Monde
« Nos dirigeants actuels invoquent souvent la révolution »
Un entretien avec Ludovic Greiling. Propos recueillis par courriel par Philippe Mesnard
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
L’enquête du Cevipof, qui en est à sa treizième vague, le fameux Baromètre de la confiance politique, vient de le démontrer une fois de plus : les Français n’en peuvent plus.
Ce qui « caractérise le mieux leur état d’esprit », selon eux, c’est la méfiance, à 40 %, et la lassitude, à 37 %, en hausse de 14 points. Confiance et sérénité, qui n’étaient déjà pas bien haut, plongent. Il va sans dire qu’il n’y a pas même 50 % d’entre eux pour avoir confiance dans le gouvernement, le président ou l’Assemblée nationale et que la démocratie ne leut paraît pas si bien fonctionner que ça. Ils demandent deux choses, en apparence paradoxales : plus d’autorité et plus de pouvoir. Plus de pouvoir, via les outils de la démocratie directe, pour que leurs opinions soient prises en compte, plus de pouvoir pour que celui à qui ils ont confié l’exécution de leurs volontés ne soit pas empêché par les institutions ou les partis et surtout leurs “représentants”. Nul doute que Macron se sentira conforté dans ses manières de caporal et que les seconds ne comprendront pas le message, même celui, limpide, qui dit que pour 79 % des Français « quelles que soient les lois que l’on vote, les problèmes de la vie quotidienne ne sont pas réglés ». Il est remarquable que malgré le matraquage politique et médiatique les Français persistent à réclamer une France tout en constatant qu’elle s’efface. Une France, pas une République. Ils sont encore démocrates parce qu’ils croient que si le jeu était plus équilibré (reconnaissance du vote blanc, référendum…), ils pourraient enfin faire valoir leurs droits.
Bien sûr, l’enquête, menée en janvier 2022, est pleine de contradictions. Le rejet des politiques est massif, on sent se fissurer le politiquement correct prudent qui “oblige” ceux qui répondent à se conformer aux opinions de bon aloi (biais bien connu), mais les Français considèrent à 47 %, en hausse de dix points, que le gouvernement a bien géré la crise sanitaire… Et pourtant, pour quels résultats ? Vaccinés jusqu’à saturation, enfermés chez eux par le confinement ou le télétravail obligatoire et empêchés de boire des cafés debout ! mais contaminés quand même, voire malades, les Français sont désormais assujettis au passe vaccinal, qui contrevient à tous les principes constitutionnels et qu’on impose alors même que partout dans le monde les scientifiques et les gouvernants tâchent de sortir de la crise en ne considérant plus le Covid que comme un virus normal, la pandémie comme une épidémie classique, le passe comme un outil dépassé. Mais Macron et ses troupes ne rêvent que de contraintes. Qu’importe les décisions contraires prises par des pays qu’on citait en exemple, les déclarations de médecins reconnus, les statistiques comparant les mesures publiques et les résultats : l’essentiel est de maintenir en place, et jusqu’aux élections, la fiction d’un combat mené sans répit contre le virus maximus et contre tous ceux qui ne comprennent pas que tout doit être sacrifié sur l’autel de la perfection de l’administration du pays. L’empirisme n’organise rien, au contraire, on méprise l’expérience.
Tout en abreuvant les Français d’injonctions contradictoires et en les soumettant au spectacle de politiques évidemment absurdes. On veut les obliger à rouler électrique, avec des voitures chères à l’achat et à l’usage au moment même où l’énergie est en crise et où les fabricants français et européens ne sont pas capables de faire muter brusquement leurs outils de production, pas plus que les gouvernements ne sont capables de financer toutes les infrastructures – sinon en allant piocher dans la poche des contribuables ce qu’ils leur auront donné par ailleurs sous formes de petits chèques compensatoires… On veut que les Français achètent pour soutenir l’économie mais on veut qu’ils consomment moins pour être “responsables” ! Comme le souligne l’anthropologue Fanny Larise, « le parti pris de départ de la consommation responsable est en effet de considérer que la consommation au sein d’un modèle capitaliste permettra de sauver notre quotidien et d’avoir une relation pacifiée entre l’homme et la nature, sans renoncer à nos modes de vie. » Mais toutes ces injonctions n’aboutissent qu’à favoriser ceux qui ont déjà les moyens de vivre dans la double volupté du confort matériel et moral. Le pays légal aménage la société au profit des riches, et ce sont les pauvres qui en feront les frais, obligés d’abandonner voitures et maisons individuelles. 74 % des Français considèrent que « les responsables politiques, en général, se préoccupent peu ou pas du tout de ce que pensent les gens comme eux », les gens de peu. Macron prétend ne penser qu’à eux. Ils préfèreraient qu’il y pense autrement.