Civilisation
De nouveaux types de dictature qui attestent le retour de la prévalence de la Realpolitik
Le caractère révolu des dictatures fascistes et communistes.
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L’une des grandes victoires du relativisme, c’est d’avoir bien ancré dans l’esprit de l’opinion publique qu’il n’y a pas de vérité absolue, ni même de vérités absolues, même et surtout celles qui paraissaient le mieux établies. Il suffit de prononcer les mots “mariage” et “nature” pour s’en convaincre.
L’une des grandes victoire des relativistes, c’est d’avoir bien ancré dans l’esprit de l’opinion publique que ceux qui contestent leurs vérités relatives sont absolument dans l’erreur. Prenons le cas de l’écrivain humoristique, anglais et antisémite Roald Dahl. Ses éditeurs anglais, suivis par ses héritiers, ont décidé de réécrire ses textes pour enfants pour leur ôter, en partie du moins, le venin haineux qui les irriguaient – et les vivifiaient, soit dit en passant. Outre-Manche, la chose fait du bruit – mais l’affaire est réglée.
Pour citer le plus absurde et le plus significatif des changements, dans Matilda, la phrase « Elle a navigué sur de vieux voiliers avec Joseph Conrad. Elle est allée en Afrique avec Ernest Hemingway et en Inde avec Rudyard Kipling. » est devenue « Elle a visité des propriétés du XIXe siècle avec Jane Austen. Elle est allée en Afrique avec Ernest Hemingway et en Californie avec John Steinbeck. » Les conseillers en inclusivité se feraient plutôt arracher la langue que de convenir que la réécriture à laquelle ils ont présidé est pleine de faux bons sentiments et de belle idéologie rancie. Le mot “haine” lui-même, dégainé en permanence, sert désormais à qualifier et donc disqualifier toute opinion contraire irrémédiablement rejetée du côté des pleurs et des grincements de dents.
Rien de très neuf, me direz-vous, mais quand même, l’annulation de Kipling au profit de Steinbeck me laisse rêveur… Cela dit, l’exemple vient de haut. Quand Biden déclare, le 7 février, dans son discours sur l’état de l’Union, « Nous devons être […] une nation qui privilégie la lumière sur l’obscurité, l’espoir sur la peur, l’unité sur la division. La stabilité sur le chaos. […] Nous sommes un bon peuple, la seule nation au monde construite sur une idée. Nous tous, chacun d’entre nous, sommes créés égaux à l’image de Dieu. Une nation qui est un phare pour le monde », il n’est pas absolument certain que l’Irak, les pays non alignés, et tous ceux qui ont eu à souffrir du “nation building” et autres chimères brandies pour justifier le brutal impérialisme américain et ses coups d’État profitables, tiennent les États-Unis pour un phare signalant un havre de paix. De même que lorsque Poutine déclare, le 21 février, dans son discours sur l’état de la nation, que les Occidentaux imposent à leur population « la négation de la famille, de l’identité culturelle et nationale, la perversion, l’abus d’enfants, et jusqu’à la pédophilie – tout cela est désormais institué comme une nouvelle norme, une norme de vie », on peut dire qu’il ment, comme lorsqu’il expose sa vision très irénique du pacte germano-soviétique (« L’histoire nous apprend qu’en 1940 et au début de 1941, l’Union soviétique a tenté d’empêcher ou, du moins, de retarder le déclenchement de la guerre », discours du 24 février). C’est ainsi, Biden considère que des millions de morts innocents ont cimenté le phare américain, et doivent s’estimer bien heureux d’avoir collaboré au grand œuvre, et Poutine réhabilite Staline (et ses œuvres), vierge de toute perversion, comme chacun sait.
Et que dire du pape François ? On n’a jamais vu quelqu’un si attaché aux années 70, au point d’en refuser tout examen critique, fustiger si fortement ceux qui sont eux-mêmes attachés, après examen critique, à une vision de l’histoire de l’Église plus large et plus ample, et non pas resserrée sur les soixante dernières années, ni un démocrate si entiché de démocratie, rebaptisée synodalité, être à ce point autoritaire et dire « L’une des choses les plus laides dans l’Église est l’autoritarisme, qui est alors un miroir de la société blessée par la mondanité et la corruption » (2 février, rencontre avec les jésuites en RDC) en même temps qu’il retire aux évêques la liberté liturgique dont ils avaient toujours joui précisément parce que certains évêques n’appliquent pas Traditionis Custodes comme le pape veut qu’il soit appliqué – autrement dit parce que certains évêques ont correctement appliqué Traditionis Custodes. Mais voilà, François a sa vérité, comme Poutine, comme Biden, comme l’éditeur de Roald Dahl, et il ne souffre pas plus qu’eux qu’on en doute, qu’on en discute, qu’on fasse valoir que les “narratifs” ne sont rien d’autre qu’une manière habile de présenter les choses pour justifier les décisions, ce qui est sûrement légitime quand Darmanin nous parle de ses succès (on salue le talent en n’en pensant pas moins). Mais plus du tout quand il s’agit de déclencher un schisme ou de plonger le monde dans la guerre. Là, il apparaît que la vérité doit être cherchée, à tout prix ; et que ne ce ne sont pas les relativistes qui la détiennent.