Recevez la lettre mensuelle de Politique Magazine

Fermer
Facebook Twitter Youtube

Article consultable sur https://politiquemagazine.fr

Ça performe plus

Emmanuel Macron a touité le 23 janvier : « À nos agriculteurs : j’ai demandé au gouvernement d’être pleinement mobilisé pour apporter des solutions concrètes aux difficultés que vous rencontrez. »

Facebook Twitter Email Imprimer

Ça performe plus

Il rentrait d’un séjour à Berlin, il venait de déjeuner avec Gabriel Attal, il préparait une « Remise de décoration collective à des acteurs du monde sportif. » (ainsi parle son agenda), on était à la veille d’un Conseil des ministres, à l’avant-veille de l’exécution publique de la loi sur l’Immigration et de son départ pour l’Inde. Bref, il avait autre chose à faire qu’à se pencher réellement sur le sort des agriculteurs français, ruinés par leurs investissements, étranglés par la fiscalité, empêchés par l’administration, éliminés des marchés par l’Union européenne, tragique situation élégamment résumée par la formule « les difficultés que vous rencontrez » qui n’est pas sans rappeler les badins messages de la SNCF « s’excusant pour la gêne occasionnée » après un retard de huit heures. Ceci explique sans doute que 67 % des Français trouvent qu’Emmanuel n’est pas un « bon président de la République ».

Vas-y Gaby !

Gabriel Attal, désormais personnalité préférée des Français (48 % estimant qu’il est un « bon Premier ministre », « dynamique » (70 %), « sympathique » (66 %), « ouvert au dialogue » (61 %) et « compétent » (55 %)) s’est donc mobilisé. Il a parlé avec une botte de foin en guise de pupitre et dégusté un buffet campagnard à Montastruc-de-Salies, il est allé à Parçay-Meslay et à Carbonne, sur un barrage de l’autoroute A64, il ne s’est pas fait lyncher. Il a expliqué qu’il fallait « protéger notre héritage et notre identité » (Zemmour a sursauté), il a promis que les cantines publiques et les préfectures allaient s’approvisionner français (que ne le faisaient-elles déjà ?), s’est égaré en affirmant « On assume de protéger et de produire, c’est ce qu’on a fait depuis 2017, avec des aides aux filières, avec un nouveau plan loup, avec Egalim 1 et 2 », en oubliant que les deux lois n’avaient rigoureusement rien réglé, au contraire, pour les agriculteurs et a conclu en disant qu’« Emmanuel Macron est peut-être le chef de l’État le plus mobilisé sur le sujet, même si bien sûr, on n’est pas toujours entendu » (c’était avant de connaître le sondage, paru mardi 30) et « La France sans l’agriculture n’est plus la France », discret rappel du macronien « pour que la France reste la France » (on voit la prodigieuse fécondité du slogan, déclinable à l’infini : la France sans fromage/fonctionnaire/Fabius n’est plus la France).

Mais ça n’a pas suffi. Les Français aiment voir Gabriel sourire aux culs-terreux, les paysans attendent mieux que « on se donne un mois pour voir ce qu’on peut simplifier et je vous annonce ça au Salon », car c’est pas comme si les cinq syndicats agricoles n’en parlaient pas à jet continu à tous les ministres successifs ; disons-le tout net, le moratoire sur la réglementation du débroussaillage ne paraît pas primordial pour rétablir la santé financière des éleveurs, et expliquer que la France s’oppose au traité du Mercosur est une bonne chose mais ne résout rien des difficultés actuelles.

Bref, Gabriel a expliqué qu’il voulait aller vite et loin et les agriculteurs ont répondu : d’accord, que décidez-vous tout de suite ? Mais c’était un peu trop tôt pour le nouveau Premier ministre, qui a alors déclaré « on n’a pas répondu à l’ensemble du malaise, on va continuer à travailler, il y aura d’autres décisions à prendre dans les semaines qui viennent » ce qui a surtout encouragé les agriculteurs à ne pas lever les blocages et même à se lancer dans un bonhomme siège de Paris.

Les mesurettes et les discussions s’entassent

Emmanuel Macron, lui, a parlé avec Ursula von der Leyen du Mercosur, des jachères imposées aux agriculteurs et de l’arrivée des produits ukrainiens dans l’Union, qui depuis quelques décennies, au prétexte d’enrichir les consommateurs ou de soutenir l’expansion politique de l’UE, fait tout pour saborder l’ensemble de l’agriculture européenne à grands coups de libre-échange sans contrepartie pour les agriculteurs extérieurs et de normes ultra-contraignantes pour les agriculteurs intérieurs. Peut-être aurait-il dû lui parler de l’entrée de l’Ukraine dans l’Union, qui va faire beaucoup perdre aux agriculteurs français ?

Et ainsi les mesurettes et les discussions s’entassent avec comme seules craintes que Gabriel ne paraisse pas faire le job, qu’Emmanuel n’apparaisse comme impuissant, chacun faisant semblant de croire qu’il est simple, en France, de débroussailler la réglementation, d’accorder les administrations, de suspendre la voracité du fisc et des banques et de faire fi des oukases normatifs de l’Union. Pas certains que la parole de Gabriel Attal soit plus performative que celle de Macron, les agriculteurs maintiennent la pression, arrachant de maigres concessions sans que véritablement la France se donne les moyens d’une véritable souveraineté agricole. Les paysans restent en sursis, les sondages vont fléchir eux aussi.

Facebook Twitter Email Imprimer

Abonnez-vous Abonnement Faire un don

Articles liés