La réforme constitutionnelle est à l’ordre du jour. Au moins dans les projets, tout étant en suspens en raison de la crise sanitaire. Chaque président, soi-disant dans une intention toujours républicaine et jamais personnelle, prétend apporter une touche à l’édifice politique de la France. C’est une particularité bien française chez les peuples historiquement constitués ! L’homme au pouvoir se croit obligé de remanier la constitution à son idée pour une satisfaction supposée plus grande des électeurs et dans le souci, bien sûr, d’améliorer la vie civique qui, dans la théorie officielle, ne peut d’elle-même que tendre sans cesse davantage vers l’idéal de la perfection démocratique.
L’attention publique s’arrête généralement aux aspects techniques qui ne laissent pas, pourtant, dans le cadre actuel, que d’être nécessairement limités et parcellaires, jouant sur tel ou tel article, ou tel ou tel alinéa, donc, dans tous les cas, juridiquement dérisoires : telles les farces sarkoziennes du référendum d’initiative populaire impossible à réaliser ou l’intervention du président devant le congrès réuni, parfaitement inutile et dispendieuse, mais copiée servilement et inintelligemment des États-Unis.
En réalité, ces petits jouets de politiciens sont politiquement ridicules, malgré le sérieux un tantinet grotesque des constitutionnalistes.
Peuple ni gouverné, ni représenté
Au-delà des apparences politiciennes, il faut aussi déceler dans ces velléités réformatrices un besoin plus urgent de répondre à l’inquiétude d’un peuple qui ne se sent plus ni gouverné ni même représenté. Pire encore : mal aimé, méprisé, caricaturé dans sa volonté d’être lui-même, objet seulement d’une spéculation électorale éhontée dont la motivation et les résultats paraissent d’élections en élections de plus en plus dénués de légitimité.
Au point même – et c’est ce qui fait peur aux puissances établies – que pour des esprits indépendants qui ne se soucient pas de conformisme, se pose inéluctablement la question de l’utilité d’une telle représentation, plus gravement de la justification rationnelle et morale d’un tel mode de gouvernement et, d’une manière plus générale, de l’intérêt pour la France du fonctionnement même d’un tel régime. Est-il fait, comme il le prétend, pour le peuple au nom duquel ses pouvoirs, ses autorités et ses différentes instances parlent et décident ? Concrètement pour la France ? Pour les intérêts de la nation qui s’appelle spécifiquement France ? Ou œuvre-t-il dans des vues autres, comme il apparaît de plus en plus nettement ? N’est-il pas manifeste que la préoccupation majeure du régime est, d’abord, de se maintenir lui-même, tout en confortant l’idéologie progressiste au pouvoir, celle qui le sous-tend dans ses visées, en y plaçant ses sectateurs qui sont chargés d’en imposer les normes aux citoyens par tous les moyens de la puissance publique, en premier la loi et l’administration, formidables instruments de domination, la haute fonction publique étant par devoir et par formation acquise à la conception politique dominante ?
Dans toutes les crises politiques qui secouent la France régulièrement, il ne s’agit jamais que de sauver, non pas la France, mais la République ! Et comment ? En la réinstallant, en l’affermissant, pour la faire toujours plus républicaine, même quand elle devient par nécessité autocratique, sous ses oripeaux démocratiques. Le gaullo-bonapartisme s’inscrit dans cette perspective. La République a de surcroît cet avantage en pareil cas d’être définie par ceux-là même qui en tiennent les ficelles, sinon le gouvernail, et qui sont en possession du pouvoir effectif qu’elle représente. C’est une constance de l’histoire républicaine. Sarkozy, Hollande étaient bien, eux aussi, missionnés pour sauver une partie politique qui pouvait être perdue, surtout après le référendum de 2005 sur la constitution européenne dont le résultat fut ainsi contourné. Mais, tout aussi bien, ce fut le cas de Chirac et celui de Mitterrand. De Gaulle lui-même pour tout observateur perspicace fut dans le désastre républicain, à deux reprises, le sauveur de la République, quitte à donner à la Ve République sa tournure monarchique dont ses successeurs, malgré leurs réticences de principe, se sont fort bien accommodés.
C’est encore plus vrai de nos jours où toute la direction politique est concentrée dans les mains d’Emmanuel Macron entouré de sa bande d’affidés – tous de mêmes comportements sociaux et sociétaux, tous de même modèle idéologique, sûrs d’eux et dont le cynisme faraud se conforte de cette conviction, invincible chez eux, de la supériorité qu’ils pensent transcendante et incontestable, de l’intelligence de leur conception. D’où leur ton condescendant. Eux, savent ; et la supériorité de leur savoir justifie la domination de leur pouvoir. Du moins en sont-ils persuadés.
Cette persuasion leur donne leur mission, eux à leur tour, après les de Gaulle, les Mitterrand, célébrés, comme il convient, successivement. Mission confirmée par l’élection de Macron, elle-même présentée comme une rupture refondatrice de la République et sans cesse relégitimée à la manière gaullienne ou mitterrandienne. Ils sont, donc, là pour configurer enfin la France et les Français, qualifiés de réfractaires et, dernièrement, de lamentables petits procureurs, sur la modernité progressiste selon de nouveaux critères politiques, juridiques, philosophiques ou prétendument métaphysiques et moraux ; car ces immoralistes se croient des gens moraux, tels les Duhamel et tous les stipendiés de la République avides de pouvoir et d’honneur. Leur but ? Amener par leur pédagogie la France à des conceptions plus larges, plus ouvertes sur le monde – enfin, ce qu’ils appellent des ouvertures ! – loin des étroitesses nationalistes, délibérément transnationales et supranationales, qualifiées d’humanistes selon un manichéisme caractéristique de la conception binaire macronienne, et qui constituent le fonds commun de la pensée dominante, celle qui tient tous les leviers de pouvoir et tous les moyens d’influence par la pression médiatique et la décision financière.
Une ambition démesurée
Changer la France en changeant les Français, s’il le faut, malgré eux ; changer le monde en changeant les rapports du monde ; mettre la gouvernance mondiale dans l’équilibre d’une bonne direction par une prise de conscience des défis de la modernité ! Tel est le rêve macronien, ouvertement déclaré tout au long de ses grands discours, tels celui de la Sorbonne en 2017 et celui de Davos en 2018 avec, en perspective, la souveraineté européenne et la gouvernance mondiale.
En l’écoutant tenir de pareils propos, il est facile de comprendre que, pour lui, l’élection à la présidence française ne fut qu’un moyen de se confectionner une carte de visite sur laquelle afficher ses titres, et d’abord celui qu’il a prioritairement revendiqué, de vainqueur du populisme. Ce qui doit dans son esprit lui ouvrir toutes les portes des instances internationales et doter sa parole d’une force de conviction et d’adhésion invincible à l’échelle universelle. Or, il le pense, le monde en a besoin. Il n’y a pas à s’étonner, dès lors, que dans la nuit du 6 au 7 janvier, après les incidents du Capitole à Washington, à deux heures du matin, il s’est cru autorisé, comme investi d’une mission supérieure, de prendre la parole officiellement comme chef d’état, le drapeau américain derrière lui aux côtés des drapeaux français et européen, afin de dénoncer l’acte inqualifiable qui souillait la démocratie américaine. De quel droit, dira-t-on. Eh bien, du droit qui lui vient de ce qu’il est : sauveur de la France, sauveur de la République, qu’il tire des bras de l’hydre immonde, sauveur de l’Europe qu’il ressuscite par son verbe et son geste, sauveur de l’Amérique ravagée par le satan populiste, sauveur du monde enfin, pauvre humanité qui devrait s’en remettre à lui pour tant de sagesse et d’héroïques vertus. Les gens sensés diront qu’il est fou. Mais, cette folie, il la revendique hautement ; comme il l’a toujours fait sans scrupule. Il peut tout, il transgresse et il jouit de transgresser, dût-il choquer. Depuis son adolescence. Ce qui lui permet sans doute de parler avec autorité aux mineurs abusés ! Celui qui se prend pour Jupiter, devrait pourtant se rappeler la maxime bien connue : quem vult perdere, Jupiter dementat.
À ce compte-là, en dépit de ce que racontent les sondages, un écart se creuse entre le pays et l’homme qui prétend le diriger dans de telles conditions et avec de telles idées. Les Gilets jaunes sont passés ; la vie est confinée ; mais un malaise profond demeure. Les soulèvements sociaux accompagneront de plus en plus la crise économique et financière. Des questionnements se font jour dans la société et qui ne s’inscrivent pas nécessairement dans les revendications gauchardes malgré les tentatives de récupération. D’autant plus que la gestion de la crise sanitaire n’a montré que trop les incapacités, pire les incompétences de ces idéologues au pouvoir qui ne pensent qu’à encaserner et à enfermer les Français en les infantilisant. Que sera demain ? L’angoisse est là. Terrible.
Alors Macron se fait volubile : il parle à tort et à travers. Il passe son temps à expliquer ; il fait toute une pseudo-sociologie de la situation actuelle en se fondant sur des autorités qui se disent scientifiques et qui relèvent toutes de ce magistère intellectuel de la gauche la plus gauchardement stupide. Il parle de réinsuffler la démocratie dans le corps social français. Il invente à cet effet des commissions citoyennes pour doubler les assemblées représentatives et dont les membres, tirés au sort et non élus, sont, dans le cadre d’un volontariat, dûment instruits par des intervenants appropriés de ce qu’ils doivent penser. La première s’occupe d’écologie, la seconde des mesures sanitaires. C’est ajouter le désordre au désordre ! Dans le même temps il utilise toutes les ressources de la constitution, le 49-3, les ordonnances, l’état d’urgence sanitaire, l’état d’urgence sécuritaire, qui remplacent l’article 16, le contrôle gouvernemental sur l’ordre du jour des assemblées, le recours au vote bloqué, l’encadrement de la procédure budgétaire ; et il en rajoute en se constituant à côté des ministères et de l’Administration, à son propre gré, des Conseils dits de Défense, des Conseils scientifiques, un nombre extravagant d’autorités que lui seul homologue et qui le dispensent d’avoir recours aux voies ordinaires. Il s’imagine tout tenir en ses mains, et concrètement tout lui échappe. Car comment faire ? La vérité est qu’il veut commander, mais qu’il ne sait pas commander. Partout où il passe, il crée la confusion. Ainsi, de son projet de référendum pour inscrire l’écologie dans la constitution en donnant l’illusion d’un appel à la démocratie directe qu’en réalité il redoute. Les gens avertis n’y voient qu’un coup calculé qui met ses adversaires dans l’embarras et qui pourra lui servir de tremplin pour la présidentielle. À quoi joue-t-il ?
Une constitution à son gré
Ainsi encore a-t-il transformé l’instrument constitutionnel en une arme à son seul service et fait de la France le marchepied de son ambition personnelle aux dimensions européennes et planétaires. Le régalien qui relève de lui, ne l’intéresse que dans cette vue qui en est la contradiction essentielle. La représentation dite nationale n’a plus de représentativité, c’est une machine qu’il dirige et qui ne possède plus aucune indépendance, ni aucune autorité propre. Le contrôle parlementaire n’existe plus. Les députés et les commissions sont aux ordres. Le Premier ministre est, plus encore que sous Sarkozy, un sous-ordre à sa disposition. L’appareil d’état souffre de cette autocratie en forme de monocratie qui dissout toute responsabilité. À tous les échelons. Les partis éclatent et le parti dit majoritaire n’est plus qu’un parti personnel, comme le disent les plus avisés des politologues, ce qui a, de toute façon, été toujours le cas dans la Ve République, mais aujourd’hui plus que jamais. D’autant plus que Macron a coupé le lien réel des députés avec leurs circonscriptions, sous prétexte d’éliminer le cumul et la pérennité des mandats, ce qui avait l’avantage malgré tout d’enraciner la représentation dans les territoires.
La France est devenue un désert politique. Comme un désert social et un désert sanitaire ! Alors, en une dernière illusion, Macron a pensé à réintroduire une dose de proportionnelle dans les élections législatives pour les différencier quelque peu de l’élection présidentielle dont elles ne sont plus que la suite et la conséquence. Richard Ferrand est chargé du projet. L’ineffable Bayrou en fait son affaire personnelle pour forcer la main du président devenu réticent, jusqu’à vouloir un référendum. Il est à prévoir, si le projet voit le jour, que, comme tout le reste, il ne servira qu’à éparpiller davantage la représentation, lui enlevant définitivement toute cohésion, la dose de proportionnelle n’étant pas suffisante pour faire émerger l’opposition.
Le prétendu sauveur Macron n’aura concrètement rien sauvé. La France sûrement pas ; elle va vers des jours sombres. La République non plus, en dépit qu’il en ait. Son caractère monarchique qui aux yeux des meilleurs spécialistes lui donnait sa consistance, se meut en autocratisme irresponsable et inquiétant. Le droit constitutionnel français dont la pratique avait corrigé l’absurdité des principes, est maintenant saccagé. La souveraineté française est bradée au profit d’une souveraineté européenne qui n’est qu’un leurre ; le peuple français en paie et en paiera de plus en plus le prix. La judiciarisation de la vie politique ne fera qu’aggraver le problème institutionnel. Le mandat de Macron aura fini d’épuiser la crédibilité démocratique de la Ve République. Les Français le sentent confusément.
Comme Macron ne croit pas à l’avenir de la France, au fond peu lui chaut. Sa préoccupation est de rebondir personnellement pour assouvir son ambition narcissique. À presque un an de l’élection présidentielle, il ramène tout à cette unique vision.
Mais a-t-il une légitimité pour revendiquer le pouvoir ? Quels services rendus ? Peut-il régner sur des débris en rêvant d’un ailleurs plus grandiose, plus sublime ? Avec cet homme, le pire est à craindre. Il faudrait que les Français retrouvent le sens d’une légitimité nationale qui soit naturelle à leur histoire. C’est la seule et vraie leçon à tirer de pareille expérience.
πηοτο αναλψσε : Ολιϖιερ Δυηαμελ. Ιλ α ευ δροιτ à τουσ λεσ ηοννευρσ ετ τουτεσ λεσ πρéβενδεσ δε λα Ρéπυβλιθυε.