Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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La République est un complot permanent qui est devenu un état de droit.
Le président parle. Le ciel se découvre. L’horizon, auparavant bouché, devient perceptible. La route qu’il décrit, et qu’il est le seul avec ses experts à avoir repérée, déroule maintenant son ruban salutaire qu’il a dûment jalonné en étapes successives. Les évaluations de direction s’y feront au fur et à mesure selon les critères qu’il aura établis. Avec la prudence requise dont il est encore le seul juge, il délivre, ou non, ou pas encore, selon les cas, les permis de circuler, de s’assembler, d’ouvrir boutique, de tenir commerce, de pratiquer culte et culture selon des jauges qu’il est, là aussi, seul apte à définir, et non les personnes concernées, quitte à tromper et épuiser la patience épiscopale pourtant exemplaire et l’expérience incontestable de toutes les professions. Le mot « jauge » est devenu un mot-clef de la gouvernance en mode covid ! Interdit de rire ou de s’indigner : c’est dans « la jauge » que réside le mystère de l’esprit macronien. Comment ne pas s’incliner devant « la jauge » ?
Bref, sa haute fonction l’investit d’une haute sagesse. Cette persuasion le possède depuis le début de son mandat ; dorénavant, elle s’allie comme naturellement à l’humilité qu’il avoue de manière récurrente et de plus en plus fréquente avec une franchise déconcertante. « Sachons rester humbles », a-t-il encore répété ; et ses ministres après lui reprennent la même antienne en un chœur triomphant de modestie générale, sauf, peut-être, le petit Darmanin qui dans sa fébrilité à se pousser en avant aurait du mal à faire accroire quelque farouche volonté d’effacement. Au risque de justifier le célèbre apophtegme de La Bruyère : « La fausse modestie est le dernier raffinement de la vanité ».
Tant de grâce enrobant un dévouement si entier ne devrait attirer en retour que reconnaissance ; c’est ce que le président essaye de suggérer. Il ne veut pas le malheur des gens ! Devrait-il s’échiner à l’expliquer ? Il se situe constamment au sommet de sa mission. Sa parole est morale autant que savante. Il n’écoute que la science, a-t-il affirmé avec simplicité le mardi 24 novembre. La science ! Qui pourrait la contester ? Donc son discours est vrai. Et comme il sait ce qu’exige le bien dont il a la claire vision, il édicte héroïquement avec cette sérénité bienveillante qui le caractérise, les règles auxquelles tout citoyen doit obéir, quoi qu’il en coûte, comme il l’a signifié pour les finances publiques, face à ces cruautés de l’heure que chacun est invité à supporter stoïquement, fût-ce jusqu’à l’angoisse de la mort ; et comme un père spirituel qui s’émeut des difficultés dans lesquelles se débattent tant d’infortunés dirigés, victimes de leurs habitudinaires impulsions, il exhorte avec une douce fermeté à suivre tant de pertinentes recommandations. Pensez donc : ils veulent vivre de leur travail ! Et non pas suspendre leur espoir à des subventions qui dépendent de l’État et dont nul, pourtant, ne saurait douter. Le chef de l’État et son Premier ministre si exact au point de paraître vétilleux dans ses longues énumérations d’annonces aussi détaillées que précises, ne peuvent qu’être offusqués d’une telle insolence. Quand c’est non, c’est non, crénom de nom !
Le discours de Macron a la déconcertante ingénuité de l’homme qui n’a rien à se reprocher. Non, rien, sauf la sincérité, peut-être maladroite, de décisions prises dans cette urgence du moment qui donne raison d’apparentes incohérences et d’insurmontables insuffisances dont les défaillances seront incessamment corrigées. Il l’a promis. L’avenir ne peut que lui donner raison.
Son courage de chef se conforte de l’assurance que nourrit l’évidente conscience de l’intelligente vertu de sa politique.
Il faut bien comprendre qu’il est dans son rôle historique, celui d’un Gambetta, d’un Clemenceau, d’un De Gaulle. Il s’identifie à chaque instant à ces figures belliqueuses. Il suffit de le voir et de l’entendre dans les cérémonies officielles et dans les commémorations. Il sait qu’il est écouté ; il délivre un message. Sa hardiesse de pensée et de parole brise tous les obstacles. Un spicilège de ses propos suffit à l’établir parmi les sages de l’humanité. Tout homme a à apprendre de telles lumières, comme il l’a montré lors de son entretien sur la chaîne d’Al Jazeera.
La lutte dans son esprit ne se réduit pas au simple Hexagone – selon son expression favorite pour désigner la France et qui ne traduit que trop bien son estime du pays qui l’a vu naître. L’Hexagone ! Depuis toujours, il a compris que les enjeux sont d’une autre dimension, européenne d’abord, mondiale ensuite. C’est à ce niveau que « ça » se joue et donc qu’il joue. Il l’avait prophétisé à Davos en 2018. Il faut sortir des conceptions habituelles pour atteindre la hauteur de ses vues. Les gens ordinaires ne peuvent y accéder ; seules ses différentes gardes rapprochées, les jeunes équipes qui l’ont fait élire, appréhendent – et encore ! – la portée de sa réflexion et de son action.
Tout aurait dû lui réussir. Dans son sillage, tous ceux qui aiment gagner s’engageaient pour la victoire : le progressisme allait définitivement l’emporter sur toutes les vieilles habitudes des conservatismes éculés et des populismes aussi simplets que définitivement dépassés.
Hélas, l’adversité s’est mise en travers de ce beau projet, « notre projet ». Qu’importe, il fait face. Après les incompréhensions des Gaulois réfractaires qui ont miné les deux premières années de son quinquennat, voici que survient la surprise de la pandémie. Cette agression était imprévue. Il déclare la guerre au mois de mars. Une guerre totale. Depuis, il offre au public l’image d’un chef dont l’attitude martiale est le signe d’une victoire certaine.
Il a maintenu la nation en haleine. L’affaire était loin d’être gagnée. À plusieurs reprises, à en croire ses experts qui tenaient la comptabilité quotidienne des lits, des malades, des morts, les lignes de défense ont failli être rompues. Hier encore, après une fausse accalmie, fin octobre, la voie était de nouveau bouchée, les perspectives incertaines, l’avenir inquiétant. N’avait-il pas annoncé, lui-même, le mercredi 28 octobre, avec toute la gravité qui convient, 400 000 morts en France si sa stratégie était mise en défaut ? 400 000 morts ! Il fallut que des spécialistes expliquassent pareil décompte. La panique se répercuta sur toute l’échelle administrative. Crainte salutaire !
Grâce à lui, maintenant, la France peut respirer. Un peu. Mais la condition expresse est de ne pas relâcher l’effort de vigilance dont il est le garant et dont Castex est le préposé. Le deuxième confinement ne sera pas tenu à la même rigueur si l’attention des citoyens ne faiblit pas. Obéir, toujours obéir, avoir constamment sur soi ses attestations, son masque, son gel hydro-alcoolique, même aux toilettes, c’est le prix de la réussite. Tant de sagesse a déjà payé. Le pays peut repartir sur les indications strictes qui ne lui sont pas ménagées, tout en respectant les règles qui lui sont fixées et les fameux gestes barrière qui font partie de la nouvelle civilité.
Le gouvernement, de manière apodictique, peut établir les feuilles de route – c’est le grand mot à la mode – des ministères, des administrations, des collectivités, des établissements publics, des hôpitaux, des écoles, des entreprises où il prescrit le télétravail obligatoire, des familles, des particuliers. Chacun a ses cases à remplir. La restauration devra attendre, l’université aussi. Macron a fixé à la France son cap, mais aussi bien a-t-il déterminé le parcours de chaque citoyen. Chacun repart avec sa propre permission, en forme de mission, toutefois bien cadrée et toujours limitative. C’est une liberté octroyée. Pas dans le sens où Louis XVIII octroyait la charte qui était la reconnaissance des libertés fondamentales des Français qu’un régime autocratique précédent avait terriblement restreintes.
Non, aujourd’hui, c’est ce qui reste après que la puissance publique a tout préempté. Par nécessité d’État, explique le chef de l’État, par impératif sanitaire, par obligation administrative, par devoir de prévoyance, par souci du bien commun. Il faut le croire. Le scepticisme n’est pas permis. Des repas de famille, de l’enfermement de papi et de mamie à la cuisine, par précaution attentionnée, à la vaccination de toute la population, tout relève de l’État qui paye et paiera toutes les aides possibles et imaginables à toutes les catégories sociales. Qui n’aurait pas confiance ? Les citoyens ne vivront que par lui, en lui, pour lui, l’Absolu de demain, à qui soient rendues toutes grâces.
Le retour à la vie normale n’existera plus jamais. C’est ce qui se dessine. La vérité : c’est le pire du pire de la technocratie sous la conduite d’un libéral patenté qui imposera bientôt l’avortement à neuf mois. Parfaite démonstration de la logique institutionnelle que la France subit et achèvement de l’esprit républicain dans son totalitarisme originel. À l’occasion de la crise sanitaire, sociale, économique, bientôt politique, l’État, entre les mains de la macronie, a pris le pouvoir, tout le pouvoir, tous les pouvoirs. Il n’y a qu’en France parmi les pays occidentaux où c’est ainsi. À ce point. L’État est devenu notre médecin, notre épidémiologiste, notre prescripteur de médicaments, notre financier, notre maître d’école, notre maître à penser, notre professeur de religion. Un conseil de défense présidé par le chef de l’État veille sur nous pour ainsi dire tous les jours. Les lois vont toutes dans le même sens : « sécurité globale », « laïcité pour conforter les principes républicains », il ne s’agit nullement de répondre aux vrais problèmes d’une France abandonnée et livrée à l’immigration, à la voyoucratie, à la rapine, il n’est question que d’imposer un prétendu ordre républicain dont les valeurs seraient le tout de la vie. Et le fondement et la finalité de leur pouvoir ! Car tout est là.
Le for externe du citoyen sera de plus en plus sous surveillance étroite sous peine de sanctions qui est l’ordinaire prescriptif de la République depuis les Grands Ancêtres. Pas de pouvoir local ou indépendant ou autonome, malgré les discours officiels. La jacobinerie dans toute sa splendeur ! Quant au for interne, il sera scruté avec la plus extrême acuité pour éviter la tentation de la déviance qui risque de se répandre comme une traînée de poudre explosive. Soupçonné « d’aristocratisme » en 1793, fussiez-vous le plus humble des artisans ou des laboureurs, vous serez en 2021-2022 accusé froidement de « complotisme » et de « populisme » : toujours le même procédé. Antagonismes caricaturaux et nécessaires à la dialectique républicaine. En vue de l’élection de 2022 ! Car ce n’est que le pouvoir qui compte.
« Gouverner, c’est faire croire », disait Machiavel. À cet effet, Macron vient de nommer à l’Élysée comme conseillers politiques deux personnes idoines pour mener ce genre de campagne : Stéphane Séjourné, compagnon légal de Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement qu’il côtoiera désormais dans le palais présidentiel où flotteront les odeurs de leurs amours, et Thierry Solère, en délicatesse avec la justice et le fisc, deux ambitieux éperdus qui se sont accrochés au destin du chef de l’État, prêts à tout pour conserver et se conserver le pouvoir, des modèles de haute moralité républicaine en tout genre, de vrais amis de Macron ! Décidément, dans la macronie qui s’assemble se ressemble.
Illustration : Thierry Solère, nouveau conseiller de la macronie ©SIPA.