Dussopt et autres, un petit clan qui s’approprie toutes les prétentions du modernisme et du progressisme à la Macron, dans le confort et l’assurance de l’ordre républicain qui convient à leur volonté de domination, alors qu’ils n’hésitaient pas à le remettre en cause quand ils briguaient le pouvoir. Tout cela en raison même de la façon personnelle et autocratique dont Macron s’est emparé du pouvoir, dont il le conçoit comme un instrument à sa disposition pour la réalisation de ses idées, à lui, et dont il s’est réservé l’absolue intégralité, avec une Élisabeth Borne qui ne peut agir qu’au coup par coup et qui rechigne à assumer les inconséquences d’un président volontiers provocateur.

Alors, quel avenir dans une telle situation ? Il court l’Europe pour probablement s’y préparer un avenir, à lui, à ce niveau qui est le seul qui l’intéresse, et pareillement le monde pour y jouer l’important, alors que les bruits de guerre se multiplient et que son pays, la France, se délabre de jour en jour plus lamentablement.

Gouverner, gouverner un pays comme la France, mériterait mieux que cette agitation prétentieuse, stérile et destructrice. Un jour, serait-il possible de revenir à l’essentiel ? Benoît XVI rappelait que pour saint Bonaventure, son saint préféré, « gouverner n’était pas simplement faire, mais était surtout penser et prier. » Qui pense ? Et qui prie ?

 

Illustration : Le Conseil constitutionnel dans tout l’éclat de sa souveraineté démocratique.

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