IN MEMORIAM MONSIEUR L’ABBÉ PLANCHAT
La rue Planchat descend doucement de la rue de Bagnolet à la rue d’Avron, parallèle au boulevard de Charonne – du nom de l’ancien village qui, aggloméré avec le bourg de Belleville et le hameau de Ménilmontant, formèrent en 1860 le vingtième et dernier arrondissement de Paris. Tracée après le Second Empire, elle prit le nom de l’abbé Planchat, aumônier catholique d’un cercle d’ouvriers du bois, fusillé le 26 mai 1871, à 47 ans, « en haine de la Foi », au cours des massacres de la rue Haxo. En cette fin d’année de « commémoration » de la Commune, on peut se réjouir que personne n’ait encore proposé de débaptiser cette rue évoquant un prêtre qui apportait aux déracinés le réconfort de la Confrérie de Saint Vincent de Paul.
Né à Bourbon-Vendée (La-Roche-sur-Yon), fils aîné de François Planchat, juge intègre dont le père avait sauvé quatorze prêtres pendant la Révolution, et de Marie-Virginie Garanger de la Roche, Mathieu Henri Planchat ressentit tôt un appel. Enfant exubérant, vif, tenace parfois jusqu’à l’entêtement, il fut vite avide de Dieu et sensible à la misère, physique et morale. Sa mère l’appelait en plaisantant son petit Vincent de Paul, mais son père fit un temps obstacle à son engagement, sans doute conscient des risques d’un emballement.
À Stanislas, ses camarades s’amusaient à le mettre en colère. Comme en témoignent ses cahiers spirituels, il disciplina son tempérament émotif. Luttant contre son âme, il repoussa la tristesse et le découragement, pour cultiver douceur et fermeté et en faire des atouts. Son diplôme de droit en poche, il entra au séminaire d’Issy-les-Moulineaux. Il réalisera une vocation d’éducateur, luttant contre une forme d’instabilité naturelle et consacrant sa vie aux plus déshérités, aux plus délaissés. « Si l’on demandait pourquoi ils vont et viennent, à quoi ils pensent, combien y en aurait-il qui pourraient répondre qu’ils pensent à leur âme ? Presque tous vivent comme s’ils n’en avaient pas ».
Notre contemporain, en somme.
Il sera le premier prêtre de la Confrérie de Saint Vincent de Paul, jusqu’alors constituée de laïcs, et l’aumônier du patronage Sainte Anne, sur l’emprise duquel est construite l’église Saint Jean Bosco, à l’angle de la rue Planchat et de la rue Alexandre Dumas. Près de 500 jeunes gens et apprentis y sont alors formés. Il semble qu’un seul livre, paru en 1961 sous le titre Le père Planchat, apôtre des faubourgs, retrace la vie de cet homme d’exception, sous la plume de Victor Dugast ; on le trouve sur internet… Ce destin mériterait une actualisation.
En 1897 s’est ouvert à Paris un procès en béatification et de déclaration de martyre. Introduite à Rome en 1964, cette cause a reçu le vote unanime de la Congrégation de la Cause des Saints le 22 octobre 2020. L’Église travaille dans le temps long, loin des passions. Son martyre, sous les coups et les appels au meurtre d’une petite foule haineuse, est l’illustration terrible et glorieuse d’une vie offerte. La tuerie durera une demi-heure, fusillade qui fera tomber auprès du père Planchat huit ecclésiastiques et une quarantaine de laïcs, aux cris de « à bas la calotte, à bas les cognes ». Les otages marchaient calmement au supplice. « “Vive la Commune, à mort, à mort”. Un brigadier d’artillerie d’une force extraordinaire assénait à chaque condamné un vigoureux coup de poing » (ouvrage cité).
À la fin, rue Haxo, il y eut un moment d’hésitation, le noble comportement des victimes en imposant aux bourreaux. Une jeune fille de 19 ans, cantinière au 174e bataillon des Fédérés, s’écria alors « Ils n’en finiront pas, ces fainéants-là ! Tas de lâches, vous n’allez pas commencer ? » La fusillade éclate, les cadavres s’entassent, on fait feu de toutes parts. « Juchées sur les murs, des femmes applaudissaient les assassins et outrageaient les victimes… On les tirait comme des lapins ». Il faut lire ce récit hallucinant. L’abbé Planchat est un des derniers à tomber. Couché par plusieurs balles, il lève les mains : « Laissez-moi prier ». Une femme habillée en cantinière tire un coup de revolver contre l’abbé, le coup de grâce. Vive la Commune ! La tombe de l’abbé Mathieu Henri Planchat est dans le sanctuaire Notre-Dame-de-La-Salette, dans le XVe arrondissement de Paris.