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Le cirque permanent

« Ce matin, on a tous un peu de nostalgie… Nous qui avons vécu pendant plus de deux semaines dans un pays où on a eu le sentiment que l’air était plus léger, que quelque chose avait changé, pour citer Barbara, on n’a pas envie que la vie reprenne ses droits. Parce qu’au fond, la vie, c’est ce qu’on a vécu ces dernières semaines. C’est ça, la vraie vie. Grâce à vous toutes et tous. Et donc ça doit continuer. »

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Le cirque permanent

C’est ça, la vraie vie. Des dizaines de milliers de policiers supplémentaires pour patrouiller dans les rues. Des milliards versés dans la Seine. Paris transformé en vitrine à la gloire de LVMH. Le métro nettoyé à jets continus (« le temps des Jeux olympiques, les prestations de nettoyage ont été multipliées par trois en moyenne en journée pour conserver un métro impeccable » : c’est sans doute pour ça que l’air « semble plus léger », hein, Barbaron ?). Les commerçants ruinés. Les rues bloquées. Les faillites qui ont continué, mais on n’en parlait pas.

Des QR-codes ! La République en sommeil ! Hidalgo qui nage, et qui grimace, et qui agite ses petits bras ! Le prix des transports publics qui explose en Île-de-France même quand il n’y a pas de sites olympiques. Les médias, qui nous ont abreuvés de ferveur, de liesse, d’enchantement, de béatitude, tous transformés en propagandistes joviaux forcenés de cette réussite française exceptionnelle qui entraînait l’adhésion de tous et c’est ça, la vraie France, les gens forcés d’être en télétravail ou qui ont tous posé leurs vacances et qui descendent du rosé-pamplemousse festif en s’extasiant sur les capacités respiratoires d’un jeune homme de 22 ans. Oubliées, les urgences fermées durant l’été et les administrés en mal d’administration, les journaux ne bruissaient que des jeux et de leurs admirables feuilletons d’été, figures mythiques et inventions surprenantes, nouveaux rapports amoureux et exploits de Marguerite Duras.

Ne soyons pas mesquins, on n’a plus entendu Macron pendant les jeux. Vraies vacances, en effet ; mais pas vraie vie. À peine la dernière épreuve gagnée voilà Jupin qui rattrapait le micro, convoquait les caméras et nous infligeait ses discours. Adieu, la « parenthèse enchantée », comme le disaient et le redisent poétiquement et nostalgiquement les plumitifs. Mais non ! Voilà les jeux paralympiques ! Ça recommence, en inclusif. Mais les sondages sont détestables pour Macron, les Français le rendent responsable de la situation qu’il a créée, lui, pas les partis (quand même un peu, avec cette belle idée du barrage républicain, non ?).

Macron n’aime pas la France.

Macron s’en fiche. Il se moque des sondages, des partis, des ministres et sans doute des Français. C’est presque dommage, on n’avait jamais vu un républicain si peu démocrate, un chef d’État français républicain si peu enclin à respecter les institutions vermoulues qui nous brident… Mais c’est que Macron n’aime pas la France, seulement l’Europe. Il méprise le cadre étroit de notre pays. Il ne supporte pas le pays réel, il veut lui substituer sa vraie vie, inaugurée par un délirant spectacle nocturne et continuée par des épreuves balisées, réservées à des athlètes surentraînés, organisées par un comité international tout-puissant exigeant que le tissu ordinaire des jours soit déchiré. Quelle mécanique glorieuse ! Quel argent bien dépensé ! Comment ne pas rêver d’être soi-même un ordonnateur omnipotent ne rendant de comptes à personne et n’œuvrant que par et pour une petite élite sous le regard contraint et rééduqué de la populace.

« Et donc, ça doit continuer ». Jusqu’au bout. En faisant danser les partis au bout d’une corde, les médias au bout d’une autre, les opposants entortillés avec une troisième, et les ministres se succédant, assurant tous avoir compris, n’en tenant aucun compte, mettant en scène de pitoyables échanges avec les députés, eux-mêmes pitoyables, dans leurs incompétences, leurs déclarations, leurs manières, leurs vulgarités, leurs calculs, leurs appareils… Et Macron, se croyant supérieur à tout ce cirque, qu’il organise, qu’il alimente, fouettant sa cour, son parti et ses ennemis d’un même mouvement, histrion cabotinant sur une scène qu’il occupe indûment comme un squatteur qui sait qu’il a la loi pour lui. Quel piteux spectacle. On comprend qu’il n’ait pas envie que « la vie reprenne ses droits. » C’est bien à lui que serait arraché le sceptre républicain avec lequel il s’amuse à houspiller tout un chacun. C’est ainsi, la vie légale et républicaine a des droits que la vraie vie n’a pas. Dans la vraie vie, les gendarmes meurent, les patrons font faillite, les malades sont laissés sur des brancards et les élèves attendent en vain leurs professeurs. Ils n’ont rien de festif ni de léger, ces fâcheux. Qu’ils attendent.

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