À Chivy-lès-Étouvelles, 488 habitants, le maire Jean-Marie Rabouille se demande pourquoi les sénateurs ont voté une loi pour que les listes des élections municipales dans les petites communes aient une parité parfaite. « Ils ont déjà été maires, les sénateurs ? Ils se rendent compte de la situation ? » Le Sénat, qui prétend être la chambre des communes…
Fabrice Dallongeville, consultant, maire macroniste d’Auger-Saint-Vincent et président départemental de l’association des maires ruraux de France dans l’Oise, lui, est heureux : « Le principe de liste oblige les candidats à travailler sur un projet, et pas simplement la gestion des affaires courantes “en bon père de famille” comme on entend souvent, une expression qui me met hors de moi. » Eh oui, le projeeeeet contre l’esprit de famille, c’est bien normal, il faut dupliquer à petite échelle les grandioses recettes nationales.
Pendant ce temps, à Istamboul, le maire Ekrem Imamoglu s’est fait débarquer et même incarcérer, pour « corruption », un mot excessivement à la mode chez tous les juges vertueux qui savent filtrer le moustique de l’opposition et laisser passer le chameau du gouvernement. Corruption est plus rapide qu’illibéralisme et en Turquie comme en Roumanie, dans tous les pays orientaux et post-soviétiques, et d’autres encore, le fait d’accélérer les choses est bien normal. Là, on accélère la démocratie en supprimant un futur candidat. L’incarcération du maire d’Istanbul et de ses fidèles « constituent des atteintes graves à la démocratie », selon le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, qui trouve ça d’autant plus navrant que la Turquie est membre du Conseil de l’Europe et candidate à l’adhésion à l’Union européenne, ce qui normalement l’attache aux gens bien, au cercle de la raison, aux Sages-qui-Savent, nonobstant ses rapports ambigus avec la Russie, ses menaces de submersion migratoire sur l’Europe, ses génocides à répétition – qui pèsent il est vrai assez peu par rapport à l’horrible crime des candidats roumains qui n’ont rien fait mais qui ont laissé les électeurs se faire influencer (on ne doit jamais influencer les électeurs, comme nous le rappelle souvent Macron, ça les empêche de voter pour le parti au pouvoir).
En France, le peuple a le droit de s’exprimer mais les sages s’en moquent
Ce n’est pas à Paris qu’on est corrompu : on est aussi démocrate que Barrot peut le souhaiter puisqu’on invente de nouvelles formes de démocratie, des votations citoyennes à la Macron, en permettant à 2,66 % du corps électoral de Paris de décider du sort de tous les autres (sans parler de ceux qui traversent Paris, qui ne furent pas consultés : inclusive mais pas trop, la maire) en végétalisant (avec des arbres « amortisseurs de nuisance et abaisseurs de chaleur », comme dit le maire vert de Bordeaux, qui parle très bien projet à défaut de parler français) et piétonnisant 500 rues. Paris est un peu turque sur ce coup-ci, Hidalgo un peu erdoganique, mais enfin, la vraie démocratie a un prix et il ne s’agit pas que quelques maires de quartier mettent en avant les coûts et les échecs des forêts urbaines (c’est comme la démocratie turque ou la balance morale de Barrot : une alliance factice et improbable de concepts trop généraux, de projets mal ficelés et d’autoritarisme sectaire), pas plus que le maire d’Istamboul ne doit remettre en cause le Sage Européen Erdogan, ni le maire de Chivy-lès-Étouvelles les vertus du mode projet qui a abouti à tant de médiathèques vides et de piscines ruineuses.
Que leur reste-t-il, à nos maires, sans ressources et sans poids ? La démocratie. Ils y croient. À Neufchâtel-en-Bray, ils ont manifesté contre l’implantation d’éoliennes qui contredit toutes les décisions des conseils municipaux, superbement ignorées par les échelons administratifs supérieurs et la préfecture, qui laissent une entreprise privée poursuivre ses études ubuesques (avec un mat de 100 mètres de haut pour simuler une éolienne de 160 mètres…) puisque les décisions des conseils municipaux ne valent rien. C’est ainsi, en France, le peuple a le droit de s’exprimer mais les sages s’en moquent. Ils savent. Pour les éoliennes comme pour l’euthanasie, pour la Turquie comme pour la Roumanie, pour la guerre comme pour la paix. Les maires du pays de Bray se sont réunis au pied du mat. Bientôt les éoliennes défigureront les vallons et les maires pleureront leur pays saccagé par les sages.